The Jesus Lizard – Rack
On le craignait quelque peu ce retour, ne le nions pas. En 1999, The Jesus Lizard avait réalisé ce geste tout à fait louable et finalement peu commun : se retirer après six albums et une poignée d’EPs, tous indispensables à quelques chipotages près, plutôt que d’empiler les disques, juste pour montrer qu’on est toujours là même si on a méchamment vieilli et que la flamme vacille (pensez à qui vous voulez, je veux pas d’emmerdes). En 26 ans*, il s’en passe des trucs, on prend tous un coup sur la carafe et on aurait pu se retrouver avec un Jesus Lizard mou du gland en 2024. Personne ne voulait ça, on l’aurait très mal encaissé. Et on souffre assez comme ça.
The Jesus Lizard avait déjà fait taire quelques circonspects et rassuré les inquiets avec son premier single, « Hide & Seek », judicieusement placé en ouverture pour cogner dru. Oui ce morceau a d’emblée quelque chose d’ultime en lui, à commencer par ce « She’s not an idiot, just a witch » qui, chaque fois qu’on l’entend, ne nous quitte plus de la journée. Saignant, tendu, direct… Le quatuor de lézards christiques est tout sauf un ramassis de demeurés mais on aime bien quand il nous le fait croire et accomplit ce qu’on était en droit d’espérer : nous rentrer dans le lard. Primitivement, juste de quoi susciter l’envie irrépressible de pousser le volume de manière irréfléchie. Ça semble peu comme ça mais c’est énorme, surtout un quart de siècle plus tard, surtout avec un tel CV et les attentes qu’il engendre.
« Grind » est du même bois. Du genre incassable mais hautement inflammable. Et on ose à peine évoquer « Falling Down » et son crescendo final des plus glorieux.
Mais le lézard sait évidemment faire autre chose que foncer droit devant. N’oublions pas que le meilleur morceau de son histoire demeure le monumental « Zachariah » issu du prodigieux Liar (ah bon ? Peut-être bien). Il excelle quand il s’agit de tortiller un peu plus du fion et semer un groove insidieux. Ici, ça ne fonctionne pas à tous les coups aussi bien qu’on le voudrait (après une entame ô combien prometteuse, « Armistice Day » se prélasse et finit par lasser) mais quand ça prend pour de bon, c’est irrésistible. Démonstration éclatante avec le rampant « What If? » qui n’a pas dû déplaire au patron d’Ipecac, tant il peut évoquer certaines ambiances affectionnées chez Tomahawk, David Yow endossant le costume inattendu de narrateur qui prend de la hauteur. Ou le fabuleux « Alexis Feels Sick » avec un Yow aussi théâtral qu’à ses grandes heures, que l’on imagine mouvoir sa carcasse décharnée et beugler sous les coups… L’Alexis en question qui a un coup de mou ? Le batteur de Girls Against Boys, Alexis Fleisig, qui a dû apprécier le clin d’œil et le formidable travail de l’infernale doublette rythmique Mac McNeilly-David Wm. Sims. Quant à Yow (dont la voix est très en avant, l’époque Albini est loin… mais c’était déjà le cas des deux derniers albums chez Capitol), s’il chante « I’m sick and tired of this fakery » sur l’excellent « Swan the Dog », nul doute qu’il s’est éclaté autant que nous et en a encore sous la semelle.
Rack n’est sans doute pas l’album de l’année, encore moins le meilleur de Jesus Lizard mais quelle joie de retrouver ces quatre-là, un Duane Denison formidablement inspiré au sein de SON groupe, un groupe qui sait ce qu’il fait, a mûri le projet, ne s’est pas contenté de faire du fan service (même si on peut déplorer une certaine flemmardise sur un titre comme « Dunning Kruger ») mais a mis les ingrédients pour combler tout amateur de noise, de rock, de musique, de vie. Rien ne pouvait entacher la légende mais on n’aurait pas parié lourd sur la capacité du groupe à l’embellir encore un peu plus.
Jonathan Lopez
*26 ans depuis Blue, sorti en 1998. Vous aviez bien cru qu’on était nuls en maths, hein ?