Squid – Cowards

« On s’arrête, on réfléchit » clamait, un peu prétentieusement, un mensuel français à tendance diplomatique et telle fut la réaction intérieure de votre serviteur-choniqueur à l’écoute de Cowards, troisième album des Anglais de Squid, en provenance de la décidément productive Brighton (qui a entre autres enfanté les magnifiques Eighties Matchbox B-Line Disaster). Il faut effectivement s’arrêter et prendre le temps car Squid prend ici plaisir à tout déconstruire, reléguant le chorus-verse-chorus au rang des vieilleries British pop. La structure élastique et funambulesque de l’album ressemble plutôt à la bande-son dans l’esprit légèrement torturé et obsessionnel du batteur/chanteur Ollie Judge. Comme dans « Crispy Skin » tout en acidité, poussée psychédélique et orgue débridé, écrit après la lecture de Tender Is The Flesh, le roman d’Agustina Bazterrica, une écrivaine argentine qui avait imaginé une société fondée sur le cannibalisme produisant les humains à la chaine. « Building 650 », acide et bancal, reste dans la thématique et met en scène Frank, en référence au personnage dans Miso Soup de Ryu Murakami, qui parcourt durant trois nuits de terreur le quartier de Shinjuku, à Tokyo. Deux morceaux et déjà deux histoires de meurtre/massacre, qui donnent la coloration de ce Cowards dans lequel l’écriture est la grande force. Chaque note est pensée, réfléchie et discutée au sein du groupe, chaque mot est soupesé et à sa place. Le lancinant « Blood on the Boulders » est par exemple incroyable de solennité et de beauté, avant de vriller sans crier gare comme son personnage Brian, et le sang qu’il fait couler sur les rochers (boulders), chauffés à blanc par le soleil californien. « Fieldworks I » et « Fieldworks II » dévoilent deux épisodes, dont le premier rappelle Godspeed You! Black Emperor, et sa tension étouffée. L’épisode II démarre par un tic-tac anxiogène et pesant pour finalement s’envoler vers des arrangements de violon aériens, dans une version Sigur Ros-ienne tordue.
D’une belle et noire subtilité, ce troisième album des Brightonians manie brillamment krautrock et rock psychédélique, mais comme le ferait un groupe anglais, avec cette pointe d’incertitude et d’accablement. « Cro Magnon Man », un des singles de l’album mais pourtant pas le morceau le plus facile, met en scène un « cro-magnon cubique » aux accents très Neu !. « Cowards » est la plus belle chanson de l’album, avec cette élégante nonchalance à la Stephen Malkmus de Pavement. « Showtime » lasse, mal placé en fin de disque, on y atteint la surdose de léthargie littéraire. Mais « Well Met » nous rattrape et nous propulse dans un paysage cinématographique infini, grâce à un distingué duo Ollie Judge/Clarissa Connelly (vue à la Route du Rock).
Album exigeant, construit, entrelaçant le jazz, la folk, le funk froid, le krautrock, le prog-rock, l’electro, sans tomber dans de l’art rock pénible, laissant découvrir sa richesse au fil des écoutes, Cowards parle ce « langage collectif », comme le revendique le groupe. Un langage complexe mais qui, une fois appris et maitrisé, ouvre grand les Portes de la perception.
Maxime Guimberteau