Throwing Muses – discographie

« Un jour, faudra que j’écoute ça. »
Combien de fois t’es-tu déjà fait cette réflexion, cher lecteur amateur de musique ? En tout cas, c’est sûrement quelque chose que j’ai pensé par rapport aux Throwing Muses. Sauf que dans les années 90, pour découvrir un groupe sans acheter le disque, il n’y avait que les potes et les médiathèques. Et Bernard Lenoir, évidemment, mais, faute de podcasts, il fallait être devant son poste de radio le jour où il décidait d’en passer un extrait. A l’époque, le hasard ne m’a jamais fait croiser ce groupe qui semblait avoir un lien avec les Pixies et les Breeders : j’ai le souvenir d’une brève dans Best (un magazine musical de l’époque, disparu quand les webzines sont arrivés), probablement en 1991 ou 1992, qui annonçait « Tanya Donelly de Throwing Muses présente son nouveau groupe : Belly. » Le fait que cette news m’ait marqué montre que j’avais déjà ce nom dans ma liste informelle de trucs à écouter.
Alors pourquoi m’y mettre en 2025 ? Déjà, parce que le groupe a annoncé une tournée en Europe avec un concert à la Marbrerie de Montreuil le 31 mai prochain, et qu’il y a peu de groupes de cette mouvance encore en activité que je n’ai pas vus sur scène. Et accessoirement, parce qu’un onzième album vient de sortir. Un alignement de planètes, pourrait-on penser.
Reprenons la fiche Wikipédia : en 1983, deux amies d’enfance devenues demi-sœurs, Kristin Hersh et la fameuse Tanya Donelly, montent un groupe (nommé initialement Kristin Hersh and the Muses, montrant déjà l’ascendant de la première sur la seconde). En 1985, grâce à l’ingé-son Gary Smith, Throwing Muses devient le premier groupe américain à signer sur le label anglais 4AD, qui publie un premier album sans titre l’année suivante (avant de signer un autre groupe de la même scène : les Pixies*). En 1989, Tanya crée un side-project avec Kim Deal des Pixies, intitulé The Breeders. Les deux éprouvent probablement un peu de frustration quant à la place laissée à leurs compos dans leurs groupes respectifs. En 1991, Tanya quitte les deux groupes pour fonder le sien (le fameux Belly, qu’il faudra que j’écoute un de ces jours).

