Interview – Slowdive

Publié par le 30 août 2023 dans Interviews, Toutes les interviews

Après un retour magistral en 2017, Slowdive était attendu de pied ferme pour son nouvel album, everything is alive. Un album qui ne manquera pas de dérouter ceux qui préfèrent la facette la plus pop du groupe anglais. Mais à en croire sa guitariste-chanteuse Rachel Goswell et son guitariste Christian Savill, l’opinion de la presse et du public est aujourd’hui le cadet de leurs soucis.

Entretien avec deux musiciens éminemment sympathiques, qui ont su rester très humbles et partagent une vraie complicité, quels que soient les thèmes abordés, du dernier album à… la fin du monde.

« On adore tous la musique à synthés. Je pense que si Neil avait composé ça pour un album solo, il y aurait probablement eu beaucoup plus de synthés dessus. Plusieurs morceaux étaient bons mais on ne les imaginait pas pouvoir devenir des morceaux de Slowdive. »

© Parri Thomas

L’enregistrement de ce nouvel album a débuté en 2020. Vous vous êtes rendus dans trois studios différents. Est-ce assez inhabituel pour vous ? Cela a-t-il été particulièrement difficile d’aboutir au résultat que vous désiriez ?
Rachel Goswell (guitare, chant)
: Au départ, on avait réservé six semaines en avril 2020 et évidemment, il y a eu le Covid. On a donc dû annuler. On a démarré en octobre 2020, non ?
Christian Savill (guitare) : Je crois que oui.
Rachel : Techniquement, le confinement était toujours d’actualité mais pour travailler on avait le droit de se réunir. Au niveau logistique, on vit tous dans des endroits différents, on a nos familles… Neil (NdR : Halstead, guitare-chant) a apporté des idées en studio et on a convenu de travailler ensemble en studio pour qu’il puisse emmener le résultat de notre collaboration et continuer à travailler dessus chez lui car il a produit l’album. Ça a pris du temps. Notamment pour nous tous entre le travail en studio et le résultat final.
Christian : On avait réussi à enregistrer en une seule fois le premier album mais pour Souvlaki on avait dû utiliser environ quinze studios !

Oui, vous aviez enregistré quarante morceaux.
Christian : Oui, je crois que finalement…

… c’est votre façon de faire.
Rachel
 : Oui, exactement. Pourquoi se précipiter ? (Rires)

« shanty » est un premier morceau très puissant, assez cinématographique. Je le verrais très bien dans un film de science-fiction. Ce morceau s’est imposé pour démarrer l’album ? Ou s’agit-il du premier que vous avez composé ?
Christian : Je ne crois pas que c’était le premier. Mais il faisait clairement partie des premiers que Neil nous a présentés.
Rachel : Oui, quand nous sommes entrés en studio en octobre, nous avons probablement passé deux grosses journées en studio avec quelques morceaux en boucle dans le studio et Neil y ajoutait divers éléments. Je pense avoir enregistré mes prises de voix à la maison. Je pense qu’il s’agit d’une représentation différente de Slowdive. J’adore « shanty ».
Christian : Je ne sais pas si c’était délibéré dès le départ de démarrer par celle-ci, il s’agissait surtout de trouver un moyen d’ordonner tout cela ensemble. Mais elle est très bien en ouverture.
Rachel : Pour nous, l’ordre des morceaux est toujours très important.

Qui s’en occupe ? Neil ? Tous ensemble ? Le label a également son mot à dire ?
Christian
 : C’est vraiment le groupe. On écoute l’ensemble quand le mix est prêt, qu’il ne reste à Neil que des détails à peaufiner, on commence à en parler entre nous.
Rachel : Oui, quand il reste à réduire le nombre de morceaux en conservant les favoris de chacun. Combien de temps on veut que ça dure… Sortons-nous un double album ?

