Interview – Circus Trees
Notre génération se borne à croire que la jeunesse ne s’abreuve que de nouvelles technologies, de réseaux sociaux, mais l’engouement pour la musique Rock est réel, universel, un médium qui permet de transmettre des émotions, de vivre en vrai, en direct, sans écran ni filtre. Le contact entre artistes et public est relié par une électricité conductrice qui n’a jamais cessé de traverser le temps, l’espace, les corps et l’esprit. Chaque génération a son propre langage, son identification et ses codes. Une société dont les carences culturelles ne s’acquittent jamais de sa mission historique pour la pérennité de l’art, est le signe de la mort de l’esprit créatif. Nous ne sommes pas les garants du présent, nous voilà déjà dépassés par l’ampleur d’un phénomène dont on a déjà ressenti les soubresauts lors d’expériences similaires d’un autre temps. C’est pourquoi dans cet entretien il m’est apparu opportun de poser des questions aux deux sœurs McCarthy qui forment Circus Trees, dont l’album This Makes Me Sad and I Miss You révèle la maturité musicale de deux adolescentes et par là-même, la réception positive du public, même parmi ceux qui n’apprécient pas habituellement ce genre de musique. Il est un fait admis et acquis, les deux sisters ont signé un disque où fragilité et force sont conjointes, dans un élan spontané.
« On a reçu de très bons retours à propos de nos textes, de la part de personnes qui ne sont pas fans de heavy ou de slowcore. Je suis contente que nous ayons écrit ce que nous ressentions, les gens apprécient notre sincérité, ce qui nous touche vraiment. »
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Comment la musique est-elle entrée dans votre vie ?
Finola (guitare-chant) : C’est par l’intermédiaire de notre père qui a exercé une grande influence sur notre approche de la musique. Je nous revois dans sa voiture, en train d’écouter plein de nouveautés et ça nous a donné envie, très tôt, de nous consacrer à la musique. De mélomanes nous sommes passés dans notre enfance, à musiciens. Notre frère aîné a commencé avec la basse, et comme nous sommes une grande fratrie, nous avons tous décidé ensuite de jouer d’un instrument. Je me suis dit qu’il fallait que je joue de la guitare, et ma sœur a choisi le piano pendant un certain temps, puis nous avons tous appris les instruments des autres, ce qui nous a permis de permuter le rôle de chacun au sein du groupe. J’ai toujours écrit un peu ici ou là, et je chantais souvent et c’est à partir de cette période que je me suis mise à composer.
Qu’est-ce qui vous a décidé à enregistrer ?
Finola : J’ai toujours voulu mettre des mots en musique, on avait ça en commun. D’abord nous avons joué beaucoup de reprises, notamment des titres de Joan Jett, des Killers… On était à fond durant cette période, mais je pense qu’en fin de compte nous savions que nous voulions écrire notre propre musique à partir de toutes les influences que nous avions accumulées et que notre intention était de devenir plus heavy et de composer des morceaux bizarres.
D’où vient le nom de Circus Trees ?
Finola : Avec mon père, on essayait de trouver un nom qui collait avec notre musique, on cherchait au travers de nos balades, à travers même les objets du quotidien, nos observations, nos découvertes, un peu comme des chasseurs. Et nous sommes tombés sur des arbres entremêlés, communément appelés Circus Trees, des branches d’arbres devenus des motifs complexes et composés en forme de cœurs, d’éclairs tressés. C’est à la base un arbre que l’on plie et que l’on façonne, plutôt que de le couper. Ça nous a parlé, on en a discuté et à partir de ce nom, tout s’est mis en place.
Quels sont les thèmes de votre nouvel album ? Qu’est-ce qui le différencie du précédent ?
Finola : Une grande partie de ce disque est basée sur le fait qu’à mesure que nous devenions de jeunes adultes, le nom de l’album correspondait très bien avec cette croissance et cette maturité dont on ressent aujourd’hui les effets. C’est très proche de nous, c’est presque organique, l’album décrit les nombreux changements dans nos vies. Parfois quand nous regardons des photos de notre enfance, ça nous rend littéralement tristes de penser à la pureté de ce que nous avions vécu.
Considérez-vous que le passage de l’enfance à l’âge adulte est difficile ?
Finola : Ce que nous avons traversé n’est pas difficile en soi, tout cela s’est fait au fil de notre adolescence, mais il y a une certaine nostalgie de toute cette période. La transition de notre enfance à une nouvelle étape est une prise de conscience autour d’évènements personnels. Si l’on compare cet album au précédent, la thématique concernait le monde dans sa globalité, on abordait moins les sujets intimes. On aborde la perte, non pas d’une personne, mais d’animaux de compagnie très proches qui nous ont quittés ces deux dernières années. C’est très présent tout au long de l’album.
