William Tyler – Time Indefinite

Posted by on 28 mai 2025 in Chroniques, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Merge, 25 avril 2025)

En une quinzaine d’années et une poignée d’albums, le guitariste William Tyler est devenu une figure incontournable d’une country alternative instrumentale et brillante, dont le seul tort est d’être à nos yeux parfaitement inoffensive. C’est toujours très bien foutu, mais ça ne manque jamais de finir en queue de la deuxième division de nos classements de fin d’année. Time Indefinite va peut-être rebattre les cartes et viser plus haut, car il semblerait que quelque chose ait changé au royaume de William Tyler. 

La découverte de ce nouvel album fut une surprise, certes agréable, mais néanmoins profondément déconcertante. Le disque s’ouvre avec le cryptique « Cabin Six » qui ne ressemble en rien à ce que l’on connaissait du gars. Peut-être avons-nous oublié ? Peut-être n’avons nous pas été suffisamment attentifs ? Quoiqu’il en soit, on a été cueilli par cette introduction expérimentale, dont les guitares sont presque absentes, qui évoque davantage les tourments nauséeux de The Caretaker plutôt que les grands espaces américains. En utilisant des enregistrements trouvés dans les affaires de son défunt grand-père, et en les collant et les manipulant, il rejoint en quelque sorte la démarche de James Leyland Kirby et de son travail sur la mémoire et la perte de celle-ci au travers de la maladie d’Alzheimer. Le résultat est tout aussi fascinant et tout aussi tétanisant.

Le deuxième titre, « Concern » est déjà plus convenu, a priori, mais le mal est fait. Notre disposition a changé et nous n’arrivons plus à juger William Tyler comme on avait l’habitude de le faire. Chaque titre, du plus abscons au plus convenu, porte en lui une dimension mystérieuse qui ne se laisse caresser que pour mieux se dérober. Les émotions se mélangent et se percutent au travers d’une musique fondamentalement abstraite et changeante. Chaque fois que l’on croit deviner la structure de ce que l’on est en train d’écouter, une sorte d’engourdissement nous saisit et nous fait perdre le fil de ce que l’on pensait tenir. Encore aujourd’hui, on a la sensation de redécouvrir l’album à chaque écoute et rien que pour ça, Time Indefinite mérite largement que l’on s’y arrête.

On trouve dans la musique dite expérimentale une propension à stimuler l’imagination tout en la privant de formes figuratives et tangibles, ce qui rend l’intérêt que l’on y trouve difficile à expliquer et ce qui rebute souvent ceux qui n’ont pas l’habitude d’en écouter. C’est un peu ce qui se passe ici et on ne s’attendait pas à voir William Tyler atteindre de tels sommets dans ce domaine. On veut bien faire amende honorable et redécouvrir son œuvre, si ça nous permet de déterrer un joyau comparable à Time Indefinite, qui nous serait passé sous le nez jusqu’alors.

Il y a quelques mois seulement, il annulait sa tournée européenne et son passage au mythique Chair de Poule à Paris, pour soigner son alcoolisme et sa dépression. Sur le moment, notre mauvais ange lui en a un peu voulu… c’est son truc, la rancœur. Aujourd’hui, tout est oublié, car le temps à tenter de redevenir sobre lui a servi à composer cet album si beau et si singulier. À écouter dix fois, cent fois… et que son mystère demeure. 

Max

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