Vous aviez de quoi sortir un double album ?
Christian
: Oui, certains morceaux n’ont pas été retenus.
Rachel : On aurait probablement pu si on était restés en studio toute l’année. (Rires)
Christian : Oui, il aurait fallu passer plus de temps mais on avait clairement les morceaux. Comme Rachel disait, c’est comme une course d’obstacles pour les morceaux, certains échouent devant tel obstacle et on conserve ceux qui sont arrivés jusqu’au bout.
Rachel : Oui et la majorité des décisions à ce sujet sont prises collectivement.

Le premier single « kisses » sonne comme un tube immédiat, très pop, et finalement assez différent du reste du disque, qui est très atmosphérique, avec beaucoup de sonorités électroniques. Etait-ce un choix délibéré d’opter pour un morceau « classique » de Slowdive pour ne pas trop déboussoler vos fans ?
Rachel : On a tous pensé que « kisses » était le morceau évident, celui qui pourrait être diffusé en radio. Le label et le manager également s’impliquent dans ce choix. Il faut sortir le morceau qui va attirer l’attention.
Christian : Oui quand un album prend forme, il y a toujours un ou deux morceaux pour lesquels tu te dis : « C’est le plus efficace. » Et quand on a commencé à jouer celle-ci, on a tout de suite constaté qu’elle est très pop… Mais ce morceau a connu plusieurs vies, non ?
Rachel : Oui !
Christian : On l’a essayé en plusieurs versions, plus électroniques ou plus en groupe.
Rachel : Il existe une super version electro ! Tu préférais la version electro ?
Christian : Je crois que oui.
Rachel : Nous étions quelques-uns à préférer la version électronique pour l’album. Elle est très différente mais je l’adore.
Christian : Il n’y a même pas de guitare, ou très peu.
Rachel : On va probablement la sortir plus tard.
Christian : On ne l’a pas sortie car on s’est dit : « Bordel, comment pourrait-on la jouer en concert ?! »
Rachel : Oui, il aurait fallu que tu utilises du matériel spécifique.
Christian : On a déjà des tas de synthétiseurs sur scène !

C’est vrai que Neil joue beaucoup de synthés sur ce disque. Comment avez-vous réagi quand il vous a fait écouter ses premières démos ? Vous ne vous êtes pas dit que ça faisait beaucoup de synthés ?
Christian
 : Non, c’était excitant ! On adore tous la musique à synthés. Simon (NdR : Scott, le batteur) s’implique énormément dans les synthés aussi. Je pense que si Neil avait composé ça pour un album solo, il y aurait probablement eu beaucoup plus de synthés dessus. Car on est un groupe, on doit réfléchir ensemble et adapter les morceaux…

Vous avez donc beaucoup transformé les morceaux ensemble ? Neil est plus partageur qu’auparavant ? Chacun a voix au chapitre ?
(Tous les deux) : Oui !
Christian : Plusieurs morceaux étaient bons mais on ne les imaginait pas pouvoir devenir des morceaux de Slowdive. C’est toujours à prendre en considération. Car ensuite il faudra les jouer en groupe.

Je trouve également que les voix sont beaucoup moins en avant que sur l’album précédent. Le deuxième morceau est d’ailleurs instrumental et sur les deux derniers, on vous entend à peine.
Rachel
: Si tu regardes notre passé, il y a toujours eu cette volonté d’utiliser parfois nos voix comme des instruments supplémentaires et de ne pas toujours se focaliser sur les paroles dans une chanson de Slowdive. Parfois oui, d’autres fois non. C’est vraiment une question de sentiment et de l’émotion de la chanson. Tu parles de « the slab », qui est la dernière chanson de l’album — j’ai hâte de la jouer en concert ! (Rires). Elle est assez épique et il s’agit d’équilibre entre les différentes couches, y compris les voix. On a toujours gardé un recul conscient vis-à-vis de nos voix sur certaines pistes des albums de Slowdive. Parfois, elles sont plus hautes, comme dans « kisses » ou « Allison ». Cela dépend de l’humeur de la chanson, selon moi. Cela fait partie des différentes facettes du groupe.

