King Hannah – I’m Not Sorry, I Was Just Being Me

Publié par le 18 mars 2022 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(City Slang, 25 février 2022)

Si ce début d’année 2022 ne manque pas de bons disques, ceux-ci sont pour le moment plutôt l’apanage de groupes confirmés (sans chercher bien loin, on peut citer Hangman’s Chair, Big Thief, The Poison Arrows, Grivo, Bambara ou encore EZ3kiel). Pour quelqu’un qui bouffe de la musique matin, midi et soir à la recherche de la tartasse inattendue, cela manque quelque peu de révélations fracassantes. Mais ne nous lamentons pas trop vite, il y en a eu et il y en aura beaucoup d’autres, à n’en pas douter. Une des plus belles, et on a pris le temps de s’en assurer avant de le claironner, nous vient de Liverpool et est accompagnée d’un vent bristolien indéniable.

King Hannah vient de sortir un premier album, tout à fait remarquable de maturité, entre shoegaze et trip hop, souvent hypnotique et parfois totalement exaltant. Quand on évoque Bristol, il faut bien sûr penser Portishead. Pas le Portishead expérimental de Third mais celui des débuts, qui fait voyager intérieurement sans pour autant secouer dans tous les sens. Cette analogie s’explique en premier lieu en raison du chant féminin évidemment, mais aussi dans les instrumentations aériennes et très épurées de l’ensemble (l’entame sur la pointe des pieds avec « A Well-Made Woman », « Foolius Caesar » et sa batterie répétitive, le formidable « Go-Kart Kid (Hell No!) » dont les « HELL YES »/« HELL NO » viennent ponctuer les phrases musicales comme des samples habilement dénichés). Et évidemment, celui qui ne pense pas à Mazzy Star à l’écoute de ce disque… ne connait probablement pas Mazzy Star. Tout n’est que murmure. Mais un murmure affirmé. La voix lancinante de Hannah Merrick semble nous susurrer à l’oreille que rien ne presse, tout peut attendre. Demain. Ou plus tard. Parfois, c’est le bonhomme qui chante. Craig Whittle s’exécute à merveille, lui aussi, bien qu’il intervienne sur les morceaux les moins marquants du disque (« Ants Crawling on an Apple Stork » et le morceau-titre qui ne sont « que » jolis). La musique de King Hannah invite à la léthargie, mais il se dégage parfois une tension certaine, quelque chose d’un peu sale et menaçant, voire accablant. Comme si le cocon devenait prison (« Big Big Baby » ou le final de « Foolius Caesar »). Un groove roublard vient également nous inciter au sautillement enthousiaste sur « All Being Fine » et prévenir toute somnolence, avant de s’achever de manière plus torturée venant questionner si tout va vraiment si bien qu’on nous l’affirme. C’est là toute l’habileté de King Hannah, n’hésitant pas à venir pervertir ce qui semble précieux et immaculé. Si l’ensemble s’était contenté de demeurer propret, de caresser dans le sens du poil, on aurait mis un morceau de côté (« The Moods That I Get In », tant qu’à faire) et on ne serait jamais retourné voir si ce disque a une emprise sur nous. C’est le cas. On peut désormais l’affirmer avec certitude. On vous a dit que « The Moods That I Get In » était un grand titre ? Pas suffisamment. On l’a à peine suggéré. « The Moods That I Get In » est GRAND. Il commence pourtant comme tant d’autres dans l’album mais après s’être déployé avec grâce, il s’envole pour de bon dans la deuxième moitié où le jeu de guitare sublime débouche sur un final incandescent et vient se caler tout là-haut et ricaner en nous observant scotchés bouche ouverte. À ce titre, la qualité de l’enregistrement et du mix sont à saluer, tant l’ensemble est précis et aussi savoureux quand les ambiances s’instaurent que lorsque la machine s’emballe. Et encore, on ne parle là que d’écoutes en streaming qui ont la fâcheuse tendance à lisser le tout et à rendre les musiques vallonnées désespérément plates. En fin de course, « It’s Me and You, Kid », entre guitares crades véhémentes et refrain scandé, pourra évoquer Yo La Tengo lorsqu’il se fâchait très fort.

Ça commence à faire quelques références de poids. Comme indiqué dans le titre, King Hannah ne sont qu’eux mêmes et tant pis s’ils évoquent d’autres avant eux. Ils n’ont évidemment pas à s’excuser, ils ont au contraire bien des raisons d’exister. Et d’espérer un couronnement qui ne devrait trop tarder.

Jonathan Lopez

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