Interview – Frustration

Publié par le 22 novembre 2016 dans Interviews, Notre sélection, Toutes les interviews

Frustration vient tout juste de sortir son troisième album, Empires Of Shame. Et toujours le même constat : une certaine constance dans l’excellence. Frustration a donc été très sollicité avant sa double release party à la maroquinerie de Paris. Qu’à cela ne tienne, à défaut de trouver un créneau avant, l’interview s’est donc déroulée après ces deux dates. Une interview avec Fabrice, le chanteur, qui me rejoint dans un bar du 18e à sa sortie du ciné. Pas spécialement pressé, Fabrice se montre très généreux sur tous les sujets, avec une personnalité très affirmée, à mille lieux de l’échange conventionnel et des réponses toutes faites…

“Ça m’embêterait que les gens pensent qu’on soit ouvertement nazis mais si ça peut faire chier les cons, ça m’amuserait qu’un instant ils le pensent”

© Alicia Sudre

© Alicia Sudre

Tu sors du ciné, tu peux me dire deux mots sur ce que tu viens de voir ?

Je suis allé voir au centre Pompidou une séance unique d’un truc qui se nomme « Post Punk », qui est le vrai sens de post punk, c’est sur le mouvement anglais qui… commence en 72. Tout le début de la musique industrielle en Angleterre en 72, avec un film qui s’appelle In The Shadow Of The Sun de Derek Jarman et parle du mouvement industriel cinématographique, performance et musical entre 72 et 84 avec 23 Skidoo, Throbbing Gristle, Psychic TV, Test Dept, tous ces groupes-là… En extrapolant sur les Etats-Unis, The Residents, des choses comme ça. Mais c’est pas la musique dont je suis le plus spécialiste…

C’est ce que j’allais te demander. Tu n’es pas forcément familier avec cet univers ? C’était plus par curiosité ?

Si, si. Je suis un peu curieux de tout. Y a certains groupes que je maitrise pas mal là-dedans. C’est pas ma musique préférée parce que j’ai quand même besoin de rythme. Dans Frustration on aime bien danser. On a des projets un peu « zou-zouille », de dance. Là c’est quand même très très dur, déstructuré, même pas déstructuré style free jazz. Là on est plus dans les nappes de son, c’est toujours très intéressant. Tout ce qui est mouvement subversif m’intéresse énormément. J’ai des côtés hyper réactionnaires dans la vie, genre dans Empires Of Shame où je dis que les gens ont des devoirs aussi…

Ce qui t’empêche pas d’avoir l’air plutôt engagé dans tes textes… Vos pochettes, où on sent qu’il y a un message…

Oui, mais c’est pas le but premier de Frustration. Moi je me définis pour ma part, en tant qu’épicurien. J’aime bien les plaisirs de la vie, qui se comptent sur les doigts d’une main. Mais j’aime bien quand ces choses-là n’embêtent pas les autres ou quoique ce soit, il faut pas non plus se perdre.

On en revient aux beatniks (évoqués ensemble avant le début de l’enregistrement, ndlr)…

Les beatniks, à New York à l’époque, ça tient à 10 personnes en fait. Comme beaucoup de mouvements, comme le mouvement punk en Angleterre en 75-77. Y avait des groupes de certaines villes qui restaient fidèles parce qu’ils étaient loin les uns des autres mais à Londres tout le monde se mélangeait, se connaissait. Les Damned et tout… Quand tu regardes, tu t’aperçois même qu’il y avait des connivences entre tous les groupes de musique industrielle sus-nommés comme Psychic TV, Throbbing Gristle avec les trucs d’extrême gauche comme Crass ou Conflict, ou des trucs qui avaient très mauvaise réputation comme Death In June ou Current 93 qui exploraient aussi l’imagerie troisième Reich. Quand tu explores ces connivences qu’il peut y avoir entre ces groupes-là, c’est là que tu t’aperçois que des groupes décrits comme supra nazis le sont pas, des groupes comme Crass avaient une espèce d’exemplarité. Ils avaient des avocats pour quiconque faisait des faux t-shirts avec marqués Crass dessus… Faut toujours se méfier de ces choses-là.

Pour revenir à nos moutons, j’aime bien tout ce qui est un peu subversif, qui secoue  le prunier, c’est très prétentieux de dire ça parce que je ne suis qu’un banlieusard avec mon petit pavillon. Mais j’aime pas la complaisance gratuite et les trucs usés jusqu’à la corde. Le côté subversif des choses arrive parfois à passer au-dessus de mon appétence pour certains styles de musique.

J’avais prévu d’y venir bien plus tard au côté subversif souvent attaché au punk ou post punk. L’imagerie utilisée par certains qui provoquent des raccourcis, les mecs qui les traitent de nazis et tout… Vous, par exemple j’ai lu que Manoeuvre vous prenait pour des gros fachos.

Pas des fachos mais… Manoeuvre c’est quelqu’un qui est dans le rock classique : Rolling Stones, Damned ou les groupes punk ROCK français, j’insiste bien là-dessus. Et qui maitrise pas les codes qu’il peut y avoir par rapport à Joy Division, Crisis, ou Marquis de Sade (alors qu’ils en parlent souvent dans Rock&Folk). Cette espèce d’imagerie « jeune européen », appétence pour une culture et identité européenne, pas forcément raciste. Et il maitrise pas du tout ça, les chemises noires… Dès qu’on a un peu les cheveux sur le côté avec des Doc Martens cirées… Mais je m’en fous. A partir du moment où tu mets un doigt de pied qui peut s’approcher de Joy Division ou Death In June, y a forcément quelque chose de douteux. Pour ceux qui nous connaissent pas dans le groupe, y en que un ou deux qui font aryens dans le groupe, les autres ce serait plutôt petit nabot brun donc… Ça m’embêterait que les gens pensent qu’on soit ouvertement nazis  mais si ça peut faire chier les cons, ça m’amuserait qu’un instant ils le pensent. Mais que les gens nous donnent cette réputation ça nous plairait pas.