« On a toujours suivi notre propre chemin et je pense qu’il n’y a aucun intérêt à être musicien, à faire partie d’un groupe si tu t’adaptes à ce que certains écrivent à ton sujet et aux opinions des autres. (…) pourquoi faire quoi que ce soit de ta vie si c’est juste pour plaire aux autres. Ce n’est pas être égoïste mais c’est ça, être créatif. »

© Ingrid Pop

Il se rapproche par certains aspects de Pygmalion, qui reste un album totalement à part de votre discographie et n’est pas forcément le plus apprécié. Etait-ce également une façon de montrer que vous êtes totalement libres de sortir ce que vous voulez et ne comptez rendre de comptes à personne ?
Rachel : Il existe effectivement des similitudes avec Pygmalion. On a toujours suivi notre propre chemin et je pense qu’il n’y a aucun intérêt à être musicien, à faire partie d’un groupe si tu t’adaptes à ce que certains écrivent à ton sujet et aux opinions des autres. On fait tous de la musique pour nous-mêmes, on fait ce qu’on aime. Évidemment, on souhaite que le public aime mais au bout du compte, pourquoi faire quoi que ce soit de ta vie si c’est juste pour plaire aux autres. Ce n’est pas être égoïste mais c’est ça, être créatif.
Christian : On ne va pas se réunir pour faire un disque et se demander ce qu’on attend de nous. Ça ne fonctionne pas comme ça. En studio, on souhaite simplement se dire : « Oh, on adore ça ! » On ne pense pas à la réaction du public.
Rachel : On ne veut pas stagner, on doit toujours apporter un élément qui nous fait avancer. Comme tu disais, certains aspects sont similaires à Pygmalion sur ce disque et je pense qu’il s’appuie sur tous les domaines qui caractérisent Slowdive, et il évolue également vers autre chose. C’est un vrai mélange de plusieurs aspects et réaliser un morceau instrumental quand on a deux chanteurs pourrait être perçu comme étrange mais « prayer remembered » flotte naturellement. J’aurais pu y ajouter du chant également mais musicalement, elle évolue de façon vraiment belle.

Êtes-vous toujours curieux toutefois de lire les chroniques dans la presse et de connaitre les réactions du public ? Maintenant que les réseaux sociaux existent en plus, il n’y a plus aucun filtre. C’est potentiellement pire qu’avant. Vous vous en souciez ?
Rachel
 : Je crois qu’on a cessé de se soucier de l’avis des autres en 1991, non ? (Rires) Tu apprends très rapidement qu’il te faut développer une résistance (une peau dure) et t’en foutre, vraiment ! Du moment que tu restes fidèle à toi-même, authentique, c’est le plus important. Sinon, à quoi bon ?

Je sais que l’enregistrement de l’album s’est déroulé durant une période difficile. Rachel, ainsi que Scott, vous avez perdu des proches. Avez-vous tenté de minimiser l’impact de ces tristes évènements sur l’album ?
Rachel
: Neil a composé tous les morceaux du disque. Je ne pense pas que ces disparitions ont eu un impact sur son écriture. Je n’en sais rien. Il connaissait ma maman depuis qu’on est gamins et il est venu aux funérailles. Mais je ne sais pas si cela a pu l’impacter. C’était une période très difficile quand on s’est retrouvés au studio en octobre de cette année-là. Simon avait perdu son père, moi ma mère, et c’était la première fois que je sortais ou voyais quelqu’un d’autre depuis les funérailles. Et elles s’étaient déroulées en petit comité à cause des restrictions du Covid. C’était très chargé en émotion pour Simon et moi, un moment très difficile. Parfois, on s’extirpait du reste du groupe pour tout lâcher, c’est difficile.

