Metallica – Metallica

Publié par le 18 août 2021 dans Chroniques, Incontournables, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Elektra, 12 août 1991)

Je suis un peu trop jeune pour avoir découvert le cinquième album de Metallica au moment de sa sortie. J’avais douze ans. Je commençais à être un peu éveillé, musicalement parlant mais le heavy metal ne me parlait pas encore vraiment. Comme beaucoup de pré-ados, j’écoutais Queen, dont le chanteur, Freddie Mercury, n’allait pas tarder à mourir des suites du Sida, entraînant une vague d’adhésion sans précédent à ce groupe auparavant moqué par les critiques. Le concert hommage à Wembley du 20 avril 1992 fut un moment important, pas seulement dans l’histoire de la musique mais aussi dans l’histoire culturelle occidentale – ce fut la véritable prise de conscience collective des dangers du Sida au-delà de la communauté gay, il me semble, notamment grâce au rôle joué par des personnalités comme Liza Minelli et Elton John. Pour moi, ce fut aussi la première exposition au hard rock. Def Leppard, Extreme, Guns N’ Roses, Robert Plant, Tony Iommi : tous participaient au concert. Et donc, Metallica. Toutes les prestations ne furent pas mémorables. Elton John – que j’appréciais déjà beaucoup – n’avait pas la voix lui permettant d’interpréter correctement « Bohemian Rhapsody » et Robert Plant était incapable de donner vie à « Crazy Little Thing Called Love » – je n’aurais pas imaginé au premier visionnage de ce concert que Led Zeppelin allait très vite devenir une obsession pour moi. Mais Metallica, eux, ils assurèrent. James Hetfield vint rejoindre les trois survivants de Queen pour un mythique « Stone Cold Crazy », une chanson peu connue du répertoire de Queen que Metallica avait déjà reprise sur la compile pour le 40e anniversaire d’Elektra. Bizarrement, la télé française (Canal ? M6 ? J’avoue que je ne me souviens plus bien…) qui avait diffusé le concert avait coupé cette chanson au montage. En revanche, elle avait conservé tout le début du concert, quand quelques groupes ouvraient le bal en jouant leurs propres compositions. Et c’est donc bien « Enter Sandman » qui débute ce concert, que je me suis rematé des dizaines de fois en VHS, sans doute jusqu’à en altérer la bande. Je mentirais si je disais que ce fut pour autant love at first sight pour moi. J’ai aimé la chanson mais pas au point où il m’a semblé vital d’aller écouter le reste de l’album. Cela viendrait un peu plus tard, vers 1993, quand je deviendrais à mon tour un vrai metalhead.

Quoi qu’il en soit, cet événement montre à quel point Metallica fut culturellement important en 1991. Je pense qu’on oublie de le dire aujourd’hui car on a fait une relecture très critique de l’album homonyme au regard de la suite de la carrière du groupe mais dans le contexte de sa sortie, le Black Album, comme il est de coutume de l’appeler, fut au moins aussi important que Nevermind de Nirvana. Imaginez-vous que des radios comme Fun Radio ou Skyrock allaient se mettre à passer massivement du rock alternatif, du grunge et du metal jusqu’en 1998 – en gros on peut dire sans trop se tromper que la frange médiocre du Nü Metal a tué le mouvement. Et si bien sûr, la bande de Kurt Cobain avait sa part de responsabilité dans cette évolution, je crois qu’on peut en dire presque autant de Metallica – et de Guns N’ Roses, mais cela, peu oseront se l’avouer… Metallica, l’album, s’est vendu à 600 000 exemplaires aux Etats-Unis durant sa première semaine, où il est resté 488 semaines dans les charts – il ne fut égalé que par Dark Side of the Moon et Tapestry (Carole King) sur ce point, c’est-à-dire devant Nevermind ou Thriller, donc. « Enter Sandman » était partout. Son riff fut matraqué sur toutes les radios, il fut appris par tous les guitaristes amateurs. À titre personnel, c’est grâce à lui que j’ai commencé à apprendre à jouer un truc et à en chanter un autre en même temps. Être capable de dire « Sleep with one eye open / Gripping your pillow tight » en jouant le riff qui va avec, c’était ma petite satisfaction quand j’ai commencé à me mettre à la gratte, mon premier vrai progrès, on va dire. Il y a quelques années, une collègue de travail me montre une vidéo de sa fille se mettant à la gratte – depuis, elle est devenue bien meilleure que moi ! – et c’était évidemment « Enter Sandman » qu’elle jouait. Peu de morceaux sortis après 1991 ont eu cette postérité, je pense. « Seven Nation Army », « Plugin Baby » (hélas…), peut-être ? Bref, tout ça, pour dire que le sans-titre de Metallica fut vraiment influent. Et encore, je n’ai pas parlé des autres singles : « Nothing Else Matters », « Sad But True », « Whenever I May Roam »… qui ne les a pas entendus en boucle ?

