Mogwai – As The Love Continues

Publié par le 17 février 2021 dans Chroniques, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Rock Action, 19 février 2021)

Bon, alors, que vaut-il, ce dixième album de Mogwai ? Je paraphraserai l’un de mes chroniqueurs préférés – et néanmoins ami – en disant que Mogwai est un de ces groupes dont on n’attend plus le vin nouveau, mais plutôt un cru dont on essaiera de juger s’il est bon, très bon ou grand. Il faut dire qu’en l’espace de vingt-cinq ans, presque rien n’a changé chez ce groupe. Barry Burns est arrivé avec le deuxième album, John Cummings l’a quitté juste avant le neuvième et, soyons honnête, si l’entrée du premier avait apporté, à défaut d’une révolution, une forme d’inflexion dans le son du groupe, devenu moins aride, plus texturé, avec ses nappes synthétiques et ses voix passées au vocodeur, la sortie du second aurait presque pu passer inaperçue. Ce micro-événement aura peut-être justifié le retour de Dave Fridmann au poste de producteur pour la première fois depuis Rock Action (2001). Qui sait ? Toujours est-il que le groupe a dû apprécier les services rendus par ce dernier sur Every Country’s Sun puisque c’est lui qui rempile derrière la console. Fridmann divise assez souvent les fans. Il a certes magnifié les meilleurs albums de Mercury Rev, Sparklehorse ou les Flaming Lips mais on lui reproche parfois d’avoir torturé le son de Sleater-Kinney sur The Wood – que nenni, c’est leur meilleur album ! – ou d’avoir enfoui les guitares dans le mix sur Gold and Grey de Baroness – que nenni, c’est leur meilleur album ! Sur ceux qu’il a réalisés pour les post-rockers écossais, Fridmann ne semble cependant pas se permettre les mêmes excentricités que sur les disques que je viens de citer. On retrouvait bien quelques batteries saturées sur Every Country’s Sun, mais rien qui soit de nature à susciter la surprise ou une réaction outrée. Mogwai reste un groupe au son relativement proche du live sur album – les acouphènes en moins – et Fridmann ne semble pas disposé à vouloir changer cela. On attaque donc ce nouvel album en terrain connu avec le genre de composition mid-tempo qui caractérise un peu tous les disques de Mogwai depuis The Hawk is Howling. « To The Bin My Friend, Tonight We Vacate Earth » est donc un cousin distant de « I’m Jim Morrison, I’m Dead » ou de « Coolverine ». On se sent déjà chez soi, en espérant que cet air de déjà-vu va vite se dissiper, malgré la qualité évidente de ce premier morceau. Puis, le groupe étonne une première fois avec « Here We, Here We, Here We Go Forever », une chanson au rythme presque pop, assez inhabituelle pour Mogwai et une voix autotunée, que l’on confondrait presque avec une guitare. On passera sur « Dry Fantasy », que le groupe avait sorti comme premier single et qui, bien que pas du tout infamante, n’apporte pas grand-chose à un canon déjà bien rôdé, pour se concentrer sur la première vraie bombe de cet album, un « Ritchie Sacramento » ultra pop, chanté par Stuart sans trop d’effets sur la voix. On est quelque part entre New Order (période Get Ready), Ride et The Notwist. C’est parfait, mélodique à souhait et très étonnant pour du Mogwai. Arrive ensuite un morceau que je n’ai pas aimé à la première écoute et qui commence enfin à faire son chemin au moment où j’écris ces lignes : long de sept minutes, « Drive The Nail » est lourde, menaçante, un brin répétitive mais finalement, quand on la réécoute, assez obsédante. Au milieu, on trouve un plan assez proche de Pavement, et donc de l’album homonyme de… Blur (are shite) ! On n’attendait pas cela de leur part mais ils ont osé, et ça paie.

Il y a bien sûr des choses plus classiques, notamment « Fuck Off Money » qui malgré son titre menaçant se situe dans la lignée de Happy Songs for Happy People, avec ses nappes de clavier et Barry à la voix vocoderisée. Puis, Mogwai va de nouveau étonner un grand coup avec un morceau très proche des Smashing Pumpkins dans le son, ce « Ceiling Granny » triomphant qui annonce une deuxième partie d’album assez forte. Et on n’est effectivement pas déçu avec « Midnight Flit », un morceau qui conjure en 6 minutes la grandeur du rival  Godspeed You! Black Emperor sur un morceau trois fois plus long. Les Ecossais leur ont d’ailleurs piqué le saxophoniste Colin Stetson, grand habitué des disques Constellation, sur le morceau “Pat Stains”. Et la greffe prend, assurément. Le disque ne va pas faiblir une seconde avant un final superbe, un vrai classique de Mogwai tout en montée majestueuse avec son explosion de guitare avec des harmoniques artificielles, rappelant un peu « Like Herod » sur le premier album.

Avec ce disque, Mogwai continue de creuser un son dont il est, depuis vingt-cinq ans, l’un des maîtres d’œuvre, tout en tentant par moments d’apporter quelques couleurs nouvelles à sa palette. Cependant, As The Love Continues semble aussi réintroduire çà et là dans le son de la formation écossaise un élément abrasif qu’on croyait avoir perdu depuis The Hawk is Howling. Cela constitue un parfait contrepoint au travail d’habillage sonore que le groupe a réalisé pour des films et des séries depuis le début des années 2010 et qui fit encore des miracles sur ZeroZeroZero l’année dernière. Je n’essaierai pas de dire si c’est le meilleur disque du groupe depuis (insérez ici le dernier disque qui vous ai franchement impressionné), car comme je l’ai dit dans ma rapide rétrospective de leur discographie, Mogwai n’a jamais sorti un mauvais album. Que des bons crus et des grands crus, donc, et celui-ci semble tendre vers les grands même s’il nous faudra encore quelques écoutes pour totalement nous en assurer.

Yann Giraud

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