Sur « alife », Neil chante : « Hey, just look at us now / time made fools of us all / look but we don’t understand / we try but we don’t look around. » Que veut-il dire par là ? Que vous êtes dépassés ? (Rires)
Rachel
: Je l’ai entendu évoquer ces textes. Il regarde en arrière sa vie, quand il était plus jeune. C’est un morceau de réflexion sur le passé.

Ce n’est pas en comparaison avec la première vie de Slowdive ?
Rachel
 : Qui sait ? Peut-être qu’il s’agit de lui adolescent ou peut-être autre chose. C’est ouvert aux interprétations.
Christian : Et oui, nous vieillissons. Comme disait Rachel, des évènements importants se sont produits dans nos vies et c’est intéressant de regarder derrière nous.

Avec les années justement, Slowdive a été largement réévalué à la hausse par la presse. Souvlaki est presque toujours cité sur le podium des meilleurs albums shoegaze, généralement aux côtés de Loveless (de My Bloody Valentine) et Nowhere (de Ride). Votre top trois serait-il similaire ? Et avez-vous en tête un groupe de shoegaze que vous considérez injustement sous-estimé ?
(Ils réfléchissent)
Rachel : C’est difficile !
Christian : Le deuxième Pale Saints, In Ribbons, est un excellent album.
Rachel : Tu les classerais en shoegaze ?
Christian : Ils détesteraient ça, non ?
Rachel : Très probablement, oui.

C’est drôle, il semblerait que tous les groupes shoegaze détestent être classés comme tels !
Rachel
 : On est maintenant plus à l’aise avec ça depuis qu’on est revenus. Et le terme est utilisé aussi de manière moins péjorative, donc on l’a accepté. Mais quand je regarde en ligne, certains groupes classés shoegaze, d’autres dream pop, c’est parfois très difficile de définir les genres des groupes. De toute façon, là encore, il s’agit des opinions des autres, plutôt que des groupes eux-mêmes.
Christian : Je ne crois pas que les groupes y accordent de l’importance.
Rachel : Parmi les vieux groupes, je ne sais pas lesquels choisir. C’est difficile.
Christian : Il y a également beaucoup de groupes shoegaze récents.
Rachel : Oui, j’essaie de me tenir au courant avec Internet. Il y a toujours eu tant de groupes et, dans les années 90, tu ne pouvais t’appuyer que sur les journaux et magazines pour les découvrir. Aujourd’hui, bien sûr, c’est beaucoup plus simple, mais je crois que ça peut aussi être décourageant parfois d’essayer de tout suivre. C’est impossible. Et il y a beaucoup d’excellents groupes et beaucoup qui ne rencontrent probablement pas le succès qu’ils mériteraient. Un groupe particulièrement sous-estimé… (Elle réfléchit)

Un groupe comme Swervedriver était considéré comme shoegaze, ce qui n’est pas évident.
Rachel
: Ah oui, Swervedriver est un groupe fantastique ! Et ce n’est absolument pas du shoegaze, mais il est clairement sous-estimé ! C’était un de mes groupes préférés de Creation. The Telescopes étaient géniaux aussi. Mais ce n’était pas non plus un groupe shoegaze.
Christian : Oui, clairement Swervedriver n’avait rien à voir avec ça.
Rachel : On était juste sur le même label. Et ils habitaient dans une ville à côté mais ils ont été mis dans le même sac alors qu’ils sonnaient beaucoup plus heavy. Ils sonnaient davantage comme Soundgarden, comme un groupe américain.
Christian : Même My Bloody Valentine… Si tu considères que la musique shoegaze, c’est l’utilisation de grosses reverbs et delays, Kevin (NdR : Shields, le guitariste-chanteur) te répondrait : « Je n’utilise pas de reverb. » Il n’y a pas de delay, c’est juste…

… de la noise !
Christian
: Oui. Sans reverb. Il est très catégorique à ce sujet.

