The Saints – (I’m) Stranded

Publié par le 26 février 2017 dans Chroniques, Incontournables, Toutes les chroniques

(EMI, 1977)

Dans le premier numéro d’une émission radio malheureusement en stand-by définitif, les chroniqueurs nous proposaient un débat un poil fallacieux : le punk est-il américain ou anglais ? Si la paternité musicale se doit de revenir aux Ramones, et la parenté du style vestimentaire et de l’attitude (qu’on pourrait qualifier de “marketing”) aux Sex Pistols, la question devient complètement inepte si on la comprend comme “qui a fait le meilleur punk ?” puisqu’à ce compte-là, c’est peut-être vers l’Australie qu’il faudrait se tourner.

En 77, avant même que Never Mind The Bollocks ne mette le mot sur toutes les lèvres, un petit groupe de Brisbane sortait ce qui est certainement un des meilleurs albums du genre. Un des meilleurs albums de rock tout court. Car finalement, la force des grands groupes étiquetés punk est certainement d’avoir fait les meilleurs albums de rock possible, sans chercher à rattacher leur musique à un quelconque mouvement, et les Saints ne font pas exception. Leur musique se rapproche de celles de leurs compatriotes de Radio Birdman, avec une influence sensible des groupes de proto-punk, un son direct, incisif, et un sens mélodique certain. La recette des champions.

Après avoir sorti leur premier single sur leur propre label, comme de bons adeptes du DIY, le groupe signe chez Sony pour son premier album qui reprend le single éponyme, tube imparable et lui ajoute 9 titres. Si on pourrait facilement se contenter d’appuyer systématiquement sur repeat à l’écoute de “(I’m) Stranded” et être déjà content du résultat, ce serait tout de même dommage vu ce que le disque a à offrir d’autre. Car ici, même le titre le plus anecdotique ferait figure de tube sur un disque des Sex Pistols ou des Clash, voire de chef d’oeuvre sur le premier album de Wire. Bien sûr, le gros de la musique des Saints tient à la formule citée précédemment, un rock’n roll assez essentiel joué à un tempo endiablé avec un son cru, servi par le chant désabusé mais irréprochable de Chris Bailey, mais ça n’empêche que le spectre de leurs compositions n’est pas si restreint : ils s’osent à la ballade avec “Messin’ With The Kids”, pire ils réussissent l’exercice haut la main, proposent des reprises sauvages (“Wild About You” des Missing Links et “Kissin’ Cousins”), un tempo lent (“Story Of Love”), des morceaux nerveux (“Demolition Girl”, “No Time”, “One Way Street”), sans se donner d’impératif de durée (la très énervée “Erotic Neurotic” dépasse les 4 minutes et le “Nights In Venice” final, pas beaucoup plus lent, frôle les 6). Et pour couronner le tout,  le jeu du guitariste Ed Kuepper saute aux oreilles tant il étoffe sans jamais être dans la surreprésentation. Ni trop limité, comme on le reproche souvent aux punks, ni trop exhubérant comme on le reproche souvent aux guitaristes techniques, parfaitement dosé et diablement efficace. La classe !

Que reste-t-il à dire ? Ce disque est simplement fabuleux, rendant aussi bien hommage aux classiques du rock avec la reprise d’Elvis que de la pop quand “Erotic Neurotic” cite le “I Wanna Be Your Man” des Beatles, ingurgitant les Stooges ou le MC5 et le recrachant dans un équilibre parfait entre fibre pop et énergie punk, rendant pour le coup obsolète le mouvement brit-pop des années 90 près de 15 ans avant son émergence. Et pour prouver qu’on peut faire un disque d’une vingtaine de titres sans temps faible et sans remplir avec des demi-morceaux, la réédition cd de (I’m) Stranded propose 8 morceaux de plus (allez, 6, il y a une version alternative de “One Way Street” et “Demolition Girl”), tous indispensables : de la face b “Lipstick On Your Collar” à la reprise phénoménale de “River Deep Mountain High” (oui, oui, le morceau d’Ike & Tina Turner), même celle qui n’a pas de titre est une tuerie ! Quant à “Do The Robot” et “This Perfect Day”, ce sont deux tubes imparables qui préfigurent l’impensable, un deuxième album peut-être encore meilleur.

BCG

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