Bank Myna – Eimuria

Frequencies, 25 avril 2025)
Lorsque le poids de la détresse du monde nous fait courber de douleur, nous faut-il lever les yeux pour apercevoir une porte de sortie, menant vers un autre ailleurs ? Il est étrange de constater que naît au moment où l’on s’en doute le moins, une œuvre qui vient nous consoler et consolider l’idée que la musique est une compagne de tous les instants, nous replaçant non pas au centre du monde, mais en tant qu’intervenants. Avec Eimuria, deuxième album de Bank Myna, le groupe démontre comment ses compositions mélismatiques se fondent dans les incandescences du feu, non pas pour s’y éteindre, mais pour étreindre les symboliques de vie et de mort.
De par les textures vocales éthérées de Maud Harribey, le quatuor échappe aux descriptions et aux raccourcis, créant ces remarquables atmosphères, qu’augure « No Ocean of Thoughts », la vision de quelqu’un qui vous attend au bout de la route. Des mains qui flottent à la surface du visage, et qui sont incarnées par la rythmique massive et lente, d’une section instrumentale majestueuse enrichissant la signification des paroles. Une complétude que viennent accomplir quelques fantômes sur « The Shadowed Body », où se mettent en place les pièces mouvantes d’un puzzle organique. Au texte prononcé comme une litanie, les guitares d’abord filandreuses remontent depuis l’humus, les racines sont nettement plus renforcées, l’intensité monte comme une plante légèrement engourdie mais solidement ancrée, prête à délivrer son pollen.
« The Other Faceless Me » semble avoir été composé à l’abri du monde, dans un écrin qui révèle sa beauté et sa puissance émotionnelle, une fièvre qui n’est pas sans rappeler Darkher, Emma Ruth Rundle ou Anna Von Hausswolff. C’est dire le seuil de beauté atteint par Bank Myna, et pourtant nous ne sommes qu’à la moitié d’un cheminement dont le vertige émet une certaine ivresse. En gravissant chaque échelon, la fleur devient géante. Que les feux soient destinés à la combustion des végétaux, ou de toutes autres formes de vie, « Burn All the Edges » est d’un tel éclat dans la noirceur ambiante qu’il permet, en fermant les yeux, le temps que se diffuse ce chant profond, de ressentir ce désespoir paré de plumes noires, de flammèches crépitantes, les mutations dépassent la matière, pour atteindre le centre du cœur et de l’âme transfigurés par tant de courants. Le chant n’est jamais intrusif, il est bien plus que complémentaire, avec en fond ce violon dont Maud tire les ficelles qui relient chaque morceau. L’intensité de sa confession, belle et étrange, parvient à refléter les filaments sonores que chaque instrument cisèle dans un bouquet de cordes hypnotiques.
Bank Myna atteint les sommets avec un final poétique, « L’implorante » développe durant ses treize minutes cette ambiance rituelle, incantatoire où l’expression corporelle sous l’effet de ces riffs rampants, se libère en une danse extatique. Eimuria confirme le statut du groupe dans les hautes sphères de l’amour pur de l’écriture, de la création. Bank Myna ne pratique pas un doom classique, dans ces enregistrements, sont abolies toutes les structures habituelles. Comme rebuté par l’imposition d’une identité musicale déterminée, le quatuor signe une des plus belles œuvres de cette année 2025.
Franck Irle