Jaye Jayle – Don’t Let Your Love Life Get You Down

Publié par le 11 juillet 2023 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Pelagic Records, 14 Juillet 2023)

Il est des artistes et groupes qui s’éteignent peu à peu, d’une mort lente ou définitive, en glissant hors de tout ce qui peut faire présence au monde. Au-delà des Young Widows (auteurs notamment de l’album absolument essentiel In and Out of Youth and Lightness), Evan Patterson semble être cette ombre fantomatique dont les contours échappent à toute description. Bien qu’ayant enregistré un EP avec Emma Ruth Rundle (The Time Between Us), c’est par une porte dérobée qu’il s’est frayé une issue de sortie.

Jaye Jayle vient à la rescousse des drames humains. Sa musique, dès la première écoute, vous happe pour ensuite rester dans la peau, ce que House Cricks and Other Excuses to Get Out avait initié en 2016. En dehors du prévisible couplet/refrain, privilégiant une approche de déstructuration où les dissonances se mêlent habilement avec ses lignes vocales, Evan fait preuve d’une flagrante inventivité.
Sorti en 2020 chez Sargent House, Prisyn pouvait dérouter, désorienter par ses structures abstraites, basées sur son synthé de prédilection qu’il utilise depuis plusieurs années (l’Univox Mini Korg K2), et tant qu’à se dépêtrer de ses oripeaux et des mondanités, Jaye Jayle explore le spectre sonore jusqu’à sa désintégration, pour réinventer une matière organique, dont les couleurs varient du clair à l’obscur.
Avec ce quatrième album, et par ses émotions ascensionnelles, Jaye Jayle s’éloigne du brouhaha ambiant, il confie son chagrin à ses instruments, c’est un retour aux fondamentaux. « The Party of Redemption » est le parfait indicateur de cette douleur couchée sur papier et sur partition. Comme un parvis sur lequel les empreintes laissent une effigie, chaque mesure, chaque note, sculpte lentement dans les éléments pour en extraire des couleurs, des nuances évoquant la peinture de Caravage, par le déplacement de l’ombre et de la lumière (« Tell Me Live ») sous diverses figures géométriques qui provoquent des effets optiques et transmettent le mouvement.

Comment ne pas succomber à un tel condensé de beauté ? La musique de Jaye Jayle n’a pas d’équivalent. Cette noirceur est enluminée de brefs éclairs suffisamment perceptibles, chaque titre est relié par un fil ténu mais insécable. Il y a quelque chose d’infiniment présent où le passé refait surface furtivement avant de s’éloigner. C’est une addiction secrète, qui se métamorphose en un plaisir coupable qu’on ne voudrait pas partager. « Warm Blood and Honey » fait corps en un entrelacement relatif au soleil, une lueur naissante qu’il faut distinguer dans un relief inconnu, on se sent incorporé dans cet univers. Jaye Jayle conclut l’album avec le déroutant « When We Are Dogs », magistral tombé de rideau où la voix de Bonnie « Prince » Billy se mêle au saxophone de Patrick Shiroishi, dans un enchevêtrement musical qui magnifie ce magnum opus jusqu’au dernier souffle. Avec Don’t Let Your Love Life Get You Down, Jaye Jayle nous livre un chef-d’œuvre divinement enflammé.

Franck Irle

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