Coilguns – Odd Love

Publié par le 26 novembre 2024 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Humus records, 22 novembre 2024)

Que se passe-t-il en Suisse ? Il se passe que le pays est encore pour nous un gigantesque cliché :  alpages, propreté, fromage, paradis fiscal, conformisme. Voilà pour la face A. La face B est toute autre : rugueuse, rappeuse, dissonante. La scène alternative de l’autre côté des Alpes est ancienne, et celles et ceux qui la peuplent font de la musique. Depuis des années, remontons aux débuts des Young Gods en 1987, le pays est pourvoyeur de sons hors normes : Knut, Nostromo, l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp, When Icarus Falls, Ventura (pour ne citer qu’eux). Et donc Coilguns. Découverts tardivement par l’auteur de ces lignes grâce à leur split avec le très bon groupe français Birds in Row, les quatre Chaux-de-Fonniers (de Chaux-de-Fonds, tout près de la France, dans le massif du Jura), sortent leur quatrième album et ne font toujours pas dans la facilité.

Est-ce parce que Chaux-de-Fonds est la ville d’origine de Le Corbusier, est-ce l’air du Jura ? Toujours est-il que Odd Love est un disque très structuré, tendu, volumineux, en colère et qui ne s’arrête (presque) jamais. Sur ce type de musique, les fondations doivent être à la hauteur, elles le sont ici. Luc Hess, le batteur, n’a rien à envier à David Sandström, son confrère de Refused. Sa frappe est lourde, nerveuse, dès le premier morceau, « We Missed The Parade », suspendu à une guitare en arpège tout en tension. Et déjà les chœurs, présents sur tout le disque, la marque de fabrique de Coilguns. On comprend que le groupe a changé, peut-être moins de Converge, plus de Gojira, la complexité en plus. « Placeholders » est une incantation avec un final léché et puissant. La touche de Jonathan Nido, le guitariste, est indéniable. Il est celui qui donne leur teinte aux morceaux, ses acolytes charbonniers se chargeant d’alimenter le haut fourneau en combustible. En lisant comment fonctionne un haut fourneau, on apprend que celui-ci « réagit avec le coke, les minerais et les fondants, et émerge comme gaz de gueulard ». Le chanteur Louis Jucker est ce « gaz de gueulard », un mélange suisse entre Zack de la Rocha et Cedric Bixler avec lesquels il partage un chant à fleur de peau et un goût pour la chevelure dense et bouclée. Sur « Skincare », à la 2ème minute le morceau entre en éruption metalcore pour ne plus se calmer. Dans « Black Chymes », le batteur tient la barque dans une tempête noise-rock infernale, c’est lui le taulier. Niveau production, Coilguns est aussi passé à autre chose, le groupe a réalisé lui-même une grande partie du travail mais a également recruté Tom Dalgety (Pixies, Ghost, Royal Blood) et Robin Schmidt (Liam Gallagher, The Gaslight Anthem) pour mixer et masteriser l’album. Et ça s’entend, quel volume ! Comme s’entend le clavier de Kevin Galland, aussi bassiste, qui nappe les morceaux de pesanteur.

Sur « Bandwagoning », lourd comme un Deftones, le chaudron déborde avec ce refrain redoutable : « Breathing fine, holding on to ignoring slurs, us freaks won’t surrender, to the daily stress you’re living under » hurle Louis Jucker. Mais le problème avec ce roller coaster lancé à pleine vitesse, c’est de s’arrêter, ce qui peut être risqué. Après avoir soufflé le très très chaud, Coilguns tente de calmer sa furie imprévisible avec « Caravel » et son piano lourd, rythmique, qui lorgne vers l’emo et le post-metal, honnête mais trop prévisible. Même problème avec « The Wind To Wash The Pain », une balade de 3 mns qui fait rater le sans-faute, avec le titre déjà. Le morceau est pourtant clippé par le groupe mais le final de cette balade avec un piano lointain et le bruit des mouettes laisse dubitatif.

Heureusement « Venetian Blinds » rattrape tout. Coilguns signe là son meilleur morceau, Louis Jucker marche sur une crête, utilise tous les registres de son chant entre légèreté et explosion. Quel frisson. « Bunker Vault » est le dernier arrêt de ce disque, un long et magnifique morceau de huit minutes tout en oscillations soudaines. Le roller coaster suisse en fusion rentre enfin en gare et nous laisse exsangues. Il y a quelques années, sur Quarantined d’At The Drive-In, Cedric Bixler chantait : « A single sparkle can start a spectral fire ». On ne pourrait mieux décrire ce Odd Love.

Maxime Guimberteau

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