CAN – Live in Stuttgart 1975

Publié par le 21 juin 2021 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Mute / PIAS, 29 mai 2021)

Je ne reviens pas sur les conditions de sortie de ce Live in Stuttgart et sur son caractère “inespéré”. Des fans bien plus crédibles que moi, et qui ont lu le communiqué de presse, l’ont déjà fait, il ne me servira à rien d’en rajouter.

Il est à noter, toutefois, que ce live est visiblement le premier d’une série que Mute va sortir dans les prochains mois et qu’il s’agit d’une incarnation de CAN uniquement instrumentale pour une performance largement improvisée, le charismatique Damo Suzuki ayant quitté le groupe depuis deux ans au moment de l’enregistrement.

Il se compose de cinq pistes aux titres cryptiques, pour ceux qui, comme moi, ont fait espagnol deuxième langue… Ein, Zwei, Drei, Vier, Fünf… sûrement quelque formule sataniste dont sont friands nos amis d’outre-Rhin.

Blague à part, s’il n’est à priori nullement question d’invoquer le démon ici, on s’imagine rapidement dans une situation analogue à ce que devait être certains rites shamaniques, ou druidiques (si t’es de droite, envoie “Druide” au 10666. Si t’es de gauche, envoie “Shaman” au 10667 et tente de gagner un t-shirt dédicacé de Marlène Schiappa), quand les choses échappent aux protagonistes, quand les sens en sont tout déréglés. Quelques mesures à peine et nous voilà au milieu d’un vortex extraordinaire qui ne nous lâchera qu’une fois le disque arrivé à son terme. La sensation est aussi soudaine qu’exaltante. On n’ose imaginer ce que ce devait être dans la salle. Le martellement hypnotique de la batterie produit un effet quasi immédiat. Un abrutissement enivrant nous étreint alors que nous sommes sobres (si, nous le sommes*). Nous nous retrouvons écartelés, comme charmés par chacun des thèmes développés par chacun des instruments ; plongés simultanément dans plusieurs tableaux aux couleurs et aux formes changeantes.

Pendant une heure et trente minutes, nous voilà attablés autour du festin ancien que d’autres avant nous ont longtemps recherché. Nous pouvons presque toucher des lèvres ce feu mystique auprès duquel nous nous réchauffons sans le savoir lorsque nous écoutons de la musique.
C’est la première réflexion que j’ai réussi à me figurer après avoir digéré ma première écoute.

J’ai réalisé, en me sentant un peu bête, que je venais de vivre une expérience éminemment “musicale”. Je venais d’être en prise avec la musique dans son plus simple appareil, dans son essence pure, et encore une fois, malgré sa patine résolument électrique (férocement électrique), j’ai eu le sentiment d’avoir affaire à quelque chose de séculaire, d’un peu sauvage, qui hurle à la lune, les bras levés vers elle.

Rapidement, pourtant, je me suis construit toute une batterie de références, par habitude autant que par stupidité, cherchant par là une porte qui permettrait de pénétrer le mystère de cette musique, comme si j’en avais déjà été capable, comme si il y avait un intérêt à le faire. Alors je pense aux envolées psychédéliques du rock de ces années, je pense aussi au kraut, mais c’est parce que je suis obligé, et parce qu’entre les lignes j’entends, en tendant bien l’oreille, le thème de “Vitamine C” et de “Dead Pigeon Suite” (The Lost Tapes) je pense au free jazz, au funk, et malheureusement aussi au jazz rock dégueulasse qui soudainement ne l’est plus. C’est parfois too much, il faut bien l’admettre, mais l’asphyxie fait partie de l’expérience et il ne s’agit d’omettre aucune gravité. C’est moins le théâtre des fous de Harry Haller que celui de la cruauté, auquel nous sommes conviés de force, et dans tous les cas, il s’agit de sortir pour un temps de l’ornière qu’est l’existence, par quelques moyens que ce soient.

CAN ravive la grosse Bertha d’une main, et chirurgicalise son travail de sape de l’autre. C’est absolument brillant et, selon moi, totalement irrésistible. Derrière la surabondance de notes et d’effets de manche se dissimule une grande beauté aux charmes puissants.

Un coup de maître, donc, de la part de Mute qui a parfaitement teasé son entreprise d’excavation. Ce premier témoignage aura emporté toutes les inquiétudes. Il ne nous reste plus qu’à faire preuve de patience en attendant la suite.

Max

*Non, en fait on l’est pas.

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