Vous venez de jouer à Glastonbury et vous avez annoncé une tournée… sans date en France. Pour le moment ?
Rachel
: Oui, c’est en raison d’obligations familiales, on doit jongler entre tout ça cet automne. On va aux Etats-Unis plus tôt qu’on l’espérait car je dois m’occuper d’obligations avec ma famille. Ensuite, on rentre chez nous pendant quatre semaines et enfin on se rend en Amérique du Sud pour le Primavera. J’ai un enfant de 13 ans qui me dit que je dois être chez moi, parfois ! On a planifié l’Europe pour le début de l’année prochaine. Je n’ai pas encore vu de dates mais ce sera probablement en février. Quand il fera bien froid ! (Rires) Il y aura bien une tournée en tout cas (NdR : la date française aura finalement lieu le 17 janvier à La Cigale, à Paris).

J’ai constaté sur votre Facebook que les concerts se remplissent très vite. Vous avez ajouté une seconde date à Los Angeles. En Angleterre, les gens commentaient : « Oh, en cinq minutes, c’était déjà complet ! » Vous êtes encore surpris positivement par cet enthousiasme dont vous bénéficiez ? C’était déjà le cas pour l’album précédent et ça ne semble pas s’atténuer.
Rachel
: Oui, c’était très difficile pour nous d’évaluer la taille des salles où nous devrions jouer lors de ces tournées. Certaines sont plus grandes, d’autres plus petites. On n’avait pas donné de concerts depuis plusieurs années donc il était légitime de se demander si l’intérêt serait toujours présent. Clairement, il semble que ce soit le cas, ce qui est très agréable, mais aussi très étonnant.
Christian : C’est toujours une belle surprise de s’exclamer : « Oh mon Dieu, on a rempli cette salle ! » Et là, certains nous demandent : « Pourquoi vous ne jouez pas dans une plus grande salle ? » On ne sait jamais à l’avance, on pourrait jouer dans une plus grande salle et vendre cinq places…

Vous aimeriez jouer dans de plus grandes salles ? Votre musique semble quand même très adaptée à des salles assez intimistes.
Rachel
: J’aime les salles de taille moyenne. On a donné un concert de warm-up à Exeter, avant Glastonbury — c’est comme jouer à la maison pour moi. Depuis notre retour, on essayait d’y jouer, c’est donc chouette d’y être parvenu. La capacité est de 500 places et c’était vraiment bien, hein ? C’était vraiment vibrant ! Je crois que je préfèrerais juste un peu plus grand que ça. Principalement en raison de la taille de la scène, on est toujours un peu entassés ensemble.

Et oui, vous êtes cinq, vous avez besoin de place. Avec tout votre matos, les synthés partout !
(Rires) Rachel
 : Mais oui !
Christian : Mais les petites salles sont fun car on ne trouve que des gens qui ont très envie de nous voir jouer, c’est un sentiment très agréable. On ressent un grand enthousiasme.
Rachel : Oui, on ressent l’énergie et quand on joue, on en a besoin pour s’en nourrir. C’est un échange. Face à une audience peu concernée, c’est difficile, il y a de la déception.
Christian : Plus de pression aussi.
Rachel : Oui, c’est chouette quand un véritable échange s’instaure.

En fonction de la réaction du public, vous pouvez parfois vous dire : « Ce n’est peut-être pas le moment de jouer ce morceau très planant » ?
Christian
: On a joué dans des festivals où forcément tu ne joues pas devant ton public et là, tu t’apprêtes à jouer un morceau lent, tout le monde parle… C’est une sensation étrange. (Rires) Mais ça fait partie de la musique live. Il faut savoir faire face à tout type de situation.

