Duncan Marquiss – Wires Turned Sideways

Publié par le 28 juin 2022 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Basin Rock, 4 mars 2022)

Peu de gens les connaissaient en France, c’est fort dommage, mais entre 2008 et 2015, les Écossais de The Phantom Band furent, sans nul doute, l’un des groupes qui nous a le plus intrigués. En quatre albums, dont on ne saurait trop vous conseiller l’écoute, ils réussirent à conjuguer leurs racines écossaises avec leurs influences kraut et folk, en proposant une palette psyché et goth, aussi bien que pop et expérimentale.

Si le chanteur Rick Redbeard (Rick Anthony) semblait incarner la face folk et mélodique du groupe – il n’y a qu’à écouter ses albums solos pour s’en convaincre – l’écoute de Wires Turned Sideways du guitariste Duncan Marquiss nous laisse entendre que c’est à lui que nous devions les nuances kraut et les incartades kosmische.

Dans la description de son projet solo, il est dit que sa musique a un pied dans le kraut teuton des 70’s, et un autre dans les forêts profondes de l’éternelle Ecosse. Il sera difficile de mieux résumer ce qui ressort à l’écoute de cet album.

Rapidement, nous sommes plongés dans des boucles superposées qui s’enchevêtrent, s’enlacent et se délacent, en une ronde hypnotique qui appelle aussi bien les fantaisies opiacées des années 70, que les fééries moussues et verdoyantes des Highlands. Tout l’intérêt, et le réel coup de maître de Marquiss, tient en son aptitude à renverser les valeurs et à nous faire basculer par-delà le miroir. Ainsi, un morceau tel que « Tracks », presque exclusivement acoustique, aurait pu n’évoquer que la partie celtique de l’identité de son auteur, quand, au contraire, elle révèle, malgré son ton bucolique, une inquiétude grise, et un malaise largement urbain. Ce sentiment fut accentué lorsque le hasard nous amena à écouter ce morceau lors de notre visite de l’exposition /Allemagne / Années 1920 / Nouvelle Objectivité / August Sander / au centre Pompidou. La musique débuta, alors que nous étions nez à nez avec le tableau « Die Arbeitermittagspause » (« Pause déjeuner des ouvriers » – vers 1928) de l’architecte Karl Völker. Nous avons ressenti, instantanément, comme un malaise à entendre cette guitare acoustique, ni belle, ni enjôleuse, mais au contraire désespérée et comme abattue par son propre poids, en regardant cette foule entassée nous regarder à son tour. Je fus saisi par l’écho que je croyais discerner dans le regard des ouvriers, vide, lointain, mais aussi, d’une certain façon, accusateur et atrabilaire. Que dire des regards des quelques enfants présents dans le tableau ? Ce sont ceux-là qui nous ont le plus refroidis, car si le titre de Duncan Marquiss finira par se réchauffer, au fil des arpèges, cela ne suffira pas à faire passer le goût métallique qui pointa au fond de notre gorge. L’effet fut on ne peut plus saisissant, et il est étonnant de constater que ce qui aurait dû être une parenthèse acoustique au mitan d’un disque résolument électrique se révèlera être un morceau hanté, pour nous du moins, par une rencontre, hasardeuse, avec un tableau aux briques rouges comme l’enfer.

Par ailleurs, Wires Turned Sideways compte son lot de douceur, et, globalement, il s’agira d’un album résolument lumineux et presque apaisé. On notera le très beau « C Sweeps » et sa guitare qui sonne comme un melodica tout droit sorti d’un film de Herzog. On pensera également, souvent, à Jim O’Rourke et à Cluster. Inconsciemment, comme avec les constellations, on tracera des liens inexistants, entre différents points, et l’on se prendra à rêver les dents serrées.

On regrettera toujours The Phantom Band. À ce jour, le groupe n’a pas officiellement splitté, mais il ne s’est jamais remis du vol de son matériel, à Lille, en 2015, deux jours après ce qui restera comme le dernier concert que j’aurais vu d’eux. En attendant, pour son premier album solo, Duncan Marquiss a largement réussi son coup et parvient presque à nous faire avaler une pilule qui nous avions coincée dans la gorge depuis sept ans. Espérons qu’il n’y aura pas à attendre aussi longtemps avant d’avoir de ses nouvelles. 

Max

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