On peut alors se demander pourquoi le Black Album a si mauvaise presse. Pour le fan de metal de base, il représente les premiers signes d’un déclin du groupe après quatre disques quasi-parfaits – en fait, trois disques parfaits et un autre au moins aussi bon que ses prédécesseurs mais dont on cherche encore les pistes de basse… Il est clair que la période allant de Kill’ Em All à …And Justice for All représente non seulement un âge d’or du groupe mais aussi du metal en général. On ne se trompera pas en disant que Metallica était alors le fer de lance de la musique extrême et que des groupes plus féroces que la bande à Hetfield/Ulrich, de Slayer à Morbid Angel en passant par Death ou Sepultura n’auraient sans doute jamais eu l’écho qu’ils ont eu sans l’autoroute que Metallica a su tracer pour ce type de musique. Metallica était donc déjà aussi important pour l’Amérique qu’Iron Maiden l’avait été pour l’Angleterre quelques années avant quand il entra en studio pour donner une suite à …And Justice For All. C’était donc le deuxième album sans le regretté Cliff Burton et sans doute le premier à ne pas être trop marqué par sa mort. Avec un peu de chance, on allait peut-être ENFIN entendre la basse de Jason Newsted, qui sait ? Pour ce disque, Metallica choisit d’aller voir Bob Rock, connu pour ses productions hyper léchées pour Mötley Crüe ou Bon Jovi, autant dire pas vraiment le type de culture appréciée par les fans de thrash ou de death metal. Après ce qui est certainement le disque le plus froid et implacable de Metallica, il y avait sans doute de quoi avoir un peu peur sur la direction que le groupe allait prendre. Par ailleurs, la formation bénéficiait pour la première fois d’un très long temps en studio, l’enregistrement ayant duré d’octobre 1990 à juin 1991. Le groupe pouvait donc débarquer avec ce qui ressemblait plus à une série d’idées qu’à de vrais morceaux aboutis et leur donner une forme finale au cours du processus d’enregistrement lui-même. Cette période est parfaitement documentée par le premier volume d’Un an et demi dans la vie de Metallica, une autre VHS que j’ai usée jusqu’à ce qu’elle soit à peine lisible. Pour tout fan de musique, et pour des raisons assez inverses de celles de Some Kind of Monster, ce documentaire est un must see pour tous les fans de musique. On voit vraiment le groupe progresser en studio, affronter par moments son producteur, tout en finissant par produire un véritable succès. Ce qu’on voit, tout d’abord, c’est que Bob Rock avait une vision pour Metallica. Il pensait que leurs albums précédents ne retranscrivaient pas la puissance du groupe en live. Il voulait un son plus dynamique et organique en studio. On voit en effet que le groupe utilise assez peu ses guitares habituelles, ces Jackson et autres ESP prisées par les amateurs de metal et va plutôt opter pour de vieilles Fender ou Gibson vintage qui vont apporter au son du groupe une certaine clarté. Le résultat, c’est que là où le son de Metallica était souvent très froid jusqu’à présent, une chaleur va vraiment se dégager sur ce disque. La chaleur, c’est aussi et surtout ce qui va caractériser la voix de James Hetfield. Rock le lui dit à plusieurs occasions pendant l’enregistrement. À chaque phrase, on doit sentir l’émotion et la personnalité du chanteur. On sent cela notamment sur « The Unforgiven », qui reste ma chanson préférée de ce disque. Hetfield a vraiment une profondeur dans la voix que les disques précédents ne faisaient qu’esquisser. Il a aussi plus de puissance, paradoxalement. En gros, d’un son agressif, Metallica va passer à un « gros » son. Ensuite, Rock incite le groupe à simplifier ses structures. C’est le cas de la batterie, surtout par rapport à Justice. Si le résultat peut déplaire aux puristes, ça donne beaucoup plus de punch à ces nouvelles compositions. Enfin, Rock va aussi pousser le guitariste soliste (Hetfield enregistre toutes les grattes rythmiques, sans exception) Kirk Hammett dans ses retranchements. Un passage assez hilarant du documentaire le montre hésitant au moment de proposer un solo pour « The Unforgiven ». Rock dit en aparté que quand un musicien n’a pas bossé, il va blâmer le son. Ça ne manque pas : au bout de cinq minutes, Hammett se plaint du son, qui l’empêcherait d’arriver à ses fins. Après des tas d’essais/erreurs, sous le regard agacé du très présent Lars Ulrich, Hammett finit enfin par sortir la prise qui tue. Le solo raconte une histoire, il est mélodique et nous emporte. Je mentionnais à l’instant Ulrich et il est clair que si Hetfield est bien l’âme créatrice de Metallica, Ulrich est son moteur, sa tête pensante, c’est le mec qui reste en studio nuit et jour, écoute toutes les prises, s’intéresse à tous les tricks de production. Sans lui – et sans Rock – il est clair que le groupe n’aurait pas eu la force de faire évoluer son son. Hetfield, lui, est le sceptique du groupe. Il pense que Rock le bride et ce n’est qu’à partir d’un certain cap qu’il va réaliser que ce que fait Rock, c’est bien de révéler certaines choses qui étaient enfouies chez Metallica. Ce sont tous ses éléments qui vont faire le succès du Black Album. Et si Rock dit parfois des conneries – il suggère que “Holier Than Thou” pourrait démarrer l’album -, on ne peut pas non plus nier son apport.