Je vous ai vus l’an passé au Primavera de Porto et vous jouiez en même temps que Shellac. Déjà, je me disais : « Raaah, dur… »
(Rires)
Et c’était difficile de rentrer dans le concert car il se déroulait en plein après-midi avec un grand soleil…
Rachel : Je crois qu’on est clairement un groupe « de nuit ». Dans les festivals, jouer en plein jour peut être assez difficile. À Glastonbury c’était bien car on jouait sous un chapiteau, même si c’était lumineux. L’impression était encore meilleure à la télé car les lumières rendaient vraiment bien. Mais oui, on est définitivement un groupe de nuit.

« Les politiques sont si divisés, et tout parait rempli de toxicité… Il faudrait qu’on puisse appuyer sur reset. Mais je n’ai pas l’impression que ça va se produire. »

© Ingrid Pop

J’aimerais revenir à il y a très longtemps. Je crois que tu as été le dernier à rejoindre le groupe, Christian. Et ce que j’ai lu à ce sujet m’a amusé. Peux-tu nous raconter ?
Christian
: Ça s’est passé dans notre ville de naissance, Reading. Rachel, Neil et Nick (NdR : Chaplin, basse) étaient déjà dans un groupe. Je les avais vus jouer et je trouvais qu’ils étaient vraiment bons. Ils ont passé une annonce dans un petit magazine local, ils cherchaient un second guitariste. Mais ils ont précisé qu’ils cherchaient une femme. Je me suis dit : « Et merde, j’aimerais vraiment rejoindre le groupe. » Je leur ai donc écrit et j’ai indiqué que j’étais prêt à porter une robe.

Tu n’as pas eu besoin de la porter, on est d’accord ? Tu étais simplement paré à cette éventualité.
Christian
: Non, ça a été évoqué mais je suis parvenu à éviter ça jusque-là. Je crois que j’étais la seule personne à répondre, non ?
(Rachel éclate de rire et confirme)
Rachel : Mais c’est évidemment un excellent guitariste.
Christian : Je me souviens de notre première répète ensemble. J’étais si timide et nerveux. Ils étaient tous très proches les uns des autres et je me tenais à dix mètres d’eux, je faisais un bruit horrible avec ma guitare.
Rachel : On s’est exclamé : « Il est brillant ! » (Rires)
Christian : C’est fou qu’ils m’aient pris car je savais à peine jouer.

C’était peut-être le cas de chacun d’entre vous ?
Rachel
 : Oui, on était tous à peu près au même point.

Tu étais donc d’accord avec le fait d’être finalement la seule femme du groupe, Rachel.
Christian
: Désolé, Rach’ !
Rachel : Pauvre de moi ! (Rires) Oui, ça fonctionnait comme ça donc ça m’allait.

Rachel, tu tweetes énormément à propos de l’environnement, des problèmes d’immigration et la façon dont les migrants sont traités comme des animaux, du Brexit…
Rachel
: Désolé. (Rires)

Il y a évidemment la guerre en Ukraine également. En tant que mère, es-tu particulièrement inquiète de voir grandir ton fils de 13 ans à notre époque ? Christian, je crois que tu es père toi aussi…
Christian
: Oui, nous sommes tous parents. C’est une période effrayante. Tant de choses sont flippantes pour l’avenir. Dans quel monde vont vivre nos enfants quand ils auront notre âge ?
Rachel : C’est terrifiant.
Christian : Une catastrophe. Les politiques sont si divisés, et tout parait rempli de toxicité… Il faudrait qu’on puisse appuyer sur reset. Mais je n’ai pas l’impression que ça va se produire.
Rachel : Il y a beaucoup trop de tarés dans ce monde.
Christian : Et beaucoup trop de gens qui ont tout intérêt à ce que rien ne change pour conserver leur argent, leur pouvoir et ne veulent rien changer au système.
Rachel : Tout est lié à l’argent, non ? Tout se résume à l’argent, au pouvoir. Mon fils a des besoins spécifiques car il a treize ans physiquement mais mentalement il est beaucoup plus jeune, il est sourd, ne parle pas. Il ne comprend pas ce que tous les enfants de son âge comprennent sur ce qui se passe dans le monde. Et à vrai dire, pour cela je suis contente qu’il ne puisse jamais voir ce qui se passe vraiment. Il est préservé de ça. Et je touche du bois pour qu’il soit toujours protégé et ait besoin qu’on s’occupe de lui. Il ne pourra pas vivre et grandir seul comme chacun de nous et se confronter au monde. D’un côté, ça crée beaucoup de difficultés pour moi mais au moins il vit dans sa propre bulle et est heureux dans cette bulle où il est protégé, en sécurité. Tout le monde protège ses enfants autant qu’il peut mais quand tu regardes le Covid par exemple… On s’est quand même tous demandés si on s’acheminait vers la fin du monde. « Oh mon Dieu, ça y est c’est fini ? » Parfois quand j’y repense, je me demande si ça s’est vraiment produit. Car tout semble être redevenu comme avant.

