Alan Sparhawk – With Trampled by Turtles

Se remettre à chroniquer Alan Sparhawk, même s’il s’agit de son œuvre discographique en solo et non pas d’un nouveau Low, s’avère toujours un peu délicat et demande de la retenue. Surtout si l’on a aimé, voire vénéré le groupe de Duluth et que la disparition de Mimi Parker en 2022 reste encore une information difficile à appréhender. En 2024, Sparhawk avait déjà signé un retour aux affaires assez désarmant avec White Roses, My God, un album en continuité des expérimentations vocales et bruitistes entreprises sur les dernières livraisons de Low. Il délaisse un temps les beats électroniques et les voix trafiquées afin de mieux réinvestir le terrain du folk rock traditionnel aux fines harmonies et belles mélodies. Il bénéficie également de l’aide de ses amis musiciens du groupe de bluegrass Trampled By Turtles, originaires eux aussi de Duluth. Plus qu’un simple backing band, TBT figure également dans le titre de l’album, Sparhawk estimant sans doute qu’il s’agit avant tout d’un disque collaboratif. Car l’idée derrière ce nouvel effort semble être la guérison à travers la musique. Une démarche qu’il s’efforce de faire en s’entourant de proches qui comprennent et en embrassent toute la portée.
Il y a toujours eu dans la musique de Low, une volonté de baume au cœur. On pourrait objecter que c’est une spécificité qui se cache derrière toute musique un tant soit peu triste ou mélancolique, car c’est un geste artistique qui s’adresse directement à notre moteur émotionnel et œuvre pour l’apaisement. Seulement, Low est reconnu pour arriver à émouvoir même les plus bourrus d’entre nous, comme si le groupe de slowcore gardait en sa possession un totem ou un ingrédient secret capable de percer toute carapace. Alan Sparhawk With Trampled By Turtles ménage, lui aussi, plusieurs passages de pure mélancolie, mais le sentiment général tend vers plus de joie, moins d’éléments plombants, c’est la célébration d’une vie retrouvée. L’idée est de se relever et de continuer son existence, malgré la douleur et le sentiment de perte.
Dès l’entame, « Stranger » et « Too High » s’avèrent alertes, presque enjoués, surtout en ce qui concerne le deuxième titre avec l’utilisation de certains gimmicks musicaux. Cela donne parfois la sensation d’assister à un récital acoustique au coin du feu ou dans l’église baptiste du village. On le sait depuis longtemps, Alan Sparhawk est de confession mormone, la spiritualité est importante dans son art, même s’il n’a jamais vraiment senti le besoin d’imposer ses vues, mais plutôt de les intérioriser. « Heaven » est directement en prise avec cette spiritualité, il y est question de retrouver les êtres chers au Paradis, en tout cas de se demander si l’on y arrivera, c’est à la fois sans entrave et d’une grande retenue dans son questionnement final. Ce titre, à l’instar de « Get Still », témoigne d’une volonté chez Sparhawk de travailler une matière qui le soulage, car les deux morceaux étaient déjà présents dans une version entièrement vocoderisée sur White Roses, My God. On prend alors toute la mesure de la qualité de ces chansons dorénavant délivrées de leur enrobage electronico-expérimental. C’est comme si Sparhawk s’était résolu à ne plus nous tenir à distance et à communier de nouveau avec son auditoire. « Not Broken » est sans doute l’un de ses meilleurs morceaux depuis longtemps, il bénéficie de paroles chantées par sa fille Hollis, dans une sorte de litanie ressassée jusqu’à ce qu’elle fasse effet et se réalise. C’est à la fois doux dans son exécution et entièrement déterminé, un équilibre précaire souvent atteint par le Low des grands jours. D’ailleurs, scander et répéter une phrase à l’envi, souvent un refrain, de la manière la plus mélodieuse qui soit, était l’une des particularités et grandes forces du groupe. Dans « Screaming Song », Sparhawk chante un ton plus bas et parle de sa nécessité de crier la perte, de s’abandonner à la lamentation afin d’expulser toute douleur. Un violon torturé accompagne le morceau et personnifie ce besoin vital d’extérioriser. Si « Princess Road Surgery » et « Torn & In Ashes » se rangent plutôt du côté des chansons qui allègent et cicatrisent, « Don’t Take Your Light » rejoint le camp de celles qui s’intensifient au gré de leur cheminement. Encore une fois, il y a cette répétition entêtante et marquée d’une phrase, ici « Don’t take your light out of me », que l’on se gardera bien de traduire tant il s’y cache des émotions diverses et contradictoires. Et bien enfouie au fond de cet imbroglio sentimental cerné de cordes lyriques, la difficulté à ne pas céder à la noirceur et à garder une partie de l’être disparu dans son for intérieur.
Si l’on croyait Alan Sparhawk s’être quelque peu refermé sur lui-même derrière tout un paravent d’effets électroniques, suite à la tragédie, il semble s’être remis des coups ou en tout cas les prendre en considération et faire front comme jamais. Son retour à une forme plus naturelle et un rendu plus acoustique n’est pas pour nous déplaire, surtout quand cela permet de comprendre sa peine et, en l’écoutant, de participer à sa convalescence, ainsi qu’à la nôtre.
« I thought I would never stop screaming your name. »
Julien Savès
Nos (innombrables) articles sur Low (chroniques, report, interview, playlist, disco express)