i Häxa – i Häxa
Les personnes qui connaissent mon engouement pour les productions atypiques en provenance de contrées brumeuses de l’esprit, savent à quel point il m’est insupportable d’utiliser toutes les options langagières d’un cartel d’artistes, dont les codes et les genres, ne cessent de se répéter. Pour saisir les intentions d’une œuvre, ne faut-il pas laisser la musique parler d’elle-même ? Rebecca Need-Menear et Peter Miles ont réuni leurs inspirations pour présenter un album constitué de plusieurs chapitres déclinés en 4 EPs. i Häxa est une aventure sensorielle, un jeu de piste intentionnel fait pour dérouter et renforcer les mystères que constitue l’origine plurielle de la création.
Tourment cérébral et musique d’outre-tombe, l’image se confirme, à vous de choisir. Une narration où sont comparés le religieux et la divinisation des réalités technologiques, sur des nappes atmosphériques. Par contrecoup, dans un amour éperdu de création, i Häxa plonge dans les entrailles de la terre, Avec « Underworld » le décor sombre est planté, là sous nos yeux, au départ éthéré avant un déluge de saturations industrielles, la descente aux enfers de « Inferno » avec son piano désaccordé est plus lente mais abordée dans une forme récitative dont la tension crescendo, en devient cauchemardesque avant de se retrouver seule face à un festin. « Last At the Table » augure dans ce premier chapitre une musique plus complexe, confirmée par « Sapling » dont le trip-hop parachève en beauté les tableaux évoqués par les mots de Rebecca.
Si Häxa est dans sa traduction, l’étymologie du mot sorcière, il n’en demeure pas moins qu’en tant que magiciens sonores, le duo se démarque dans les titres suivants qui forment le deuxième chapitre. Ecartelés entre le désespoir et l’infime promesse d’une lueur dans cette interminable nuit, le parchemin musical qui se dresse devant nous est d’une sincérité émotionnelle, dont même la signification du silence serait l’expression de plusieurs choses à la fois. L’acoustique « Eight Eyes », aux motifs obsédants, se transforme lentement en post-rock tendance trip-hop. La plupart des titres s’enchainent sans transition. De ce dernier, on passe à « We Three », plus electro avec un spoken word récurrent dans l’ensemble de l’album. Motifs pour public émotif, « Dryland » grimpe aux sommets, impulsant une énergie soudaine par ses rythmiques et ses harmonies vocales. i Häxa prend de la hauteur, le vertige diminue momentanément, cette sensation de ne pas être présent tout en étant passé par l’infime brèche de l’instant, est à rapprocher de l’album de Lila Ehjà et de l’univers de Mütterlein. L’acmé est toujours située en bout de route, « Circle » est ainsi la pièce la plus touchante, le genre de titre qui ne vous lâche jamais, comme la corde qui retient le pendu. Hasard du calendrier, le disque paraît au bon moment. Étonnamment, il pourrait être perçu comme l’une de ces œuvres religieuses échappant à toute évaluation. Loin d’être un simple pèlerin de l’approximatif, je souhaite accorder à chaque titre l’attention nécessaire pour explorer ses nombreuses dimensions. Ce n’est pas pour éviter un sujet, mais pour en enrichir le contenu, ses multiples formes et pour déjouer les élégies qui entourent le sacré.
Franck Irle