Edmee (basse-chant) : S’asseoir et se mettre à écrire, ça permet de clôturer le passé, on a choisi le titre de l’album de manière à évoquer ce que de nombreuses personnes désespérées vivent ou des expériences présentes qu’il faut traverser.
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Quelle est la signification du premier titre acoustique « More Than You Could Ask For » ? Est-ce une façon de réunir toutes vos pensées, vos désirs, vos paroles dans un seul titre ?
Finola : J’avais ce riff de guitare en tête depuis probablement quatre ans et je savais que cette compo allait ouvrir l’album. A l’origine il n’y avait pas de paroles et nous allions la publier en version instrumentale. Et puis, j’ai rêvé qu’il y avait des texte sur cette musique et que quelqu’un chantait dessus et je me suis dit : « Il faut absolument écrire », j’avais l’impression que beaucoup de gens autour de nous étaient dans cette attente et que nous avons ressenti un poids sur nos épaules en le produisant. Je me suis décidée : « Voilà, c’est plus que ce que vous demandez » (NdR : titre du morceau) et j’ai repris une phrase de chaque chanson de l’album et j’ai expliqué le sujet de chaque chanson et j’ai terminé la composition comme ça. Au final, ce titre qui ouvre l’album nous satisfait vraiment.
Peut-on dire que votre musique ne s’adresse pas seulement à une génération, mais qu’elle englobe aussi bien la jeunesse que les adultes ? Le titre « Save Yourself » notamment a ce côté bienveillant et humaniste…
Finola : Notre priorité était de faire passer l’émotion, nous n’écrivons pas pour un genre spécifique, et notre musique ne s’adresse pas à un public précis. Nos compositions traduisent une certaine tristesse, mais véhiculent aussi une forme de paix. Il y a beaucoup de sujets auxquels on peut s’identifier, on a reçu de très bons retours justement à propos de nos textes, de la part de personnes qui ne sont pas fans de heavy ou de slowcore. Je suis contente que nous ayons écrit ce que nous ressentions, les gens apprécient notre sincérité, ce qui nous touche vraiment. Notre frère a quitté la formation après deux ans et la sortie du premier album, mais il a été une force pour nous deux.
Vous harmonisez vos voix à tel point qu’elles forment une seule entité. Comment faites-vous pour y parvenir ?
Finola : Nous sommes sur la même longueur d’onde, on a beaucoup bossé sur le chant, je viens de terminer mes études secondaires et il y a depuis comme un interrupteur qui s’est déclenché, on est vraiment engagées dans la musique, comme un vrai boulot.
Edmee : Au début, ce n’était pas simple du fait que nous étions tous à l’école, mais en dehors, la musique nous réunit et ce lien nous rend fortes face au monde, au quotidien.
Vous avez une conscience très aiguë du monde d’aujourd’hui. Comment parvenez-vous à intégrer tout cela dans vos textes ? Quelles sont vos références musicales ?
Finola : En ce moment, on écoute beaucoup Boygenius, Julien Baker, des artistes féminines. On aime le fait que nous ayons reçus de notre père une instruction musicale avec des artistes comme David Bowie, on a même récemment repris un de ses titres. On aime aussi des groupes bien plus heavy, dont O’Brother qui a été le détonateur pour Circus Trees. Nos influences n’ont pas beaucoup changé, mais on aime passer d’une musique calme à du hardcore ou du sludge. Concernant notre lucidité, elle est avant tout l’observation de tout ce que l’on perçoit, comme modèles et qui ne le sont plus une fois que le réel s’est manifesté.
Edmee : On saute d’un genre à l’autre, tout nous influence, jusqu’au post-rock, mais on est satisfaites du résultat sonore. C’est un album avec de nombreuses nuances. On aime ce qui est pesant, triste et puissant. On n’a pas vraiment grandi avec Nirvana et des groupes 90’s, bien que nous apprécions ce qu’ils nous ont transmis.
Tout a été enregistré maison ? Avez-vous contacté un label ?
Finola : Nous aimons tout faire par nous-mêmes. Bien entendu, tout soutien reste bienvenu. Si un label s’intéresse à notre musique, à notre personnalité, notre indépendance, le contrat devra respecter ce que nous sommes. On a enregistré dans un sous-sol, chez nous, sans avoir une échéance précise comme l’imposerait une maison de disques. On a pris le temps nécessaire, pour faire la part des choses, entre la musique et notre vie extérieure. On est tellement ravies d’avoir matérialisé notre musique, sous la forme de vinyles ! Et puis, la pochette est le reflet de ce que l’on aime, de qui nous sommes. On vient de faire une tournée sur la côte est, alors qu’auparavant, les opportunités de jouer en public, étaient ponctuelles. Là, c’est vraiment une première étape, et non des moindres ! On a aussi prévu des dates dans le Massachusetts ! On aime l’idée d’être sur la route, d’aller jouer dans des lieux différents, rencontrer des gens. En quelque sorte, explorer le monde !
Interview réalisée par Franck Irle