Car Seat Headrest – The Scholars

Posted by on 23 mai 2025 in Chroniques, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Matador, 2 mai 2025)

C’est un comble : la première fois de ma vie que j’ai la possibilité d’écouter un album aussi longtemps avant sa sortie, je me retrouve à rendre ma copie après tout le monde. Non pas que je ne sache pas quoi dire sur la dernière production d’un de mes groupes préférés du milieu des années 2010 ; ce serait plutôt l’inverse. J’en ai donc profité pour aller voir ce qu’en disaient les autres avant de mettre le point final.

On avait bien cru le perdre pour de bon, notre cher Will Toledo. Stakhanoviste de la plateforme Bandcamp au début des années 2010, il y a publié 11 albums en 4 ans, enregistrés en partie dans sa voiture avec un appui-tête comme horizon (d’où le nom de son projet). Un certain public a suivi, et Matador ne s’y est pas trompé lorsque le bonhomme a déménagé à Seattle pour y former un vrai groupe, tout en gardant le même nom.

Après des débuts prometteurs, le quatuor ainsi formé a dérouté son fan-club (including me) en 2020 avec Making a Door Less Open, un album pas honteux (je l’ai réécouté depuis, il y a plein de bons morceaux et de bonnes idées), mais truffé de gimmicks électro et dont le son compressé, à l’instar de pas mal (trop ?) de productions actuelles, tranchait avec les mashups classic-rock lo-fi auxquels il nous avait habitués. Pour bien plomber le groupe, quelques confinements et un COVID long pour son leader nous ont laissé quasiment orphelins de ces espoirs du rock indé. D’où les cinq ans (et un jour, marketing oblige) d’écart entre l’album précédent et ce nouvel opus dont je vais bien finir par vous parler dans cette chronique à rallonge.

L’expression « à rallonge » caractérise bien l’œuvre de Car Seat Headrest, et si The Scholars reste loin du record de Will Toledo (deux heures et neuf minutes au compteur pour le vertigineux Nervous Young Man, l’avant-dernier album de la période Bandcamp), il contient tout de même un enchaînement de trois morceaux de plus de dix minutes, pour une durée total d’une heure et dix minutes. Inconditionnels des Ramones, passez votre chemin (je ne vise personne en particulier).

Au niveau du son, le travail n’a jamais été aussi propre. Certes, Will Toledo n’est pas devenu Jim Morrison, et sa voix en mue perpétuelle à la limite de la justesse peut toujours irriter les amateurs de belle musique harmonieuse. Mais les grosses guitares bavent moins qu’avant, sans avoir perdu de leur énergie. Et une deuxième voix lead apparaît : celle d’Ethan Ives, l’ex-bassiste devenu guitariste et co-compositeur, qui donne un petit côté « Divine Comedy qui recombine le “Five Years” de Bowie avec le “Wish You Were Here” de Pink Floyd » au très doux « Reality ».

J’ai pas mal lu que cet album était trop ambitieux. Pourtant, la seule chose qui le différencie des œuvres précédentes du groupe, c’est le soin apporté à sa réalisation. J’ose à peine parler d’album de la maturité pour un quatuor qui s’escrime à chroniquer sous toutes leurs facettes les tourments et les espoirs déçus de la vie étudiante, comme en témoigne le titre de l’album (et probablement ses paroles auxquelles je ne me suis pas encore vraiment intéressé). Et si je ne peux m’empêcher d’évoquer l’étiquette infamante « rock progressif » pour décrire cette musique, je ne pense pas à la fuite en avant dans la virtuosité, la prétention et la recherche de respectabilité qui a caractérisé les années 70 et suscité la vague punk en réaction. Je pense plutôt (toutes proportions gardées) à un hommage aux histrions qui ont secoué le cocotier avec des œuvres conceptuelles, parfois pompeuses mais bourrées d’idées géniales et d’auto-dérision : les opéras rock des Who, le « Bohemian Rhapsody » de Queen (fortement inspiré des précédents, d’ailleurs), Ziggy Stardust (forcément), mais aussi le monumental double album de Peter Gabriel (pardon, de Genesis ; le dernier avant que Philou ne délaisse les fûts pour le micro) : The Lamb Lies Down on Broadway. À ce stade, les rares punks qui avaient tenu jusque-là doivent logiquement être en PLS.

Si Will Toledo a renoncé à insérer des bouts de reprises dans ses morceaux depuis que Ric Ocasek des Cars a fait envoyer le premier pressage de l’album Teens of Denial au pilon au motif que le facétieux jeune binoclard avait osé modifier les paroles d’un de ses couplets en le reprenant, il ne fait pas mystère de ses influences. C’est d’ailleurs officiel dans la com’ du groupe : The Scholars est un « opéra rock » et un « concept album » inspiré par deux de ceux que j’ai cités, mais aussi par des compositeurs (on ne peut plus) classiques. Pourtant, ça reste de la power pop d’excellente facture, nerveuse et variée, et assez libre vis-à-vis du format des morceaux. Pas d’orchestre symphonique à l’horizon, seulement du piano et des nappes de clavier par-ci par-là.

Et si le groupe se tient (volontairement ou non) à bonne distance des expérimentations bruitistes des Sonic Youth & co, il a trouvé un très bon équilibre entre facilité pop et complexité d’écriture pour nous livrer un excellent disque de passionnés de musique (en général) et de rock (en particulier).

Myfriendgoo

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