Et que vous rameutiez un certain public avec des mecs qui se mettent à faire des saluts nazis dans le public, ça vous emmerderait un peu aussi je suppose.

C’est jamais arrivé et ça n’arrivera jamais. Mais par contre le public rock est peuplé de gens de gauche, apolitiques, et d’extrême droite aussi. Dans le milieu rock, je pense que la plupart des gens vraiment de droite n’aiment que Police, les Beatles, des groupes pas mainstream mais qui ont réussi avec un schéma un peu classique.

Qui dérangent pas spécialement…

Les groupes dans l’establishment. Y a des genres musicaux dans lequel y a énormément de gens d’extrême droite, le rockabilly, le rock’n’roll… Pour combattre certaines choses, ou pour éviter que les gens deviennent cons, faut pas les occulter. Il y a sûrement des fachos aux concerts de Frustration, mais y en a aussi aux concerts de Killing Joke.

Moi y a un truc qui m’a interpellé récemment à ce sujet. Y a plein de groupes qui ont joué avec cette image, sans du tout verser dans l’extrême droite mais par pure provoc, notamment chez les punks. Et là, récemment, un groupe comme Viet Cong, assez familier avec votre univers musical, a décidé de changer de nom parce que ça choquait les gens et est devenu Preoccupations. Qu’est-ce que tu penses de ce revirement ?

Je ne savais pas.

Ils ont eu des histoires, des concerts annulés, parce que des gens étaient heurtés, des assos mécontentes…

(Il réfléchit) Déjà, c’est leur droit. Deuxio, de quel droit je me permettrais de les juger. Troisièmement, si ça doit leur ramener plus de bonheur et que ça ne cause pas de malheur à d’autres, why not, moi je m’en fous. « Faut-il changer de nom parce qu’on s’aperçoit qu’il y a une consonance… » Oui si ça va à l’encontre de ce que tu penses.

Ils devaient s’en douter au moment de choisir ce nom, c’est ça que je comprends pas bien.

Je peux comprendre qu’au nom de ses convictions, on puisse se tromper et décider de changer de nom. Si ça les gêne et que c’est pour une promotion commerciale, c’est que c’est des trous du cul. Si c’est au niveau de leur démarche culturelle je peux comprendre. Si par exemple je m’apercevais qu’en allemand le nom de mon groupe voulait dire « hypocrite, radin et arriviste », je… Oh si peut-être que ça me ferait marrer !

Oui ce serait rigolo ! Bon on va parler un peu de Frustration quand même. J’arrive un peu après la meute, je crois que vous avez donné 3000 interviews avant votre release party, le seul avantage que j’ai c’est qu’on va pouvoir évoquer un peu ces deux soirées. Comment vous les avez vécues ? Ça ressemblait à une bonne grosse fête.

T’y étais ?

J’ai fait la première date. Ce que j’ai trouvé très cool c’est que vous vous êtes bien lâchés sur la setlist, encore plus d’une date à l’autre où vous avez fait pas mal de changements.

Oui on a gardé un tronc commun de nouveaux morceaux sur les deux soirs et on a fait des vieux morceaux les deux soirs. Le premier on a fait « Vice » qui est notre premier morceau écrit et « Shake Me ». C’était super. Les deux soirs étaient blindés. Pour ma part, je trouvais ça un peu prétentieux de faire deux Maroquinerie. Je pense qu’on aurait presque pu en remplir une troisième mais c’était pas le problème. J’ai dit que je trouvais ça prétentieux mais comme on dit à une famille « on ne devrait pas acheter une Safrane orange ». On m’a dit « oui mais ça va être trop petit la Maroquinerie », l’argument qu’ils ont eu c’est que c’est la meilleure salle de Paris, ce que je pense aussi. Les deux soirs se sont super bien passés, c’était complètement fou. On n’a pas battu le record du bar qu’on détient toujours avec notre passage il y a quelques années. Plus grosse vente d’alcool.

Juste les membres du groupe ou le public (rires) ?

Non, non, notre public de soiffards.

Petite déception donc. Pour la setlist, c’était assez nouveau de faire ça ? C’est un petit luxe aussi que vous pouviez vous permettre vu que vous étiez en terrain conquis ?

On voulait faire un espèce de cadeau à notre ville. Mais en même temps, on les avait rodés déjà à la Monster deux semaines avant en Allemagne et à Varsovie aussi. En terrain moins conquis mais on a besoin de temps en temps…

C’est une façon de vous mettre en danger aussi.

Absolument. On voulait faire plaisir et se faire plaisir, et des gens nous l’avaient demandé depuis un certain temps. Y en a certains qu’on n’avait pas faits depuis dix ans. C’était rigolo.

“La tristesse faut lui donner de l’importance au moment où elle en a mais on ne peut pas vivre tout le temps de tristesse sinon ça la banalise. C’est pour ça que les gens se foutent de la gueule des gothiques… « C’est bon, pète un coup quoi ! ».”

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Je vous ai vus cet été aussi à Villette Sonique où vous aviez convié Jason Williamson, le chanteur de Sleaford Mods. En soi ça m’a pas vraiment étonné. J’imagine que son son et les thèmes abordés vous parlent.   

