Brigitte Calls Me Baby – This House is Made of Corners EP

Publié par le 5 février 2024 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(ATO Records, 3 novembre 2023)

Avec le pugnace et pourtant très aimable taulier de ce site, Jonathan Lopez, on a très régulièrement ce débat : est-ce que sur tel ou tel album, il y a des chansons ? Il faut dire que si je devais faire mon auto-critique, c’est assez souvent la rengaine que je rabâche sur tout un tas de disques que l’on me propose mais que je ne chronique pas – vous ne les verrez donc pas ici, pas sous ma plume, en tous cas. « C’est pas mal foutu, mais y’a juste pas de chansons ». S’ensuit un débat sur ce que j’entends par « des chansons ». Après tout, comme pas mal de gens dans la rédaction, j’adore FACS, et je ne suis pas sûr que ça soit un groupe à chansons. Il y a des tas d’idées de gratte bruitiste, de la basse qui vrombit… Alors, peut-être qu’il y a des morceaux, mais pas vraiment de chansons… et peut-être que ce n’est pas grave. Et puis, il y a des disques où ça me dérange franchement. Dans le dernier Sleater-Kinney, ça m’a manqué, dans le prochain Chelsea Wolfe, ça me manque… mais à la fin, c’est quand même le rédac-chef qui a raison, parce qu’il finit toujours par sonner la fin de la récré. « Toi, tu n’entends pas les chansons ; lui, il entend des chansons : ça peut durer longtemps comme ça… »

Pourquoi est-ce que je vous bassine avec ça en intro ? Parce que je vais vous parler d’un groupe qui a des chansons. De bonnes chansons, même. C’est pour cela que j’aime à ce point les EPs. En particulier les debut EPs. On s’en sert de carte de visite. Le groupe a bossé comme un malade, il y a mis tout son cœur et, boum, en cinq plages, pas une qui craint, et tout est dit. Les Kings of Leon avaient fait ça à leurs débuts. Ça s’appelait Holly Roller Novocaine, il y avait cinq morceaux dessus, dont le titre du même nom. Ce sont les cinq meilleures chansons qu’ils n’aient jamais faites. Ils auraient pu tous passer sous un train ensuite et leur réputation n’en aurait pas été changée. Dans le même genre, mais avec un destin différent, je pense au Chronic Town Ep de R.E.M. « Gardening at Night », « Wolves, Lower », « 1,000,000 », etc. Cinq des meilleurs morceaux du groupe laissés à la postérité… le disque que j’irais conseiller à n’importe qui, même à ceux qui n’ont pas aimé leurs quinze albums suivants (je les plains, mais bon…).

Seulement, voilà : ce groupe qui a des chansons, il a aussi une ligne directrice très « influencée », dira-t-on, un peu comme les Kings of Leon dont à l’époque le « pitch » était assez simple : faire du Lynyrd Skynyrd et le jouer comme les Strokes. Le jeune groupe de Chicago Brigitte Calls Me Baby – insérez ici la vanne (forcément pourrie) de votre choix sur le Président de la République –, fait à peu près ça, mais il faut remplacer Lynyrd Skynyrd et le rock sudiste par les Smiths. Ce n’est pas une apparence, ça sonne VRAIMENT comme les Smiths. On a tout : une voix de crooner charismatique et un chouia androgyne, des guitares arpégées entre post-punk et rockabilly, des textes ironiques et une tonalité entre spleen néo-romantique et quelques passages plus enjoués. Les Smiths étaient clairement influencés par le rockabilly et le folk américain, ils avaient trouvé une forme d’anglicité pour réinterpréter cela. Brigitte Calls Me Baby fait l’inverse : ils reprennent ce spleen typiquement britannique et y injectent une énergie proprement américaine, héritée des grands de la pop des années 50 : Elvis, Roy Orbison, Buddy Holly, etc. Les ficelles sont grosses mais voilà, c’est ce que je disais en intro : il y a les chansons. Déjà, ça commence d’une manière étonnante pour un EP, pas tant par le single, mais par une grosse ballade, « The Future Is Our Way Out » à la Morrissey période Your Arsenal qui fait mouche avec son refrain dévastateur. Le vrai single déboule juste après. « Impressively Average » sonne très strokien dans l’énergie mais avec une mélodie qu’aurait pu écrire Roy Orbison. « Eddie My Love », un peu Everly Brothers sur les bords, mais avec des grattes à la Johnny Marr et surtout une basse à la Andy Rourke, est tout aussi accrocheuse. Les deux morceaux de la face B sont, eux, plus rythmés avec l’apparition d’un synthé sur « Palm Your Hand » qui ajoute un aspect rétro-futuriste à cette pop 50s jouée avec le son des 80s et l’énergie des neo-rockers des années 2000.

Alors, ça pourrait être totalement too much et avec les références que je vous ai indiquées, vous vous êtes peut-être déjà fait une idée un peu grossière de la chose. Mais encore une fois, j’insiste : les chansons ont des refrains en or massif, des mélodies à la fois classiques et familières, mais aussi super travaillées. On sent que le groupe a décidé d’y aller à fond : le chanteur a l’air d’une sacrée tête à claque, tout a été étudié jusqu’au plus petit détail pour cartonner et taper dans la nostalgie, ça sort chez ATO donc il y a sans doute un fort potentiel commercial qui a été flairé. Mais voilà, c’est un EP et c’est cinq chansons. Ça deviendra peut-être un groupe de tête d’affiche de festivals absolument insupportable ou alors ça ne deviendra rien du tout car le chanteur, après une grosse addiction et une detox, se lancera en solo à faire du folk à la Chris Isaak mais ce n’est pas bien grave parce qu’il y a ces cinq chansons-là, et qu’elles sont tout simplement terribles.

Yann Giraud

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