Sonic Youth – Live in Brooklyn 2011

Publié par le 16 septembre 2023 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Autoprod, 18 août 2023)

NdR : les termes « jeunesse sonique » et « vieillesse sonique » ont été proscrits de cette chronique suite a une remarque éclairée d’un membre de la rédaction. #défichroniqueur

Chroniquer un live de 2011 d’un groupe qui n’est plus en activité depuis lors, juste après la rentrée alors que plein de nouveautés se bousculent ? Really?

Le groupe ? Sonic Youth. Le concert ? Le dernier concert américain des New-Yorkais à domicile, à Brooklyn, le 12 aout 2011.

Outre la dimension historique évidente, puisque le groupe n’honorera ensuite que cinq autres concerts (déjà bookées) en Amérique du Sud avant de se séparer, c’est presque un épitaphe sonore que ces 17 titres. Dans les remous de la séparation du couple expérimental jet, set, trash and no star le plus célèbre de l’indie rock US. Une question (gossip) me taraude. Le reste du groupe avait-il vent des liens distendus du duo Gordon-Moore ? Sans doute. Pensait-il que cela le mènerait à cette fin prématurée ? Sans doute pas. Et peut-être pas non plus que ce live serait leur dernier aux USA. 

Le fait que ce soit Steve Shelley, le dernier membre arrivé dans le quatuor historique (en 1985, sorry Jim O’Rourke et Mark Ibold, l’Histoire était déjà en grande partie écrite à votre venue) qui est à l’origine de la setlist est quand même un petit indice. Le moteur Gordon-Moore étant définitivement à l’arrêt, le plus jeune prendra le lead et proposera une setlist qui fait tout le sel de ce vestige sonore. Ou pas. C’est selon votre amour du groupe et de sa carrière sur… quatre décennies, excusez du peu. Mais qui prouve en tout cas que le groupe conservait une éternelle soif artistique. Plutôt que rejouer un concert blindé de tous leurs tubes emblématiques, le quintette de 2011 (avec Mark Ibold de Pavement à la basse donc) ressort des vieux titres des 80’s, snobe quasi toutes les golden 90’s (snif) et se contrefout plutôt des années 2000 (petit snif). A peine consent-il à intégrer trois titres (« Sacred Trickster », « What we Know » et « Calming the Snake ») de son ultime album, le bien nommé The Eternal, pour rappeler qu’il a aussi arpenté les parages. Et faire le job de la promo.

Il retourne surtout en répétition pour dépoussiérer des morceaux, dont certains disparus de ses sets depuis… 1985 ou 1986. Comme « Brave Men Run (In My Family) » qui ouvrait Bad Moon Rising (après une courte « Intro ») et (parfaitement) ce concert, ou « Ghost Bitch ». Steve Shelley est arrivé en 1985, sur la tournée de ce disque. Sur les 17 titres de la setlist, cinq proviennent de ce disque. Nostalgie devant l’inéluctable fin du groupe ? Pas impossible. Vu que je ne suis pas journaliste, je peux dévoiler ma source principale pour cette chronique. Sur le site sonicyouth.com, pour les indie geeks amateurs de stats, on trouve une rubrique Song Performance qui liste album par album, chanson par chanson, année par année le nombre de fois où chaque titre a été interprété sur scène. Holy Fucking Sonic Grail. J’avais déjà eu vent de cette mine d’information auparavant, mais cela éclaire ce concert d’une lumière différente. J’ai d’ailleurs préparé cette chronique en faisant le top 10 des titres de Sonic Youth les plus joués en concert et les stats correspondants à la setlist du live de Brooklyn. C’était les vacances aussi, hein, on ne juge pas. Merci. On peut donc constater qu’un inédit live se cache dans ce set avec l’excellent « Psychic Hearts », issu de la carrière solo de tonton Moore… qui allait bientôt lui accorder plus de temps. Et qu’a peine deux titres du top ten figure dans cette setlist : « Tom Violence » (4e du Top 10, à ma grande surprise), et l’excellent « Eric’s Trip » (7e du Top 10) qui confirme que Lee Ranaldo aurait bien mérité de chanter plus de titres au sein de Sonic Youth. Il s’autorise même un petit rajout de lyrics avant le dernier couplet, apparemment inspiré par le ciel azur de la soirée new-yorkaise. Au jeu de la setlist parfaite, on aurait sans doute fait un choix différent mais quel plaisir de retrouver dès le deuxième titre le légendaire « Death Valley 69 », qui même privé de la présence… habitée de Lydia Lunch au chant, a toujours fière allure. Dans un début de set impeccable, à peine pourra-t-on évoquer le trouble d’un « Kotton Krown », duo magnifique sur Sister, qui sonne pourtant ici le glas d’un couple qui n’en plus un. Même sensation plus tard à l’écoute de « Flower » (plus jouée depuis 1993) et les incantations féministes de Kim Gordon. Mais sans doute la lecture de Girl in a Band me donne naturellement plus d’empathie pour elle que pour Thurston. Toujours étrange de se rappeler qu’au final, des artistes que l’on peut admirer depuis tant d’années, restent aussi des humains. Thurston Moore avait beau affirmer en juillet 1992 au New York Times qu’ils étaient « les nouveaux Beatles mais que personne ne le savait », ça ressemblait surtout à de la provocation pour irriter une presse musicale toujours prête à déifier le moindre artiste dont le succès débordait un poil de l’underground. C’est la leçon de l’immense groupe que fut Sonic Youth. À sa manière humble, et au gré d’une carrière remarquable, il a ouvert des portes à des milliers de fans de musique, posé des passerelles vers d’autres univers artistiques (peinture, cinéma, littérature…).

