Dead Meadow – Force Form Free

Publié par le 1 janvier 2023 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Blues Funeral Recordings, 9 décembre 2022)

Difficile d’apposer un référentiel avec Dead Meadow qui semble avoir définitivement largué les amarres, Force Form Free s’enfonce encore plus loin dans l’indescriptible, rompant avec les riffs pachydermiques pratiqués depuis Howls from the Hills (2001) ou Shivering King and Others (2003). Le chant s’y trouve d’ailleurs absorbé par l’entrelacement des guitares dont la viscosité organique et chimique brouille toute forme de perception.

En filigrane, les dissonances grunge du trio ne se sont jamais volatilisées, et cette sonorité identifiable à nulle autre est en quelque sorte leur unique marque de fabrique, leur conférant un statut désormais légendaire, parmi les formations les plus respectées.

Depuis l’immense Old Growth et plus récemment, le monumental The Nothing They Need, Dead Meadow a pris la tangente, avec un album plus court, essentiellement instrumental. C’est une sorte de rituel musical, où rien n’est figé, les guitares rampent et s’entremêlent en textures méconnaissables, « The Left Hand Path » sonne comme une conclusion, illustrant même un convoi funéraire, la fuzz sombre se répand en éclaboussures fuligineuses, une plongée lysergique où les visions et les couleurs constituent une porte de sortie et une entrée vers un autre monde irréel. Et le voyage se poursuit vers les confins de l’inconnu, ici point d’aridité désertique, pas de sable ni de poussière, ce n’est pas du desert rock, chaque titre est la pièce d’un puzzle perpétuel, une expansion à l’échelle de l’atome vers des dimensions insondables. Le chant en lévitation de Jason Simon ponctue discrètement le disque, noyé dans un magma acide et parfois acoustique (« To Let the Time Go By »).

Il y a surtout cet effet hypnotique, comme pour sceller le destin d’un heavy rock maintes fois exploité, revisitant la bande sonore d’Ennio Morricone (« Valmont’s Pad »), le trio se lance dans une excursion déroutante, une sensibilité plus marquée, certes moins évidente mais cachée dans les recoins de structures répétitives. Dead Meadow a opté pour une forme libre de propulsion tendant vers l’absolu. Entre tension et béatitude, une lente odyssée dans les méandres de paysages bariolés, déstructurés, où chaque instrument est une voie d’anéantissement et d’évasion de la réalité. Comme pour mieux étioler le monde tangible et lui en donner une toute autre interprétation, Dead Meadow façonne à partir d’une matière infinitésimale l’éclosion de l’univers. Un syncrétisme moléculaire en constante métamorphose. Rares sont les musiciens qui transmute avec autant d’habileté la matière pour aboutir à une alchimie sonore aussi intense et épurée de tout artifice.

C’est un sans faute dans la discographie du groupe américain. Assurément, un mode de transport astral idéal pour s’extraire de la course effrénée d’un monde toujours en quête d’accélération et qui s’essouffle avant même d’avoir gravi le premier échelon qui mène à la beauté de l’imaginaire.

Franck Irle

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