Last Train – Original Motion Picture Soundtrack

Publié par le 5 juin 2024 dans Chroniques, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Last Train Productions, 17 mai 2024)

Depuis 2016 et un premier concert mémorable à la Loggia, la plus petite des quatre scènes du festival des Eurockéennes (ils sont revenus sur la grande six ans après), je suis avec attention la carrière d’un groupe local singulier, Last Train. Quatuor formé dès l’adolescence dans le 68 et depuis resté inchangé, dont la réputation (inter)nationale s’est forgé par des tournées intenses. Et des lives qui rassemblent aujourd’hui – fait notable – aussi bien la jeune génération, séduite par cette vraie rock bromance, que ceux qui balancent entre deux âges (merci George), toujours pas blasés, mais curieux de Musique (la majuscule est importante). Si d’aucuns avaient pu les cataloguer paresseusement « baby rockers » après un premier disque (Weathering en 2017) où leurs influences se digéraient encore, le groupe a considérablement changé de statut avec The Big Picture en 2019 (NDR : un excellent documentaire qui relate la genèse de ce disque est disponible). Un second disque maîtrisé et ambitieux où certains titres épiques les rapprochaient alors parfois plus des dynamiques du post-rock… et faisaient découvrir d’autres de leurs influences jusqu’ici plus discrètes. À savoir la musique classique et plus particulièrement la façon dont elle infuse le paysage cinématographique à travers les grands compositeurs de BO depuis quelques décennies. 

Il y a deux ans, le quatuor passait un cap de plus en signant un manifeste d’indépendance, s’affranchissant de son label d’alors, sous la forme d’un titre fleuve de 19 minutes (le formidable « How Did We Get There? » ou « HDWGT ») sorti sur leur propre structure, Last Train Productions, accompagné d’un court-métrage saisissant en guise de « clip ». Courageux pour un jeune groupe. Mais finalement vital d’en passer par le DIY pour conserver une totale liberté créatrice. Vous avez dit rock indé ? Alors quand ce nouveau projet intitulé Original Motion Picture Soundtrack, a débarqué dans ma boite mail, la surprise ne fut pas totale. L’évolution semblait naturelle. Un certain scepticisme m’a tout de même effleuré quand j’ai pris connaissance du fait qu’il s’agissait d’une « relecture » de leur répertoire. La BO d’un film qui n’existerait pas selon le communiqué de presse. Le premier extrait, « Heroin », sorti en avril, est finalement un éclaireur trompeur sur le contenu du disque. Sur les douze nouveaux titres, c’est déjà l’un des trois à ne pas être purement instrumental. Le début reprend au piano l’excellent titre « Jane » (issu de Weathering) sans grande surprise d’abord, avant que sur la fin surgisse magistralement l’orchestre symphonique de Mulhouse (OSM) pour atteindre un des sommets du disque. Si ce disque est né de la volonté de Jean-Noël Scherrer (chanteur, guitariste et principal compositeur du groupe) d’explorer une dimension plus cinématographique des chansons de Last Train, la collaboration entamée avec les 56 (!) musiciens classiques de l’OSM depuis The Big Picture (dont trois titres contenaient des sections de cordes) puis How Did We Get There? est au centre de ce nouveau projet. On pourrait même séparer le disque en deux. 

