Teenage Fanclub – Endless Arcade
À l’instar de leurs compatriotes de The Pastels, les écossais de Teenage Fanclub font partie de ces groupes précieux qui nous accompagnent depuis nos glorieuses années adolescentes, et qui ont su être suffisamment honnêtes pour faire évoluer leur musique en même temps que les années passaient. Au début des 90’s, trublions noisy-pop pour le prestigieux label Creation Records, ils ont prouvé qu’il était possible d’aimer les harmonies vocales tout en conservant l’air cool et la chemise à carreaux de rigueur. Depuis, alors que les guitares se faisaient moins noisy tout en restant omniprésentes, ils nous ont accompagné tels des grands frères bienveillants, dans nos joies et nos peines d’adolescents puis d’adultes. Et ce jusqu’au précédent opus, Here (2016), disque de maturité assumée, magistral jusque dans son très bel artwork naturaliste, dans lequel ils dépeignaient sans fard les désillusions et les doutes face à ce monde qui nous échappe, mais aussi la simple joie d’être en vie, et mieux, amoureux.
Tout récemment, après les rééditions de leurs premiers albums et la tournée qui a suivi en 2019 et qui les a vus remonter sur scène brièvement avec certains collaborateurs de longue date, le groupe a subi le départ volontaire (et probablement douloureux) de Gerard Love (membre du trio qui constituait le noyau du groupe depuis 30 ans). C’est déjà un crève-cœur de ne plus voir sur scène ce trio de songwriters qu’on pensait éternel, et de ne plus entendre Love interpréter les classiques du groupe dont il est l’auteur (parmi lesquels “Sparky’s Dream”, “Radio”, “Star Sign”) et que le groupe a décidé d’arrêter de jouer mais ce départ laisse en outre un vide certain pour ses deux comparses Norman Blake et Raymond McGinley, l’écriture des morceaux leur revenant désormais exclusivement. Dans le nécessaire travail de réinvention qui a accompagné la gestation de ce nouvel album, ils ont été aidés par l’arrivée aux claviers de Euros Childs (ex-Gorky’s Zygotic Mynci, qui avait déjà accompagné Teenage Fanclub sur scène, et également partenaire de Norman Blake dans leur projet Jonny), qui contribue largement à la délicate transition en cours dans le son du groupe. Quand ils n’habillent pas discrètement les morceaux, ses claviers, orgues et autres farfisa viennent appuyer habilement les guitares, voire oser un solo, ajoutant tension ou relief aux compositions de Blake et McGinley, et apportant un supplément d’âme salvateur qui comblera en partie le départ de Love. Ainsi, même si la palette émotionnelle de Endless Arcade se trouve réduite, et que, comparé à son prédécesseur Here, il se révèle sensiblement moins intéressant aux premières écoutes (la faute peut-être à quelques titres mineurs tels que “Warm Embrace” et “Living With You”, contrepoints catchy pas nécessaires à ce disque qui brille par sa seule mélancolie), il n’a pas de difficulté à nous convaincre par la qualité de ses compositions et arrangements.
Morceau le plus long de l’album (dans une version étendue par rapport à celle parue en début d’année), l’introductif “Home” nous emmène sur les terres californiennes des Byrds et de Neil Young, bien connues du groupe, et nous fait prendre toute la mesure de l’aisance des deux guitaristes (s’il en était encore besoin), dont les soli croisés sont parfaitement soutenus par une section rythmique souple et des orgues et pianos discrets. On se plait à imaginer que ce morceau, qui évoque le mal du pays tout en cherchant à nous perdre dans les lointaines plaines américaines, est destiné à leur ami Gerard Love, pour qui les tournées à l’étranger ont été une des raisons d’arrêter l’aventure.
Sur le morceau-titre, plus immédiatement pop, Euros Childs se permet un solo de synthé surprenant et enchanteur, avant un final tout en douceur. Plus loin, “Everything Is Falling Apart” constitue un des sommets de l’album, avec ses riffs de guitare soutenus par un synthé, donnant un air métronomique presque velvetien (on croirait entendre The Proper Ornaments). Dans la délicate “The Sun Won’t Shine On Me”, on retrouve tout l’art des harmonies qu’on aime depuis toujours chez les écossais. Quant à l’irrésistible “Come With Me”, qui commence et s’achève en délicatesse, poussé par une basse tout en rondeur, et des notes de synthés discrètes, il clôt magnifiquement la première moitié du disque. La suite confirmera tout le bien qu’on pense de cette nouvelle formation. “In Your Dreams” et ses entrelacs de guitares 70’s se pare d’arrangements synthétiques et son refrain répété à l’infini nous trouve souriant béatement les bras en l’air au milieu du salon. La ballade lumineuse “Back In The Day” franchit pour de bon la frontière avec le soft-rock sans qu’on ne trouve rien à y redire, sa mélancolie nous prend aux tripes et les chœurs finaux nous ramènent sous un soleil californien qui commence à amorcer sa descente et qu’on voit disparaître sur la poignante et trop courte “The Future”, avec ses harmonies tourmentées et son piano crépusculaire. Avant de nous laisser seuls, “Silent Song” se présente en conclusion délicate, hymne à la simplicité, comme une promesse rassurante que l’échappée est encore possible.
Enregistré avant la crise que l’on connaît, Endless Arcade aura attendu plus d’un an avant de sortir. On ne peut que s’étonner de la teneur presque prémonitoire de certains titres. Inspirés de leurs histoires personnels, les textes restent suffisamment universels pour que chacun puisse se les approprier. Ainsi, la crise qu’a traversée le groupe avec le départ de Love ne les a pas laissés indemnes, et le constat d’impuissance devant ce qui ressemble à la fin d’un monde, ajouté à la certitude que les choses ne seront plus jamais comme avant, et plus généralement l’évocation du temps qui passe, trouveront facilement une résonance auprès de leurs auditeurs dans les temps incertains que nous vivons. Mais malgré le propos parfois sombre, les écossais nous livrent un magnifique disque de transition, traversé par une mélancolie omniprésente, portée par des arrangements minutieux et des harmonies lumineuses qui confirment, si besoin était, tout leur savoir-faire pop.
Pour Teenage Fanclub, l’histoire continue, et c’est tant mieux. Inutile de vous dire qu’on a hâte de les voir en concert dans cette nouvelle configuration.
Rob Veneto