Sala Bestia – Plenty of Nothing

Publié par le 31 janvier 2024 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Autoproduit, 11 janvier 2024)

Le trio parisien Sala Bestia sort en ce début d’année 2024 un premier album impressionnant de maîtrise. Il faut dire que ses membres ne sont pas de petits jeunots, ils ont même été plutôt très actifs dans la scène indé/noise depuis plus de dix ans (le guitariste et le batteur ont joué dans Revok, le bassiste dans schoolbusdriver, Desicobra et radiant., notamment). Malgré les références indie-rock voire pop évoquées dans la biographie, c’est bien d’un disque noise dont il s’agit. Mais une noise sensible qui s’adresse avant tout à nos tripes. Le ton est à l’intériorisation et au dépouillement. On devine que ces musiciens n’ont plus l’envie ou le temps de faire la course au gros son ou de maquiller leurs compos derrière des artifices inutiles. 

Grand bien leur a pris car l’espace laissé à chacun, comme si le groupe jouait en cercle resserré, et le choix d’utiliser un minimum d’effets, est propice à l’expression brute du mal-être qui l’anime. 

La guitare, nue ou rehaussée d’une distorsion, reste toujours mélodique, ce qui ne l’empêche pas d’être tranchante ou abrasive au besoin. La basse au son très particulier, sourd et percussif tout en restant harmonique, s’insère habilement entre mélodies et rythmiques. Le jeu de batterie est particulièrement impressionnant d’inventivité, tantôt percutant et resserré, tantôt fluide et ample, sur des rythmes volontiers bancals et métronomiques, et donne un beau relief au disque. Enfin, la voix, peu spectaculaire, avec très peu d’effets, est capable d’infimes variations. Surtout, elle est centrale, mais reste en retrait, presque menacée par la danse des instruments autour d’elle, ce qui nous la rend plus proche. Tantôt mélancolique, tantôt neutre, parfois à peine chantée, elle renforce la sensation de claustrophobie qui parcourt l’album. Des nappes synthétiques inattendues viennent ajouter une touche métaphysique au mal-être général. 

On pense inévitablement à June of 44 (« Decision to Cut »), Shellac (« Bus Station Serenade ») ou Reiziger (les morceaux les plus slowcore).

En refusant les effets faciles, les structures de morceaux trop prévisibles et les riffs trop appuyées, Sala Bestia n’hésite pas à exposer sa vulnérabilité et à nous emmener vers des lieux inattendus. Ainsi, sur « SY’ Followers in Heaven », le groupe s’interrompt sans prévenir, pour s’aventurer en territoires quasi psychédéliques (dans des tons qui resteront assez monochromes, n’espérez pas y trouver d’autres fleurs que vénéneuses).

Jusqu’à cet ultime et poignant « If It Helps », joyau noir de l’album, où le groupe n’hésite plus à laisser enfin éclater sa frustration dans une envolée où on serait presque tenté de reconnaître les influences du Crazy Horse.

Bastien

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