Lambrini Girls – Who Let The Dogs Out

Est-ce que la bouffée d’air frais de la contestation ne viendrait pas (une fois encore) de nos voisins outre-Manche ? Alors que se forme peu à peu l’Internationale réactionnaire, que l’heure est plus à supprimer des droits que d’en accorder, il y avait de quoi être curieux et jeter une oreille avide à Who Let The Dogs Out, le premier album de Lambrini Girls, duo de Brighton. Car mis à part les Sleaford Mods et Idles (ah ah ah), il faut bien avouer que le Royaume-Uni était en petite forme pour nous livrer du brûlot punk incendiaire politique hargneux comme il a su/sait le faire. La récente signature du groupe sur City Slang (Calexico, Son Lux, les magnifiques The Notwist ou Tindersticks), une réputation de concerts furieux et hors-contrôle et une presse quasi unanime ne pouvait que me convaincre d’avoir entre les oreilles le nouveau Bikini Kill anglais. Car Phoebe Lunny, guitariste, et la bassiste Lilly Macieira, sont en colère, très en colère. Textes féministes ultra engagés, crus et offensifs, le duo tape légitimement sur tout ce qui ressemble au patriarcat, à la masculinité toxique, au virilisme, avec cette morgue toute anglaise. Le disque commence avec un « Officer, what seems to be a problem ? Or can we only know post-mortem ? » sur la violence policière, avant de diriger guitare et basse sur l’infecte culture d’entreprise où l’employée sert de gibier à la hiérarchie mâle, « Michael, I don’t want to suck you off on my lunch break » jette Phoebe Lunny. La chanteuse s’égosille contre l’homophobie (« No Homo »), contre la culture du viol (« Big Dick Energy »), elle combat, elle bouillonne, et convoque, à travers onze chansons, tout.es ses ainé.es anglais.es de la révolte.
Et pourtant, et pourtant. La bouffée d’air frais promise ne vient pas. On entrevoit là le problème des groupes à thème, qui relèguent la musique au second plan. Les paroles occupent tout l’espace et la composition ne suit pas. Le punk garage des Lambrini Girls est lassant, sans inventivité, et finalement tourne en rond pour ressembler à un énième groupe un peu énervé du Pitchfork festival ou d’un We Love Green qui voudrait s’acheter une caution punk. Pourtant, quand le groupe ralentit le rythme, il devient pertinent, avec « Filthy Ways Nepo Babies » sur les gosses de riches dans l’industrie musicale (« Hugo wants to be a rockstar, smashing up 5-grand guitars. His dad works for Sony ») et rappelle le « Hey Little Rich Girl » des Specials. Pareil avec « Love », plus dense, plus écrit, et son refrain couperet « C-U-N-T, I’ll do what’s best for me ».
Mais à force de cocher toutes les cases (look, paroles, musique), les deux Brightonians donnent l’impression de livrer un cahier des charges du queer punk et finissent par être consensuelles dans la révolte. Tout a l’air déjà tracé, tout est en place, il n’y a qu’à voir la quantité de merch ou la dizaine de liens vers les plateformes d’achat ou de streaming sur leur site. Peaches, The Gossip (premier album), L7 ou Babes In Toyland, avec lesquelles on pourrait comparer Lambrini Girls, avaient, elles aussi, du merch, ça n’est pas la question, mais leur révolte sentait plus l’essence que le plan marketing. Les deux musiciennes tournent beaucoup (soixante dates prévues dans les prochains mois), et drainent beaucoup de hype, les ancien.nnes punks souscrivent. Kathleen Hanna, la leader de Bikini Kill et Le Tigre, par exemple, les adore, mais être adoubé par la figure du mouvement Riot grrrl ne suffit pas pour que le pavé lancé fasse mouche.
Maxime Guimberteau