« Suis-je vraiment en train de jouer sur scène ? Puis-je donner des interviews sans masque ? »
Rachel
: Oui exactement ! Merde, on doit sortir, parler… Mais le Covid est toujours là. Nous devons nous adapter. Et en tant que groupe, on ne peut pas être assurés contre les annulations dues au Covid. Quand on part en tournée, on prend le risque d’être ruinés si on est touchés par le Covid et qu’on doit annuler des concerts. C’est beaucoup de pression ! (Rires)
Christian : Tu as des enfants ?

J’ai un fils de cinq ans.
Christian
 : Que penses-tu de tout ça ?

Je suis inquiet ! C’est un défi car il grandit, est en âge où il pose beaucoup de questions, comprend plein de choses nouvelles, commence à poser des questions existentielles sur la mort par exemple, c’est difficile de trouver le bon compromis. On essaie de le tenir à l’abri de problèmes comme la guerre par exemple… Mais il grandit et va continuer à découvrir et comprendre…
Rachel
 : Oui on vit dans un monde assez effrayant. Et pour les jeunes enfants, c’est même terrifiant. Je me souviens quand j’étais petite, voir des infos sur la guerre, ça faisait vraiment peur.
Christian : Oui la guerre froide notamment. Je me souviens penser : « Merde, peut-il y avoir une guerre nucléaire d’une minute à l’autre ? » Je me rappelle de vidéos « que fait-on en cas de guerre nucléaire ? » et me dire : « Meeerde, c’est vraiment en train de se produire ? »
Rachel : Oui et maintenant il y a la Russie, le changement climatique… Et les jeunes sont beaucoup plus conscients de tout ça, comparé à notre génération. Aujourd’hui c’est si évident.

Oui, c’est impossible de détourner le regard et d’ignorer le problème.
Christian
 : Mais ils essaient. Regarde les Républicains. De quoi parlez-vous ? La terre est plate !
Rachel : Mais ça, c’est vrai ! (Rires) Qu’est-ce qu’on peut faire ? Je n’en sais rien. On doit se contenter de faire notre part du travail…
Christian : À moins d’un changement radical… Que les pays changent totalement. On ne peut pas se contenter de faire nos trucs dans notre coin. Il faut que la Chine, l’Inde, les Etats-Unis, tout le monde se mette d’accord et emprunte la bonne direction, sinon on peut oublier…
Rachel : D’ailleurs quand on a joué en Chine pour la première fois il y a quelques années — je ne sais plus quand exactement (NdR : en 2018) —, on est allés à Pékin, Shanghaï (NdR : et Guanghzou) et le niveau de pollution était si élevé qu’on ne pouvait voir que la moitié des immeubles. Le reste était caché par un épais brouillard, vraiment bas, très oppressant. Quand on s’y est rendus pour la première fois, mon cœur s’est comprimé et pendant une seconde j’ai pensé : « Quel est l’intérêt de faire ce que l’on fait partout ailleurs ? » Tu te rends dans ce pays, tu vois la pollution partout et tu te dis que c’est inutile d’essayer…
Christian : Tu as raison mais tu sais ce qui est bizarre malgré tout là-bas ? Ils tuent la planète mais leur économie a sorti de la pauvreté la plus totale des millions de gens. C’est une économie sale, mais des millions de gens ont une meilleure vie grâce à elle. Mais je ne dis pas que l’avenir s’annonce radieux. La planète va crever, ouais.
Rachel : Le monde est baisé ! (Rires)

