Elephant – III

Posted by on 29 mai 2025 in Chroniques, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Excelsior Recordings, 28 mars 2025)

Peut-on vraiment aimer pleinement un groupe dont la musique est si fortement marquée par ses influences qu’elle en vient parfois à sonner comme une copie conforme ? Prenons III, le dernier album du quatuor néerlandais Elephant. Sur « Tried to Sleep », une berceuse folk à l’atmosphère cotonneuse, démarre à 1’25 un solo que l’on pourrait croire exécuté par Nels Cline, le guitariste de Wilco. La ressemblance avec celui d’« Impossible Germany », tant dans le choix des notes jazzy que dans l’harmonie, ne pourra échapper à aucun mélomane averti. Et pourtant, ça fonctionne. Parce que la composition est absolument sublime, que le chant est irrésistiblement attachant, et que l’interprétation, tout comme la production, sont au diapason.

Les quatre gars d’Elephant ne sont peut-être pas encore pères, mais leur musique sonne résolument dad rock, avec ce mélange de folk-rock ensoleillé et de mélodies nostalgiques qui évoque le revival 70s mené par des groupes comme Beulah ou Band of Horses au début des années 2000. III est leur troisième album, pour un groupe qui a pas mal tourné en Europe ces dernières années, bâtissant une solide réputation scénique. Sur scène, ils jouent à trois guitaristes — dont deux alternent entre la basse et les parties lead — et déploient un mélange réussi de virtuosité et de confort d’écoute. Rien n’a vraiment changé depuis les déjà très bons Big Thing et Shooting for the Moon. Le groupe alterne ballades folk et morceaux plus énergiques, dans la lignée de Nada Surf, dont ils ont récemment assuré la première partie.

Même lorsque le groupe glisse un vocodeur sur « 20k » ou invite la chanteuse Sofie Winterson sur deux titres, il reste fidèle à son style. Et ça marche : les compositions sont si efficaces, si touchantes, qu’on se laisse totalement embarquer. Comme évoqué plus haut, ce qui distingue Elephant, au-delà de ses qualités d’écriture, c’est la musicalité et le tranchant de ses solos de guitare, qui contrastent avec la douceur générale de son univers sonore. Cet alliage donne naissance à quelques-uns des plus beaux morceaux de l’album, comme le très mélodique single « Memories » ou la douce mélancolie de « Trust Me I Feel It Too ».

Bien qu’issus des Pays-Bas, les membres d’Elephant évoquent parfois de lointains cousins australiens ou néo-zélandais comme Rolling Blackouts C.F. ou The Beths, autres experts en joie mélancolique — ou en mélancolie joyeuse, c’est selon —, qu’on imagine tout aussi bien jouant sur une plage au soleil couchant, planche de surf sous le bras. Alors je repose la question : peut-on vraiment aimer un groupe qui semble fuir toute forme d’innovation ? Eh bien, oui — quand, comme ici, il n’y a ni calcul cynique, ni posture forcée, juste l’amour sincère des belles chansons.

Yann Giraud

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