A Place To Bury Strangers – Synthesizer
Clairement, il y a seize ans de cela, quand j’ai découvert A Place To Bury Strangers, je n’aurais pas misé un kopeck sur le fait que le groupe serait encore là en 2024. Je me souviens encore de mon premier concert d’eux. C’était en 2008 au CCO (Villeurbanne City), et ils ouvraient pour A Silver Mt. Zion. Choix assez audacieux peut-être, sauf pour les quelques oreilles peu habituées au bordel sonore des New-Yorkais. Car c’était ça, APTBS : du son, fort, foutraque et chaotique (avec plein de galères de pédales DIY), des guitares qui volaient et une baguette qui passa à quelques centimètres de ma bière tiède (ceci dit, je la garde précieusement comme un trophée). Après ce chaos, je revois encore quelques potes éprouver presque de la haine contre ce groupe tant ils s’étaient sentis agressés par leur prestation.
Bref, pour moi, APTBS était à l’époque clairement plus un groupe à voir en live qu’à écouter sur disque (même si je garde une certaine affection pour les deux premiers).
Synthesizer débarque donc en septième position dans la discographie d’APTBS et l’on va tenter de décortiquer les dix titres un par un. L’album démarre avec un « Disgust » qui semble être là pour rassurer les auditeurs de la première heure. Ça s’emballe direct, c’est assez basique et surtout ça pousse d’emblée les potards à 11. « Don’t Be Sorry » enchaîne et ici le riff va vous rentrer en tête dès la première écoute. La batterie sèche claque et la voix d’Ackermann, ainsi que la prod, jouent la carte de la clarté. En deux titres, on est certes confortablement installé mais pas forcément captivé par ce nouvel album. À la première écoute, on ne peut nier l’efficacité, mais on craint que le groupe ne cherche à rendre une copie trop consensuelle.
Mais à peine cette réflexion faite, « Fear of Transformation » m’a fait un peu plus tendre l’oreille (et monter le volume). Débutant par une longue intro très « DAF » et une voix presque batcave/goth noyée sous les effets, le titre fait la part belle aux expérimentations électroniques. À noter d’ailleurs qu’Ackermann, qui conçoit et vend depuis un bail ses pédales d’effets, a poussé le concept en proposant, dans une version collector, une pochette d’album qui peut se transformer en synthé (pour les plus curieux, c’est ici) !
Cité depuis toujours comme héritier d’une tonne de groupes prostrés la tête vers leurs sneakers, APTBS s’en démarque assez nettement avec « Join the Crowd ». Ici, s’il faut chercher une influence, ce serait plutôt du côté de la sphère cold wave. Une batterie millimétrée telle une boîte à rythme, un chant mélodique (qu’on supposera certainement torturé en live) et une guitare ne faisant aucun écart. En résumé, le titre que tu peux faire écouter aux copains qui n’aiment pas APTBS habituellement.
« I’ve got a Bad Idea » avec son tremolo de l’enfer nous ramène à la case départ et au titre d’ouverture « Disgust ». On nous plonge une nouvelle fois dans un univers rythmique et bruitiste. Efficace mais déjà entendu.
On ne réservera jamais une place à Ackermann au panthéon des chanteurs à voix mais il faut reconnaître que lorsqu’il ne la noie pas sous trois tonnes d’effets (au point parfois de ne plus la discerner), sa voix colle parfaitement aux ambiances post-punk qu’affectionne le groupe. Les paroles teintées des thèmes de la perte, de l’amour difficile voire perdu, du désespoir (bref de la tristesse) font en effet parfaitement le job à partir du moment où elles s’embarquent dans le train mélodique et rythmique des morceaux. Ce cahier des charges est parfaitement rempli par « You Got Me » et « Plastic Future ». Ce dernier titre a d’ailleurs vraiment la carcasse de ces titres indé UK des années 80 sur lesquels on a greffé la recette APTBS. On n’est pas dupes, mais encore une fois, cela fonctionne parfaitement.
Ceux qui auront tenu la lecture jusque-là auront peut-être capté que j’ai esquivé le moribond « It’s Too Much ». Bien trop lancinant à mon goût, ce titre mid-tempo restera comme la principale erreur de casting de cet album. Il a au moins le mérite de ne pas s’éterniser.
« Have You Ever Been in Love » et son titre trop mignon est le parfait morceau 2.0 avec un groupe qui semble s’auto-recycler. Il aurait ainsi parfaitement eu sa place sur l’un des premiers albums mais il faut aussi lui reconnaître que la manière dont la guitare jaillit en fait un titre solide pour leurs futures prestations live.
« Comfort Never Comes » débute par un silence… puis une lente montée. Le titre donnera l’impression que le groupe a du mal à nous quitter, un peu comme un écho à « Sunbeam » sur le tout premier album qui s’étendait également sur plus de six minutes.
En résumé, ce Synthesizer paraît bien plus intéressant et abouti que ne l’était le précédent album See Through You. Ce n’est pas une masterclass, mais le groupe dans cette formule à trois a le mérite de ne pas se renier, de se renouveler par petites touches et en même temps d’être toujours capable de nous offrir quelques surprises.
Fred