Avant d’entamer un « Starfield Road » tourbillonnant (une première depuis 1999), un Thurston Moore rigolard raconte que le groupe s’est enfermé en répétition pour se réapproprier ces vieux morceaux… d’un temps ou Mark Ibold était alors dans le public. Comme un jeune groupe avant une grosse échéance. Et retrouver ainsi les dissonances délicieuses et les éruptions d’un « I Love Her All the Time » oublié des lives depuis 1995, fusionné avec « Ghost Bitch », porté disparu depuis… 1986. J’aurais pas craché sur un « Expressway to Your Skull », que même le vieux Neil Young considérait comme un des meilleurs titres jamais écrits. Au final, bien qu’il soit un remarquable live (ça sonne de fou, hein, pas de méprise), et malgré une setlist très intéressante, le fan qui a découvert le groupe dans les 90’s va faire un peu grise mine avec uniquement « Starfield Road », « Drunken Butterfly » et « Sugar Kane » à se mettre sous la dent. Dur. 0 titre de Goo, pas de lessive noise issue de la machine à laver, et rien de A Thousand Leaves, un album que je considère comme le plus aventureux de la décennie et dans mon top 5 du groupe. Mais je l’ai vu aussi la première fois sur la tournée de ce disque. Ça compte. Je pense d’ailleurs que c’est un sommet qu’ils n’ont jamais plus arpenté ensuite malgré une doublette Murray Street-Sonic Nurse de haut vol dans la première moitié des années 2000. Mais également oubliée dans ce live. Arf. La période 1999-2005 avec Jim O’Rourke n’a pas le crédit qu’elle mérite. 

Chacun se fera sa setlist parfaite avec les ingrédients de son choix mais l’essentiel est là, on est en 2023, et on peut toujours écouter Sonic Youth avec bonheur. Le live se termine sur « Inhuman » (à peine joué 48 fois dans leur carrière) et le chrono s’affole une dernière fois comme si le destin voulait abolir le temps au milieu du noise final. Ceci est pourtant la dernière séance américaine d’un des plus grands groupes de rock de l’Histoire.

C’était le 12 août 2011. Depuis Brooklyn, dans leur ville de New York – que j’espère pouvoir un jour revoir – je laisse à Lee Ranaldo le mot de la fin. Sur « Eric’s Trip », ce soir-là, il lance à la foule et à la postérité comme un défi :

« I’m over the city, fucking the future »

Pour les geeks, le Top Ten des titres de Sonic Youth les plus joués en live :

1. Schizophrenia  361 fois
2. Teen Age Riot 358 fois
3. White Kross 355 fois
4. Tom Violence 349 fois 
5. Kool Thing 338 fois
6. Brother James 327 fois
7. Eric’s Trip 322 fois
8. Winner’s Blues 318 fois
9. Expressway to your Skull 275 fois
10. Mote et 100% ex-aequo 268 fois

Sonicdragao

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