Mais bien sûr, cet apport se sera fait au prix de la perte d’autres éléments qui faisaient l’identité de Metallica. Le côté metal progressif, ultra développé sur Justice, laisse la place à des compositions plus courtes et efficaces. Les riffs à étage disparaissent au profit de hooks plus pop. Et puis il y a une ballade dans le disque ! Je n’ai jamais vraiment compris la surprise – encore moins l’incompréhension – face à « Nothing Else Matters », tant les disques précédents regorgeaient déjà de passages qui mis bout à bout auraient pu constituer une ballade en soi – « Fade to Black » ou « One », par exemple. À la lueur de la paire Load/Reload, sur laquelle le groupe cimentera son ouverture musicale en faisant plus de place au blues ou à la country, et abandonnera quasi-définitivement le thrash de ses débuts, et surtout de St. Anger, tentative de sortir un disque plus agressif mais qui sera totalement raté du fait des problèmes individuels et relationnels dans le groupe, Rock va passer pour le fossoyeur de Metallica, celui qui les a déviés du droit chemin. Cette relecture va être renforcée par les deux derniers albums qui sans être vraiment marquants vont représenter pour le groupe des sortes de returns to form. Et qu’importe alors si le groupe cesse d’être créatif ou même intéressant, à partir du moment où ces nouveaux disques offrent une excuse pour se lancer dans une nouvelle tournée. Quoi qu’il en soit et malgré ce que disent certains fans, Metallica était au final un disque audacieux, gorgé de hits dont on espère que la ressortie en septembre – elle a été repoussée de quelques semaines, semble-t-il – permettra de le réévaluer.

Yann Giraud

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