D’un côté, cinq titres sur lesquels l’OSM n’est pas intervenu. De l’autre, les sept titres, plus longs et ambitieux, qui constituent la colonne vertébrale du projet. Dans la première catégorie, on trouve deux interludes (« Golden Years » et « Never Again », ce dernier étant une relecture partielle d’un titre de Shineski, le groupe de Rémi Gettliffe, le Nigel Godrich de Last Train). Une courte version de deux minutes de « Disappointed », « Did You Believe I’d Be Disappointed » qui sample le titre original. À ce petit jeu qui flirte avec le remix pur et simple, la piste finale, présentée en titre bonus, est une version synthétique de « Way Out » pas forcément inoubliable… et qui lorgnerait presque vers les productions récentes de Queens of The Stone Age (pas les meilleures donc, you know the story). C’est ce genre de relecture un poil convenue que je redoutais à la première écoute. Et on lui préférera sans difficulté le superbe et délicat « Fire at Dawn », émanation du… « Fire » de Weathering dont la sobriété mélodique et le crescendo de nappes synthétiques auraient aussi mérité l’ampleur de l’orchestre symphonique pour décoller encore plus haut. On trouve un bon exemple de ce genre d’élévation dès l’inaugural « Further away », relecture orchestrale de « A Step Further Down », interlude à la Satie qui précédait l’épique « The Big Picture » sur le disque homonyme. Cette belle envolée de cordes annonce le lyrisme enlevé de « Pursuit » dont les six minutes revisitent les titres finaux des deux albums du groupe (« Weathering » et « The Big Picture », faut suivre) façon roller-coaster. À cet instant de la chronique, il convient de préciser que le groupe, en plus du concours de l’OSM, a bénéficié de l’appui des orchestrations de Fabien Cali, un compositeur multi-récompensé, qui collaborait alors avec l’orchestre mulhousien. Ça peut aider. En marge de la sortie du disque, Last Train diffuse également une mini-série en trois épisodes qui relate le déroulement de ce projet musical étalé sur plus d’un an. Au moment de la semaine d’enregistrement bookée avec l’OSM, on peut ainsi voir un Jean-Noël Scherrer, humble, qui n’en mène pas bien large face au défi de transposer ses titres pour une section symphonique. Et comment la connexion d’un simple groupe de rock s’est opérée avec les chefs d’orchestre classique. Le disque a ensuite bénéficié d’un gros et long travail de post-production signé par le binôme fort Scherrer-Gettliffe qui s’est ainsi appuyé sur les nombreuses prises enregistrées avec l’OSM. Force est de constater que le résultat est à la hauteur de l’ambition. Il ne s’agit pas de Last Train jouant ses titres tel quel avec un orchestre derrière. Il s’agit d’une section symphonique qui joue de vrais thèmes orchestraux écrits sur la base des compositions du groupe. Les plus cinéphiles y entendront parfois quelques clins d’œil à de célèbres compositeurs de BO. Alors qu’une guitare acoustique à la vibe orientale sert d’introduction aux grondements inquiets de « We Finally Did Get There », une guitare électrique morriconienne reprend ainsi les quelques notes sublimes que Julien Peultier jouait en slide sur la version originelle de « How Did We Get There? ». Un piano reprend ensuite la ligne mélodique et vocale du refrain de « I Only Bet on Myself » avant que l’orchestre et des cordes sublimes reviennent sur un des thèmes ascensionnels de « HDWGT ». Sept minutes superbes. Comme le piano élégant de « Before the Beginning » à peine caressé par quelques cordes romantiques façon John Barry ou James Horner. Sur le formidable et surprenant « Hate and Loathing », on serait presque transporté dans l’univers SF (interstellaire) du duo Nolan-Zimmer. Deux minutes d’un véritable orgue enregistré dans un temple de Mulhouse en guise d’introduction avant qu’un motif électronique distille une pulsation synthétique qui va culminer dans un crescendo vertigineux ! Puissant. Et incursion inattendue dans le domaine des musiques électroniques. On aurait presque pris un second tour de manège au bout de ces six minutes incroyables. Temps fort du disque que cet enchainement « Hate and Loathing » – « Fire at Dawn ». Il faut espérer que le groupe et l’OSM pousse la collaboration jusqu’à l’étape du live à la Filature de Mulhouse, la salle dévouée à la musique classique de la cité alsacienne. Take my money! En guise de relecture de « Tired Since 1994 », « 1994 » rejoue la corde sensible. L’introduction de cordes évoque les grands espaces verdoyants et le John Barry de Danse avec les Loups l’espace d’une minute. Une harpe et un piano égrène ensuite délicatement les accords et la ligne mélodique vocale du titre originel. Avant une nouvelle et sublime envolée de cordes. La chialade.

Sacré pari pour Last Train que cet Original Motion Picture Soundtrack (clin d’œil au titre de Radiohead ?). Délaissant (presque) son format habituel, puisque le bassiste Timothée Gérard et le guitariste Julien Peultier ne sont crédités respectivement que pour l’artwork (superbe) et la réalisation de la mini-série. Et le batteur Antoine Baschung seulement sur trois titres. Épaulé par le fidèle Rémi Gettliffe et magistralement accompagné par l’OSM, Jean-Noël Scherrer réalise son fantasme de musique cinématographique. En mode DIY. Excusez du peu. La cote d’amour des Haut-Rhinois ne devrait pas souffrir de ce pas de côté dans leur discographie. Au détour d’une rencontre avec leur public début mai, ils proposaient une écoute partielle du disque à la Filature suivi d’un échange et d’une rencontre avec les participants. Et le concours d’un disquaire local pour le merch. Soutenez votre scène locale… dans le 68 et ailleurs. Indépendants, talentueux, attachants… et déterminés. On devrait bientôt reparler de Last Train (NDR: un nouvel album est déjà enregistré comme le suggère la fin de la mini-série).

Sonicdragao

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