Space Oddities – Bernard Fèvre, 1976-1985
Il serait fâcheux de confondre Fèvre avec Estardy, et même de comparer leurs musiques avec un certain Jean-Michel. La collection Space Oddities s’étoffe d’un nouveau volume consacré au sorcier des synthés, Bernard Fèvre. Loin du clonage à la chaîne de genres musicaux, c’est à partir de 1975 qu’il publie un premier album, Suspense (sur le label Musax), dont le titre colle parfaitement avec cette sonorité pâteuse venue d’un ailleurs jusque-là inconnu. Personne n’a encore puisé autant dans les fonctionnalités des synthés analogiques et des boites à rythmes. Ce concentré de bandes magnétiques n’a pas perdu de sa substance, déjà restaurée en 2015. Oscillateurs, séquenceurs rythmiquement symétriques, échappées interstellaires sous la forme de nappes, Bernard Fèvre s’inspire de la musique de Tangerine Dream période Rubycon ou de Roger Roger avec pour distinction des spirales de Moog. Il faut prendre le temps de l’écouter premièrement pour visionner les volutes que suggère son auteur.
En dehors de son état civil, dans lequel il officie en tant que sorcier de studio, Bernard opte pour différentes identités musicales dont Milpatte, avec une série de 45 tours synth-pop dont « Je Vais Danser » ( Disc’AZ) et plus proche des formats radios, pour la chanteuse Bisou avec le non moins explicite « Glace à la Vanille ». Milpatte sera sa signature pour ses musiques d’illustration, notamment pour la série April Orchestra. Et pour mieux brouiller les pistes, à l’apogée du disco, le duo Black Devil avec son comparse Jacky Giordano, organiste de renommée, surgit comme pour sublimer un genre musical vulgarisé. L’album Disco Club se veut atypique, une exception dans le paysage de ce nouveau genre qui sévit partout.
Revenons après ce prélude au disque proposé par Born Bad Records qui compile inédits, dont un titre reggae, et titres plus représentatifs comme « Cimes Éternelles », extrait du classique et indispensable Cosmos 2043. Toute la thématique de Bernard Fèvre est majoritairement axée autour de l’espace, de la SF ou plus étrangement vers une musique discoïde non cadrée avec les tendances contemporaines, une vision personnelle qui se rapproche des délires de Jean-Pierre Massiera (Visitors, Herman’s Rocket), tout en restant éloignée du courant de la space disco de Didier Marouani (Magic Fly). Dissociatif dans sa manière d’aborder la musique synthétique, Bernard Fèvre fait un pied de nez à la vieille école progressive. Apôtre de néologismes sonores, le succès ne sera guère l’objectif premier, bien au contraire, le statut de Bernard Fèvre est désormais celui d’un artiste culte. L’intérêt de ce volume ne réside pas à réunir pêle-mêle des titres choisis au hasard, c’est un gisement dans le catalogue musical immense d’un musicien longtemps mésestimé. Un exemple ? Ecoutez « Space Team » et vous voilà projeté dans une autre dimension. Et puis vient l’irrésistible envie de remettre ça, de réécouter à l’infini, chaque titre pour recommencer encore, tel un derviche tourneur. Bernard Fèvre est à juste titre, considéré comme un orfèvre de la musique analogique.
Franck Irle