Les thèmes abordés on les devine/comprend mais même les textes lus, j’arrive pas à comprendre tous les sens. C’est du slang Nottingham que même des londoniens n’arrivent pas à comprendre. Mais les thèmes…

« Jobseeker »…

Oui, ou un qui parle d’une meuf qui travaille dans un bar pour arriver à joindre les deux bouts, « Long Sharks » sur les huissiers. (Il l’imite) « Long sharks knockin’ on door* », oui ça parle forcément. On est tous fans, tous les cinq. Sleaford Mods m’a amené deux choses : parfois je suis freiné avec l’anglais pour le sens que je voudrais donner mais c’est pas grave, on fait avec, je préfère chanter en anglais. Ça m’a fait énormément de bien de voir qu’il peut y avoir des groupes un peu sociaux ET anglais. J’ai l’impression que l’Angleterre était complètement endormie et cet espèce de duo punk/hip hop je trouve ça super frais. On a tellement écouté qu’on en était dégoûté à un moment. C’est les mecs de Blackmail qui nous ont fait découvrir ça y a deux ou trois ans. On avait systématiquement les 45 tours qui sortaient, même les trucs pas connus, ces 45 tours qui valent si chers maintenant, on les a. Jouer avec Sleaford Mods sur scène et avoir cette accointance vue par les gens autour de nous c’est plutôt flatteur. J’ai bien aimé parce qu’on grandit avec Frustration. On commence à sortir de ce truc Skin, uniquement working class. Ça m’a validé aussi mes paroles que je peux écrire en tant que petit français, j’ai toujours rêvé de faire un groupe de cold wave un peu puissant comme ça, avec des choses revanchardes et réfléchies à dire et d’être un peu écouté. De pas passer pour des gros crétins abrutis, c’est plutôt bien. On les kiffe. En plus leur manager nous aime bien, y a des chances qu’il y ait des prolongements de choses. On sort une compilation avec eux avec un inédit « The Drawback » cet hiver déjà.

Ça s’est bien passé réciproquement donc.

Oui c’était cool, on est restés après à discuter dans les couloirs. (Il l’imite, façon De Niro dans Taxi Driver). Nous on était là : « speak slowly ». Et l’interview qu’on a faite avec Noisey, moi je flippais ma race, mais on arrive à discuter, les deux étaient très gentils. Ils sont venus, ont rigolé et il a tout de suite dit oui quand on lui a proposé de venir faire « Tweet, Tweet, Tweet » avec nous.

Eux connaissaient ce que vous faisiez avant ?

Non, les anglais ils s’en foutent. Mais on va certainement tourner avec eux, même si c’est pas fait encore. C’est eux qui sont venus nous voir (nouvelle imitation à la De Niro) « great show, man ! », « ça a la patate ».

Et ça peut vous donner des idées un rappeur qui vient comme ça sur un titre ? Ou toi, ça a pu t’inspirer dans ton chant ?

Déjà dans mon parcours personnel, c’est assez inattendu mais je vais beaucoup mieux qu’à un moment. Une amie m’a dit un jour « on t’aimera autant si t’es que révolté, et plus révolté et triste. » Et avec Sleaford Mods j’ai eu une espèce de déclic ça m’a encore apporté une corde de plus à mon arc, je dis pas que j’en ai dix mille, mais j’arrive à exprimer pas mal d’émotions. Je ne m’auto congratule pas, je sais ce que je fais et ce que je suis sur scène. (Il se met à danser de la même manière que sur scène) C’est un luxe que je me permets, si j’ai envie de danser, je danse.

C’est quelque chose de super naturel ? On a tous pensé à Ian Curtis au début mais c’est pas étudié.

Je le fais hyper naturellement. J’en ai rien à branler. Je danse pareil en soirée. Ça m’a donné encore plus de liberté, et ça nous a pas incité à copier Sleaford Mods, je vais pas me mettre à me gratter la tête tout ça… Mais ce que beaucoup de gens ont dit c’est qu’il y a cette espèce de véhémence commune à Andrew et moi. Ça nous a encore plus montré qu’on n’était vraiment pas dans un ghetto post punk. Ce qui est super c’est qu’on joue encore dans des festivals gothiques. On en a fait un y a 3 semaines.

Vous partagez l’affiche avec qui dans ces festivals-là ?

Ça dépend ça peut être des ex-nanas de Malaria. On a joué avec un groupe de horror punk anglais à la Misfits. Et ces gens-là quand ils nous font jouer, on n’est plus du tout dans le registre branché Born Bad, l’écurie Cheveu, Feeling of Love, Magnetix, etc. On est plus dans le truc où on fait venir un groupe qui fait la musique d’origine de ce qu’on aime, on a fait un festival en Pologne, on était le groupe le plus old school, y avait des groupes ambient, dark folk ou carrément gothiques. Et nous on arrive avec notre truc Warsaw, Crisis, ils nous regardent, on leur en met plein la gueule et ils ont envie de ça en fait. On n’a pas toujours la même place dans les festivals, des fois on fait partie des plus « branchés » même si on est les plus basiques, les moins novateurs. Y a des scènes où on est plus dans le truc old school.

C’est pas si surprenant que ça que tu me dises partager des scènes avec des groupes punk à la Misfits. Vous avez été comparé une tonne de fois à Warsaw, Joy Division voire The Fall mais il y a une telle énergie à vos concerts qui se rapproche plus du punk, la rage est vraiment extériorisée.  

Pour la grand mère qui jouera des congas avec Mark E Smith de The Fall, on est un groupe de punk. Pour le mec lambda, ta collègue de boulot ou ta mère, on est un groupe de punk. Post punk, cold wave ou quoique ce soit, on n’est pas en Angleterre où les gens maitrisent New Order, les Jam etc. Donc oui on est un groupe de punk, on fait pas vraiment de la cold wave, on a des morceaux sur le dernier qui font cold wave mais j’ai pas envie de faire que ça, on a des morceaux limite dark folk. On fait pas du The Cult non plus, le truc grandiloquent…

Oui mais vous avez quand même ce côté sombre, ton chant évidemment qui évoque…

(Il m’interrompt) Ian Curtis oui bien sûr. Heureusement je fais 1m58 et j’ai les yeux marrons. C’est sûr j’ai pas une voix de fausset, j’ai une voix grave quand je fais « I just wanna hide », ça fait forcément penser à Curtis, pourquoi ? Parce que PER-SONNE NE CHAN-TE GRAVE.

Mais à côté de ça, j’ai l’impression que vous tenez à avoir ce côté dansant avec ces synthés un peu barjots.

Absolument. On fait la musique qu’on aime voir sur scène. Lemmy disait qu’il était fan des Beatles et il avait pas envie de faire des Beatles. Nous on aime vraiment danser, on dit souvent qu’on aime danser sur Orchestral Manoeuvres In The Dark. Ça fait sourire tout le monde, nous les premiers mais ça ne nous gêne pas du tout. On aime les groupes de dance anglaise, comme on aime Blondie. On est quand même une sacrée bande de joyeux drilles. On fait de la musique agressive et triste mais on aime vraiment la déconnade. Y a toujours des jeux de mots qui fusent, quand il y a une connerie à faire… On adore les barbecues, on adore bouffer, on est des gros explorateurs de restaurants, gros acheteurs de disques. On va énormément en concert. On est des gens normaux qui aiment bien faire la foire. Je suis quasiment sûr que des gens nous aiment parce que ça se sent sur scène. Le premier soir j’arrive et je dis « bonjour mes petits poulets ça va bien ? », je le fais ultra naturellement. Sur scène on fait les cons régulièrement même dans les morceaux supra tristes. La tristesse faut lui donner de l’importance au moment où elle en a mais on ne peut pas vivre tout le temps de tristesse sinon ça la banalise. C’est d’ailleurs pour ça que la plupart des gens se foutent de la gueule des gothiques, ce côté névrosé en permanence… « C’est bon pète un coup quoi ! ».

T’évoques votre côté déconneur, je me souviens d’un moment pendant le concert où vous aviez prévu de jouer « Worries » et Frédéric a lancé autre chose aux claviers et vous vous êtes foutus de sa gueule tout le morceau, on sentait une vraie complicité.

Oui on adore se chambrer. Faire des lacets aux pompes des uns les autres. J’adore mettre des pommes dans les chaussures, on aime faire des conneries. Sur les aires d’autoroutes y en a un qui va pisser, et quand il arrive à la porte, on redémarre et on le fait 5 fois sur 20 mètres.

Vous êtes des grands gamins !

Oui, des super grands gamins. Ça fait rêver les gens qu’on remplisse – on reste un petit groupe mais qu’on remplisse pas mal -, qu’on joue partout, là on revient du Japon, et qu’on fasse encore (Il fait des bruits de pets).

“On a cru pendant quelques années avec l’arrogance qu’on pouvait aller violer religieusement et économiquement tous ces pays, souvent tenus par des gouvernements de voyous. Ça nous revient bien dans la gueule et c’est un peu bien fait pour nous.”

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Pour revenir au contenu de l’album tu me parlais de dark folk j’imagine que tu faisais référence au morceau « Arrows Of Arrogance ». C’est un titre qui surprend au début de vote part. Il vient d’où celui-là ?

Y a au moins un morceau dans ce style-là par album.

Vraiment calme comme ça ?

Ah oui, déjà sur la compilation Early Years, y a une version de « On The Rise » en gratte sèche. Les morceaux comme ça, y a un clin d’oeil évident à des trucs comme Boyd Rice ou Death In June. Fred aux claviers et moi sommes des gros fans de Death In June, de dark folk. Le pourcentage qu’il y a sur Empires Of Shame est à peu près le même que ce qu’on écoute. Ça donne une respiration sur l’album.

C’est le sentiment aussi que j’ai eu par rapport au tracklisting après les 4 premières qui démarrent pied au plancher…

Pas tant que ça, « I Just Wanna Hide » en 2, est plus calme aussi. C’est surtout parce que tu as « Duties » et « Excess », et après t’as « Empires Of Shame », où tu te dis « olala le golom est là ». Mais dans le tracklisting oui c’est clairement voulu. En plus les paroles se tiennent entre « Empires Of Shame » et « Arrows Of Arrogance » qui sont complémentaires l’une de l’autre. Et puis on avait envie de le faire, on fait quand même ce qu’on veut dans ce groupe. Death In June a tellement mauvaise réputation… mais si on a envie de le faire, on le fait. Même si Douglas Pearce est un peu ambigu… Mais quitte à faire un morceau dans ce style-là, autant le faire bien. Y a des gimmicks qui reviennent régulièrement dans Boyd Rice, Non ou Death In June. Les timbales, des trucs comme ça. Et on s’est permis dans ce morceau-là de siffler, on est tous les 5 fans de Morricone et c’était un truc qui nous tenait à cœur depuis longtemps d’avoir des sifflets. Il se trouve que je suis le fils illégitime de Micheline Dax qui faisait la voix de Peggy la cochonne et sifflait. J’adore siffler, j’ai eu l’idée de le faire en studio. J’aime bien la mélancolie, ça fait sortir les larmes et des beaux mots qu’on a envie de dire à un ou une ami(e). C’est souvent sur le ton de la mélancolie qu’on ose déclarer sa flamme ou dire à un ami avec qui on s’est disputés que c’est pas grave, ou des discussions où on règle des problèmes familiaux…

Et là tu pensais à quelqu’un en écrivant ça ?

Non pas cette fois. C’est souvent le cas sur certains morceaux. Sur « Even With The Pills » je parle d’un copain et je parle de moi il y a quelques années aussi.

Sur tout ce qui est antidépresseurs ?

Oui antidépresseurs, anxiolytiques, dans le sens où quand t’es vraiment, vraiment pas bien, t’as beau t’abrutir complètement, quand la machine tourne, quand Léo Ferré est accroché à ta jambe, tu peux te défoncer, te archi-bourrer la gueule, arrive un moment où la dépression reprend le dessus. « Nothing really matters », y a plus rien d’important, t’as envie de mourir… C’est comme les somnifères, tu fais tes premiers cycles de sommeil, et la machine se remet en route. Mais « Arrows Of Arrogance » parle du fait qu’on n’a plus de joli combat, de belles reines pour qui mourir maintenant, les cloches se mettent pas à sonner pour des rois sans étiquette. C’est une sorte de réponse à « Empires Of Shame » sur le post-colonialisme, je trouve que ce qui nous arrive actuellement est un peu mérité, on se croyait invincibles et actuellement on en prend plein la gueule. Qu’est-ce qu’on va faire de ces pauvres gens pour leur donner une existence décente, leur filer un boulot décemment payé, des logements… ? Mais « Empires Of Shame » parle des religions exacerbées, les larmes des dieux sèchent dans le sable, que les pages du livre sont toutes brulées jusqu’au bout. Au début on a fait ça avec l’inquisition, les croisés… Et ce que font certaines personnes avec le radicalisme islamiste. « C’est dangereux, ça craint ». On a cru pendant quelques années avec l’arrogance qu’on pouvait aller violer religieusement et économiquement tous ces pays, souvent tenus par des gouvernements de voyous. Ça vous rappelle rien ça ? C’est nous maintenant. C’est nous qui actuellement vivons ça. C’est la honte mais ça nous revient bien dans la gueule et c’est un peu bien fait pour nous. Moi ça m’a jamais fait kiffer les croisades, les guerres, les colonies, j’en ai rien à branler, je viens du punk. Je fais partie des gens qui ont la cinquantaine d’années, j’ai aucune ambition, je veux juste qu’on me foute la paix.

« No future ».

Si, si un futur. Edgar Poe disait « pour être heureux y a 4 choses : faut vivre en plein air, avoir un être aimé, n’avoir aucune ambition et être créatif. » C’est une vérité, c’est en train de devenir la mienne.

On en revient à cette notion épicurienne, les plaisirs simples…

Oui j’ai pas envie de faire chier les autres. Quand je rentre dans un hôtel le soir tard, dans une ville à Petaouchnok les zigouigouis à jouer, je gueule pas dans les couloirs jusqu’à 8h du matin. Les gens ont pas compris que si tu veux pas qu’on te fasse chier, faut pas faire chier les autres. Mark E Smith le dit énormément. Quand il est de mauvaise humeur, faut pas lui casser les couilles.

“Quand je vais dans des concerts avec des potes skins les mecs me disent « Fab, tu chantes pour nous ». Ça me flatte beaucoup plus que Nagui qui viendrait me gratter le derrière des couilles, j’en ai rien à foutre. C’est pas le même monde.”

© Blaise Arnold

© Blaise Arnold

En tout cas je ne pensais pas qu’il y avait autant de signification derrière les textes, je me posais surtout la question pour la pochette qui est encore signée Baldo. Y a un sens derrière tout ça j’imagine. Sur Uncivilized, y avait les types en cravate au premier plan et derrière des ouvriers qui turbinent, cette fois on pourrait penser que l’un de ces ouvriers s’apprête à se faire bouffer tout cru par une bande de juges peu scrupuleux…

C’est indéniable, sur Empires Of Shame, on revient plus à une période comme Relax, plus agressive, vindicative.

Uncivilized était plus chargé en synthés…

Oui parce qu’il est plus froid. On a tous eu des évènements un peu durs, pas mal de décès dans la bande, des trucs très très proches de nous. Moi j’ai eu une période très très noire, là dans mes paroles je suis dans une phase beaucoup plus d’observation et cynique « excess, excess, we live in excess ». Je dis qu’il y a trop de bouffe dans le frigo et plus d’espoir pour la jeunesse gâchée. La pochette est super importante. On ne parle pas que de la personne qui se fait juger mais de ceux qui jugent. On a du mal à voir que 13 personnes peuvent en juger une autre. C’est pour ça que la pochette représente volontairement un procès où le mec qui est jugé passe pas pour le salaud de service genre tueur d’enfant. Avec le juge général qui veut absolument voir sa tête posée sur le billot. Si ça se trouve c’est juste un dossier sur les vices de forme dans la construction d’un immeuble ou peut-être un truc vachement grave. On voulait vraiment qu’il y ait une porte ouverte pour la réflexion des gens, pas uniquement « oh le pauvre il se fait juger » ou « oh il faut juger Nicolas Sarkozy ». Même si c’est vrai, cet enculé ! Y a pas que la notion de « il faut juger les méchants », c’est vrai mais il y a aussi « de quel droit nous autorisons-nous à ça ? »

Et Baldo vous lui donnez des directives, des idées à exprimer, j’imagine qu’il n’est pas en « freestyle » ?

La pochette de Full Of Sorrow c’était un cadre qui existait déjà. On a juste rajouté Frustration dessus. Relax c’est une commande. Uncivilized et Empires Of Shame aussi. Mais l’homme est susceptible et lent. José il n’a pas besoin de Frustration pour vivre, on est très copains, on se connait depuis très longtemps mais il est pas fan du style et du groupe, ce qui est plutôt bien, ça lui a permis de garder une distance. Ça fait pas groupe de cold wave.

Mais il y a ce côté industriel, ça fait presque plus penser au post punk originel dont tu me parlais. 

Oui. J’étais un peu englué dans mes trucs de valeurs working class, j’ai jamais été skin mais à l’anglaise. J’en suis énormément revenu de la notion de travail, je me suis aperçu que beaucoup d’industriels, de gouvernements jouaient sur notre amour du travail bien fait « travailler plus pour gagner plus » et ces espèces de conneries épouvantables. Je suis donc revenu de tout ça. La pochette de Full Of Sorrow : un mec qui bosse sur son espèce d’arbre de transmission pétrolier, Relax : deux mecs en train de bosser sur la génératrice. Troisième : des mecs en train de bosser avec d’autres en train de faire des plans. Quatrième : aucune notion du boulot. On voit que deux flamands roses (au verso), on imaginait ce tableau dans le bureau du juge. Aucune notion de travail c’est le gros changement. Baldo comme il n’est pas super fan du style et ne maitrise pas super bien les codes, on a la même notion de sobriété, cette espèce de notion old school, madeleine de Proust. Quand on écoute Frustration, y a toujours une petite note qui rappelle quelque chose qu’on aime bien et avec Baldo y a toujours un espèce de côté livre d’histoire géo… Frustration dans notre visuel et notre musique tu te fais toujours un peu piquer le cul, genre « eh oh t’endors pas sur tes lauriers. » « Déconne pas Manu » comme ferait Renaud. On se pose pas tant de questions que ça. On fait juste gaffe de pas faire de conneries, j’ai pas envie de me prendre la tête avec des cons, « les cons je leur parle pas ça les instruit » comme dit Audiard. Manoeuvre j’ai pas envie de lui expliquer qu’on n’est pas des chemises rouges, je m’en fous. Qu’il pense ce qu’il veut ça m’amuse, comme ça il viendra pas me faire chier avec son blouson en plastique.

Mais ça vous empêche pas d’avoir vos chroniques dans Rock&Folk, je crois que vous avez un fan chez eux.

Oui, il y est toujours. Jerome a écrit le plus bel article qu’on ait eu sur l’album. Mais j’ai rien contre Manoeuvre, JB (de Born Bad) m’a dit qu’il était sympa. Je le laisse avec AC/DC, même si j’adore AC/DC, avec Lou Reed et Asphalt Jungle. J’aime les deux. Ou les Dogs. J’en ai rien à carrer. On est plus « up to date » que lui.

J’ai lu que tu disais que c’est la première fois que t’es entièrement satisfait de la tracklist et de tous les morceaux qui composent l’album. Ça m’a surpris, ça veut dire qu’habituellement y a un peu de remplissage ?

Non, non. Du tout. Premier maxi, 4 titres : content. Le premier mini album Full Of Sorrow, ça allait. Sur Relax, JB nous avait demandé de remettre « No Trouble » dedans. Ça me faisait chier, il était déjà sur le premier. « Non non faut le remettre. » Sur Uncivilized y avait « Dying City », pour lequel y a eu beaucoup de vidéos et un maxi avec 4 remixes. Et c’est pas que j’aimais pas le morceau mais j’aimais pas cette version-là. On l’a mis parce que l’album commençait à prendre du temps, fallait le boucler. J’adore ce disque, tous les autres titres me plaisent mais celui-là me plaisait pas. Et là il se trouve que sur le dernier les titres nous plaisent tous et le tracklisting s’est fait super vite. En même pas 3 jours.

Et JB est interventionniste là-dessus ? Comme sur le premier ?

Non, il avait insisté pour « No Trouble ». Là ça le faisait flipper qu’avec « Dreams, Laws, Rights And Duties » on passe pour un gros groupe réac et poujadiste. Ça m’a fait rigoler parce qu’il trouvait qu’ « Empires Of Shame » était plus joli en bouche, ce qui est vrai mais c’est encore plus réac ! “L’empire de la honte”, encore plus revanchard et pas content.

Y a ce côté aussi dénonciateur des colonies…

Oui, il préfère ce côté-là JB. Avec « Dreams, Laws, Rights And Duties » il avait peur qu’on fasse donneur de leçons. Finalement j’aime bien « Empires Of Shame » aussi, ça peut être celui qui est jugé qui contribue à l’empire de la honte et aussi celui qui juge. Ce que je pense, je suis absolument perdu dans ce monde où je suis non civilisé (Uncivilized). Finalement ce titre d’album lui va très bien à ce disque. Je suis vraiment très content de ce disque.

“Je me plais à croire qu’il y a quelque chose d’organique dans Frustration. Ça sent la levrette, le bourguignon avec des potes, ça sent la vie.”

frustration_japon

Et vous sentez que vous bénéficiez de plus de médiatisation ?

Du tout.

Moi c’est le sentiment que j’ai pour Born Bad en général. 

Born Bad commence à avoir une sacrée bonne médiatisation, nous on arrive à aller jusqu’à Libé, un petit article dans Rock&Folk. Je crois que j’aurais pas envie de passer dans Alcaline sur France 2. Ça fait toujours rigoler de vendre plus et d’être plus connu que certains qui passent à la télévision. Si on était trop connus ou trop mainstream, je commencerais à me poser des questions sur notre « punkitude ». Ça me gêne pas dans l’absolu que nous ne soyons pas médiatisés. Ce qui est très paradoxal par contre c’est de voir par rapport au nombre de disques qu’on vend, plus de 10 000 à chaque fois. On le voit quand on joue en province par rapport à certains qui ont 30 préventes et passent en radios…

Vous n’en vivez pas encore ?

On ne veut pas en vivre. Ça voudrait dire jouer toutes les semaines, on pourrait mais on ne veut pas. Y en a qui ont des enfants, on a nos copines, le groupe durerait un an si on jouait autant. Du temps de Relax, on a joué deux week-ends sur trois, le couperet est passé pas loin du split. On n’en pouvait plus de passer notre vie dans un camion, de dormir à l’hôtel ou dans des duvets. Ça fait 15 ans que je vis avec le boulot et le groupe, y a des périodes où j’avais 5 jours de congé avec ma copine. Faut quand même être des couples un peu solides. Au niveau de la médiatisation, j’ai pas non plus envie de plaire à tout le monde…

T’as quand même arrêté le boulot, c’est pas pour te consacrer plus au groupe ?

Non mais je bossais dans la même boite depuis 28 ans, chez Kiloutou. Et mon anticapitalisme ne pouvait plus s’accommoder d’une boite gangrénée par l’actionnariat et la réunnionite aigüe de cadres. Je vais faire autre chose, vivre un peu de mon chômage. Mais j’ai envie de travailler dans le social. Je pouvais pas gueuler dans mon album contre les banquiers et continuer dans une boite où on était deux sur 60 à pas avoir pris d’actions, et passer pour un loser à cause de ça. Je suis pour la participation au bénéfice mais je suis contre l’actionnariat. On te balance une poignée de lentilles sur une grille et t’essaies péniblement d’en récolter trois, quatre en te jetant dessus comme un chien pendant que eux récupèrent 10 000, 20 000 balles. Je suis pas un clébard. Au bout d’un moment faut savoir ce qu’on veut dans la vie.

Mais par contre, non on ne veut pas du tout en vivre. C’est quasiment impossible au niveau calcul. Faudrait qu’on ait d’autres activités à côté, artistiques comme Cheveu… Mais c’est dur, très dur d’être intermittent du spectacle. Je veux plus rentrer dans le système. Je me suis pété les dents, cassé les doigts à essayer de tout changer, là je commence à rentrer dans une période d’observation. Quand je vais dans des concerts avec des potes skins les mecs me disent « Fab, tu chantes pour nous ». Ça me flatte beaucoup plus que Nagui qui viendrait me gratter le derrière des couilles, j’en ai rien à foutre. C’est pas le même monde. C’est pour ça que JB sait bien s’entourer avec ses groupes, on est tous dans des registres différents, on bouffe pas dans la même gamelle.

Et t’es pas surpris du succès d’un groupe comme La Femme ?

Je suis le seul du groupe à qui ça ne parle pas. J’aime pas la pop. J’ai écouté « Françoise », « La Plage » c’est très bien écrit, ils sont supra doués. On me les a présentés une ou deux fois, ils sont super sympas. Ils sont connus dans le monde entier, je suis allé en Islande en vacances, le seul groupe qu’ils connaissaient c’était La Femme. C’est pas que j’aime pas La Femme, j’aime pas le style de musique qu’ils font. Je trouve qu’il met trop de pieds dans ses phrases mais musicalement ils sont doués, ils sont beaux… J’en ai rien à branler, mais je n’ai rien contre eux. Quand je vois le petit trou du cul qui chantait dans Yussuf Jerusalem… Ça c’était un trou du cul, je parle à tous les autres musicos sauf à lui.

La Femme, avec grand plaisir je bois un verre avec eux. On peut discuter, y a des paroles qui sont bien, le morceau dans le dernier album qui parle du mois de septembre, les dernières semaines de vacances, l’école va reprendre… Moi je me souviens, même en tant que bosseur, la dernière semaine de congé me parle. Par contre la musique avec les meufs « nanaaa »… Je trouve que le deuxième album est beaucoup moins bon que le premier. Mais j’ai rien contre eux. Après sur le fait qu’ils soient plus exposés que nous, faut comparer ce qui est comparable.

Je parlais d’eux mais pas seulement. Moi d’un côté je suis content que J.C. Satan ou Usé soit beaucoup plus mis en lumière qu’avant, d’un autre côté je suis un peu inquiet aussi pour de plus petits labels indie français qui ont peut-être peur de se faire bouffer par Born Bad qui devient un peu le monstre du rock indé français…

Après un groupe comme J.C. Satàn, on vend plus qu’eux. Je suis assez copain avec Paula (la chanteuse ndlr), on s’aime bien. Je comprends absolument rien à J.C. Satàn, j’arrive même pas à chanter un morceau, ce bruit épouvantable… mais on s’entend bien.

C’était assez cool de te voir à la soirée au JIMI Festival, de voir que vous vous soutenez entre vous.

Ah oui, on se soutient entre nous, Guillaume de Feeling Of Love (et de Marietta ndlr), je le respecte énormément, on discute énormément. Seb de Crash Normal c’est un des trois meilleurs batteurs, avec celui de Poni Hoax, qui existe. Après c’est sûr, je préfère discuter avec ces gens-là que Nicolas Ker de Poni Hoax qui reconnait personne. Il est bourré, tout malheureux, ce mec-là me fait pitié. J’ai plus de potes dans le milieu rock’n’roll, punk et Oi que ces gens-là et je suis bien dans ce petit monde-là. Comme Mark E Smith, comme Jason (de Sleaford Mods, ndlr), c’est plus mon monde. L’autre fois on s’est vus au JIMI, on se soutient les uns les autres. Quand on joue à Bordeaux, les JC sont là. On est très potes avec les Magnetix. Cheveu, Magnetix et Frustration c’est 40 concerts. Pas de velléité d’artistes entre eux. « On joue dans quel ordre ? » Tout le monde s’en contrefout. Dans les loges toutes les portes sont ouvertes, tout le monde se balade, les grandes tablées fêtardes au resto… On a fait des bonnes bastons de pain. C’est ça aussi Born Bad.

Y a donc toujours ce côté hyper familial.

Oui bien sûr. C’est pas du fantasme. Par contre on n’est pas tous potes mais quand on joue avec The Feeling Of Love ou Le Chemin De La Honte on est contents. Avec Usé aussi, même si c’est un espèce de petit animal bizarre avec ses survèt’ tout serrés. On se connait, on s’entend bien. On est tous de styles différents. Forever Pavot, qu’on appelle Supertramp, je suis devant je regarde. Mais c’est pas mon truc. On n’est pas du tout dans le même registre, on n’est pas là pour se tirer la bourre et je suis même sûr que ça pourrait donner des collaborations absolument intéressantes. Mais tous ces mecs sont adorables. Y a des mecs de la bande qui ont pas été cool avec JB, qui ont pas eu la bonne mentalité. Ils ont voulu aller plus loin, après ils se sont fait plantés et sont revenus vers JB qui leur a dit « allez vous faire enculer, tiens. »

La Femme pour leur deuxième album ils ont redonné l’exclusivité vinyle à JB. Si ça c’est pas de l’élégance… Rien que pour ça c’est des chouettes mômes. La dignité c’est une des seules choses qui nous reste. JB c’est une tête de con pour plein de trucs. Je peux le dire parce qu’on est potes, y a une espèce de confiance mutuelle. Je lui ai jamais fait de croche pattes et il ne nous en fait pas. On fonctionne depuis 15 ans comme ça. On prend des avocats pour signer les disques c’est normal, on les voit même pas. On nous file de la paperasse on signe.

Ça ça doit pas être le cas depuis le début, donc toi tu dois voir une vraie évolution vu que t’étais là depuis le premier album.

Bien sûr. C’est une très belle aventure. Rien ne va changer, on va continuer à faire des concerts. JB dit à chaque fois que c’est le dernier album qu’on fera. On en fera ptet encore un, je nous donne encore deux ou trois ans d’existence. Y a un truc cool avec Frustration c’est qu’on a décidé d’un truc : on ne va pas s’arrêter brusquement d’un coup. Au moment où on va décider de lever le pied on va pas se retrouver complètement perdus, on va ralentir tout doucement, continuer à faire des tournées. On pourrait vraiment jouer tous les week-ends. C’est un luxe.

On est dans un label complètement atypique et on a une approche très particulière, on est anti réussite. Même si on a de l’égooo, j’ai de l’égooo mais on est absolument pas dans un truc de showbiz et aucune velléité de réussite. Le chien aboie, la caravane passe. On laisse parler et on continue notre truc. Comme plein de groupes de punk ou rock’n’roll de l’époque, Dr Feelgood, AC/DC… On n’aura jamais le niveau, on n’est qu’un groupe de cold wave. Donc on peut pas avoir de succès. On fait notre truc c’est bien. On a un espèce de « succès » vis-à-vis du grand public, des vieux ayatollahs poussiéreux qui sortaient plus du tout, on plait aux hipsters, aux vraies personnes, à des gens entre 25 et 60 ans. Donc c’est cool et je pense que c’est parce qu’on est francs. On dit pas « rouge » à des gens, « vert » à d’autres, on fait pas nos putes. On est vraiment sur scène ou en interview comme dans la vie. On fait les cons, ou sur scène quand je fais « I Just wanna hide » et j’arrive pas à regarder les gens, comme un mec qui n’arrive pas à dire ses sentiments à une meuf. Je suis un homme moderne de 50 ans qui revendique de pouvoir montrer mes faiblesses. Je pense que les gens s’y retrouvent. Dans l’interview de rock&folk je disais que j’ai vu des couples se rouler des pelles pendant qu’on jouait, les gens balancent leurs pintes à 6€… Ce qui est marrant c’est qu’on fait une espèce de musique où t’en prends plein la gueule, c’est froid, dur et tout le monde slamme de partout, est mort de rire, tout le monde gueule. Parce que c’est vivant. Je me plais à croire qu’il y a quelque chose d’organique. Ça sent la levrette, le bourguignon avec des potes, ça sent la vie. Et comme la vie est pas drôle, on parle de choses pas drôles. Un des plus beaux trucs qu’on m’ait dit c’est « quand je sais qu’on va vous voir le soir, ça me met de bonne humeur pour la journée. » Comme savoir que tu vas voir un bon Audiard, Les Tontons Flingueurs. C’est cool ! J’ai répondu à toutes tes questions ?

Je crois que oui ! Juste un dernier truc qui m’a intrigué, vous avez planifié la fin de Frustration pour dans 2-3 ans ?! 

On n’a rien planifié du tout. On se doute bien qu’après 15 ans d’existence… En tout cas on ne veut pas qu’il y ait une fin brusque. On en a discuté, on le cache à personne. On voudrait que ça se termine aussi joliment que ça a commencé, tranquillement. On a commencé en septembre 2002, on a fait des concerts tranquillement un an après. Le but était d’avoir un set convenable à présenter aux gens, pas se planter. Le seul truc qui pourrait arrêter brutalement, c’est que l’un de nous décède, ce qui peut arriver aussi. Pour nous cinq, c’est l’une des plus belles aventures humaines qui nous est arrivée. C’est génial. A 16 ans je rêvais de faire un groupe à la Warsaw, un peu vindicatif, de jouer devant plein de salles…

Entretien réalisé par JL, merci à Fabrice pour le temps qu’il m’a accordé et à Clarisse Vallée de Born Bad pour l’organisation de cette interview.

* « Les requins frappent à la porte »

** « Parle doucement »

2 Commentaires

  1. Cool ITW mec, très intéressante, quand l’interviewer est bon et quand le gars a envie de parler !
    Je diffuse un titre d’empire of shame lundi, dans mon émission, la playlist rock indé, sur radiograndbrive.com à partir de 20 h 30 ! Je parlerai de l’itw

    Christophe/zebulon

    • Merci m’sieur Zebulon, ça fait toujours plaisir. 🙂 Je serai au rendez-vous de la playlist rock indé demain, comme (presque) toujours !

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