Goat Girl – On All Fours

Publié par le 9 février 2021 dans Chroniques, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Rough Trade, 29 janvier 2021)

J’ai découvert Goat Girl il y a quelques années en lisant le magazine Q au retour d’un séjour à Londres. J’ai tout de suite trouvé ces cousines londoniennes de la slackeuse australienne Courtney Barnett enthousiasmantes, avec leur post-punk gouailleur et un peu mal peigné, un humour absurde typiquement british et une fausse quiétude cachant une envie d’envoyer du lourd. Avec deux très bons singles à son actif, « Scum » et « The Man », le groupe semblait parti pour de grandes choses. Puis, je dois avouer que je n’ai pas beaucoup réécouté ce premier opus malgré l’enthousiasme qu’il avait initialement provoqué en moi. Je ne peux donc pas vraiment dire que j’attendais ce deuxième album avec impatience. J’avais tort. On All Fours représente un véritable bond en avant pour ce groupe qui va sans doute les distinguer définitivement de leurs congénères mâles – Shame, Idles, Fontaines DC, etc. – mais surtout devrait, si les gens ont des oreilles et l’envie de les utiliser à bon escient, gommer leur image de « filles à guitares » adeptes de rock 90s.

Tout commence par une guitare au son clair cristallin, un peu dans l’esprit de celle de Snail Mail, et la voix – quelle voix ! – de Clottie Cream. Ne vous fiez pas au nom de scène de Lottie Pendlebury – mais pourquoi prendre un pseudo quand on a déjà un nom semblant sorti d’un épisode de Chapeau et Bottes de Cuir ?! –, il ne présage pas du tout du choc auditif qui vous attend. La « clotted cream », c’est ce plaisir typiquement british qu’on met sur des scones avec de la confiture de fraise. C’est bon, mais qu’est-ce que c’est gras ! Pour tout vous dire, ça l’est tellement qu’on ne l’exporte pas dans le reste de l’Europe car il est impossible de la transporter. La voix de Clottie Cream, elle, elle est légère et enivrante comme la crème fouettée qu’on mélange à un café bien noir. Légèrement voilée et adoptant un ton un peu désinvolte, elle titille dès les premiers mots. Mais ça ne s’arrête pas là car en plus de très bien chanter, Miss Pendlebury sait aussi écrire de beaux textes. Ceux qui démarrent cet album auraient pu être écrits par Morrissey : « There’s a hand reaching past the glands / Ripping out all of the contents / And there’s a sense of sadness / But only in what we’ve always been taught to listen with ». Pas le genre de texte qu’on voit tous les jours chez des artistes émergent·e·s.

Il faut dire que le choix du producteur, Dan Carey, en dit peut-être plus qu’un long discours. Carey a produit des artistes tels que la poétesse Kate Tempest ou les très talentueux – bien qu’un peu trop zélés, à mon avis – Black Midi. C’est donc à la fois dans la veine littéraire de la première que dans celle musicalement expérimentale des seconds qu’on se trouve. Car passé le premier morceau, relativement linéaire, c’est à un tout autre bois que le groupe se chauffe sur les morceaux suivants : rythmique légèrement dansante et ambiance faussement nonchalante, contretemps et dissonances sont au programme, le tout accompagné de claviers « sci-fi » étonnants – c’est l’expression utilisée dans la feuille de presse et j’avoue ne pas en avoir trouvé de meilleur pour les décrire. « Badibaba » qui semble faire écho à « The Beat Goes On » de Sonny and Cher se présente comme une simple pop song mais très rapidement, cela se complexifie et vers 2:55, le morceau se met à prendre une couleur tonale inquiétante portée par des cymbales semblant vouloir avaler les guitares et un peu tout sur leur passage. Ce morceau, construit comme une pièce montée, ne dure que quatre minutes et pourtant, il impressionne par sa science de la pop. Les filles décident de le faire suivre par un instrumental où on retrouve encore une fois cette fausse quiétude qui caractérise si bien le son du groupe. Le titre, « Jazz (In The Supermarket) », tombe à pic car cela me fait justement penser au groupe funk-punk minimaliste Shopping, que j’aime beaucoup. On trouve aussi des cuivres, dont je ne sais trop s’ils sont réels ou synthétiques, mais qu’importe.

À partir de ce moment, la musique du disque ne va plus nécessairement autant varier ou étonner, mais elle ne cesse pas pour autant de séduire. « Sad Cowboy » se paye une partie « club » bien foutue et « The Crack » un refrain bien mortel venant créer une jolie dichotomie par rapport à des couplets très James Murphy-esques – je pense aux « House of Jealous Lovers » de The Rapture. Avec sa pop complexe, la musique de Goat Girl fait penser à tout un tas de choses du passé, mais sans sombrer pour autant dans un délire revivaliste. Si elles se situent dans le sillage de glorieu·x·ses ainé·e·s, c’est quelque part entre Blondie – tubes faussement faciles et vraie virtuosité – ou aux génies bricolos de XTC post-Drums and Wires. C’est dire si le quatuor met la barre très haut en ce début d’année. Espérons que leur deuxième album passera moins inaperçu que le premier sur le continent !

Yann Giraud

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