Pendant ce temps, Throwing Muses continue de sortir des disques en trio, tandis qu’en parallèle, Kristin Hersh commence une carrière solo. J’ai d’ailleurs écouté un de ses albums avant ceux de son groupe, appâté par l’excellent podcast de Sylvia Hansel consacré à l’une de ses chansons, et par une apparition inspirante dans un vague documentaire allemand d’Arte sur les femmes dans le rock. Ma première impression sur sa musique a été mitigée : dans la veine d’une PJ Harvey (en moins théâtrale), avec une petite voix travaillée au papier de verre. Il y avait moyen que ça finisse par me plaire, mais ça risquait de prendre un peu de temps. Et puis en 2020, Throwing Muses a sorti un album, Sun Racket. Enfin une occasion de découvrir ce groupe. Après quelques écoutes, j’ai fini par le perdre de vue, sans m’en rendre compte. Pas désagréable, mais pas inoubliable non plus, et pas forcément ce que j’avais envie d’écouter entre deux confinements. Il a fallu quelques années de plus et l’annonce de ce fameux concert pour que je décide de m’y mettre sérieusement.
Par où commencer ? Déjà, en tapant le nom du groupe dans le moteur de recherche d’une plateforme de streaming française dont je tairai le nom pour ne pas lui faire de la pub vu la rémunération ridicule qu’elle accorde aux artistes. Je fais défiler les pochettes des albums présents avant d’en reconnaître vaguement une, élégante comme une pochette des Cocteau Twins (la patte 4AD, probablement). J’avais dû l’apercevoir dans la presse musicale de l’époque, vu que cet album (le n°5), intitulé Red Heaven, est sorti en 1992. C’est le premier sorti sans Tanya Donelly, et mon idole Bob Mould, qui s’apprêtait à monter Sugar, y fait une apparition sur un titre, le rageur « Dio ». Il ne dépare pas la production de l’époque : grosses guitares et racines bluesy, comme une sorte de version East coast et féminine des Screaming Trees (qui est paradoxalement l’un des groupes les moins féminins de l’histoire du grunge. Quoique). Et même quand ça démarre comme une ballade, ça finit avec les potards dans le rouge (« Pearl »).
Encouragé par cette entrée en matière, je décide de reprendre l’ordre chronologique, en commençant par la compilation In a Doghouse. Constituée du premier album, sorti en 1986, de la première démo de 1985 (surnommée The Doghouse Cassette, rapport à sa pochette représentant une niche) et de morceaux de 1983 enregistrés en 1996, elle donne une impression très différente, comme un bœuf improbable de Siouxsie avec des musicos des Feelies et du Gun Club. Un peu rêche pour le fan de mélodies que je suis.
L’album suivant, House of Tornado, sorti en 1988, est à peine plus accessible. C’est sur le troisième, Hunkpapa, que ça devient plus pop, évoquant même le college rock nerveux et stylé des premiers R.E.M. sur « Dizzy » ou « Angel ». Comme le quatuor d’Athens et d’autres groupes ayant démarré au début des années 80, Throwing Muses a le cul entre deux chaises : des débuts avec le son aigrelet et métallique des années 80, et des guitares et une rythmique qui s’étoffent au fil des albums. En outre, Kristin Hersh et Michael Stipe partagent un goût pour les paroles cryptiques. Le second fera d’ailleurs une apparition sur un album solo de la première quelques années plus tard.
En 1991, The Real Ramona confirme cette évolution : des guitares chatoyantes et saturées, des voix aériennes qui annoncent les Breeders sur « Not Too Soon » ou sur la dernière chanson, une jolie ballade intitulée « Two Step ».
Le départ de Tanya Donelly n’enraye pas cette évolution, puisque le ton monte encore d’un cran sur Red Heaven et sur ses deux successeurs. University, c’est l’apogée du groupe, en 1994 : il démarre par son seul tube (« Bright Yellow Gun »), un rock assez classique, nerveux et tendu, suivi de trois autres morceaux combinant riffs puissants, rythmique de plomb et chœurs subtils (« Start », « Hazing » et « Shimmer »). La suite est plus calme mais contient quelques perles, notamment l’un des plus beaux morceaux du groupe : « That’s All You Wanted », avec le violoncelle de Jane Scarpantoni (qui a déjà sublimé le premier album solo de Bob Mould) et ses voix féériques en mode Stereolab.
Le dernier album de cette « trilogie », Limbo, est plus rustique et un poil moins grunge, évoquant par moment le country-punk barré des Violent Femmes ou du Dry de PJ Harvey, notamment sur « Freeloader ». Et c’est encore le violoncelle (cette fois de Martin McCarrick, passé chez Siouxsie et plus tard par Therapy?) qui transcende le magnifique « Serene ». Les compositions sont plus tortueuses que jamais, témoignant peut-être d’un groupe en fin de cycle et proche de la séparation.

Quand le trio se reforme après sept ans de silence pour un huitième album homonyme (avec un coup de main de Tanya Donnelly pour les chœurs), c’est pour envoyer les watts : une cavalcade punk en ouverture, un son albiniesque, et toujours ces structures chaotiques et ces breaks déroutants. Cette fois encore, la proximité sonore avec PJ Harvey est notable (« Pandora’s Box », « Status Quo »).
Il faudra attendre dix ans de plus pour la suite, intitulée Purgatory/Paradise. Ce double album ambitieux et multidimensionnel est plus aride et plus difficile d’accès, malgré quelques petits bijoux (« Sunray Venus »). Que dire pour terminer de ma réécoute de l’album de 2020, Sun Racket ? La surprise de me rendre compte que j’avais mémorisé quelques riffs, même s’il fait pâle figure face aux monuments publiés par ce groupe attachant et intriguant dans les années 90.
Quant au petit dernier, intitulé Moonlight Concessions, c’est probablement le plus intimiste et le plus acoustique du groupe, au point qu’on pourrait le croire produit par John Parish. Mais on retrouve cette voix caractéristique à la fois flûtée et rauque, qui évoque une Kim Deal en voie de Faithfullisation.
Le fil conducteur de cette musique, c’est probablement, comme pour PJ Harvey, l’influence de Patti Smith : le même chant rauque et déchirant, la même manière de concasser les standards du rock bourrin de son époque pour en faire quelque chose de plus riche et de plus original. Avec sans doute plus de constance que la poétesse new-yorkaise, qui est passée à autre chose au bout de quelques albums, malgré quelques rechutes.
Si Throwing Muses n’a pas connu le même succès que ses compatriotes des Pixies ou même des Breeders, c’est probablement lié à cette absence de concessions sur le plan de l’écriture, entre les mélodies malmenées et les structures déroutantes, mais surtout sur le plan de la carrière, guidée par une volonté farouche d’indépendance, comme en témoigne la création du label Throwing Music en 1996. Ça m’a pris du temps pour m’immerger dans cet univers, mais ça valait le coup de faire l’effort, et je suis très loin d’en avoir fait le tour…
Myfriendgoo
*On vous a déjà raconté l’histoire des Pixies, on y évoquait d’ailleurs brièvement les Throwing Muses.
Rien de tel qu’une playlist pour finir :