Voilà, c’est où je voulais en venir. (Rires)
Rachel
 : On ne peut que faire notre part du boulot.
Christian : Mais ça ne suffit pas. C’est étrange cette situation paradoxale où tant de gens sortent de la pauvreté.
Rachel : Mais il reste tellement de pauvreté… Je suis persuadée que beaucoup de personnes très riches font des donations à des associations caritatives et apportent ainsi leur contribution. Mais quand tu vois certains milliardaires qui n’auront jamais besoin de tout cet argent et pourraient changer les vies de pays entiers…
Christian : Oui mais ils essaient d’aller dans l’espace, c’est important ! (Rires)
Rachel : La nature humaine peut être si triste et égoïste, de la pire des manières. Si tu as le pouvoir d’aider les gens, fais le, donne tout pour sortir les gens de la misère. C’est tellement désolant.
Christian : J’essaie d’imaginer la quantité de tatouages que tu aurais si tu étais milliardaire, Rach’ ! Je te verrais bien avec une Tour Eiffel étincelante. (Rachel éclate de rire)

Vous êtes presque milliardaires en plus ! Avec le nouvel album, ce sera bon !
(Rires)

Juste pour finir, gardons une petite note d’espoir. Et revenons à la musique.
Rachel
: Oui, désolé ! (Rires)

Rachel, tu as participé à plusieurs projets récemment, notamment The Soft Cavalry avec ton mari, ça ne te laisse pas beaucoup de temps pour Minor Victories… Pourtant il y a huit ans, on a parlé ensemble en ce même lieu et tu évoquais un second album en projet…
Rachel
 : Et oui… Je viens de voir Justin (NdR : Lockey, guitariste des Editors et de Minor Victories) à Glastonbury car Editors jouait après nous et on se disait qu’on ne trouve jamais le temps. Quand je ne suis pas occupée, il l’est, et inversement. Mais on y arrivera.
Christian : Et Stuart (NdR : Braithwaite, guitariste de Mogwai et de Minor Victories) est toujours occupé aussi.
Rachel : Oui, Stuart aussi. Il y a cette volonté de chacun d’entre nous de sortir un autre album. Mais on n’a pas encore commencé à travailler dessus. Quelques fichiers avec des idées basiques sont sur les ordinateurs… J’espère qu’on va y arriver. Je vais être occupée cette année, Justin va ralentir un peu, Stuart pourrait être un peu disponible donc ils pourraient commencer à travailler et puis je les rejoindrai pour faire ma part du boulot.

Et toi, Christian ? Des projets avec Monster Movie ou un autre groupe ?
Christian
 : Pas vraiment. J’ai sorti un album il y a deux ans (NdR : sous le nom de Beachy Head avec… Rachel Goswell, Steve Clark, son mari et comparse dans The Soft Cavalry, Matt Duckworth des Flaming Lips et Ryan Manon, de Dreamend), j’ai un peu travaillé sur un autre album. On verra. Pour le moment, c’est uniquement Slowdive, ce qui est bien car comme le disait Rachel pendant la période Covid on se demandait si on aurait l’opportunité de refaire quelque chose. Donc c’est chouette d’avoir pas mal d’échéances prévues prochainement.

Interview réalisée par Jonathan Lopez
Merci à Agnieszka Gérard

Tous nos articles sur Slowdive (chroniques, interviews)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *