Michel Cloup Trio – Catharsis en pièces détachées

Posted by on 18 novembre 2025 in Chroniques, Toutes les chroniques

(Ici d’ailleurs, 14 novembre 2025)

Michel Cloup revient avec Catharsis en pièces détachées, un nouveau disque qui porte bien son nom tant l’écoute en est décousue, mais d’où l’on ressort si ce n’est purifié, au moins conforté dans sa misanthropie automnale.

La chanson presqu’éponyme crie pourtant l’espoir : « Je ne croyais pas revoir un jour cette lueur dans nos yeux […] / De la joie / De l’ivresse ». C’est donc combatif que revient Michel Cloup, accompagné pour ce disque de la formation avec qui il tourne collectivement depuis plusieurs mois et individuellement depuis quelques années. Dans cet entourage à géométrie variable, tantôt duo, tantôt trio, il a cette fois embarqué Julien Rufié et Manon Labry. De sa collaboration passée avec Julien Rufié, on retiendra la sublime et douloureuse adaptation du bouleversant À la ligne de Joseph Ponthus, accompagnés pour ce projet de Pascal Bouaziz, mais aussi dix ans de travail à plusieurs voix. Quant à Manon Labry, on adorait déjà son groupe No Milk Today, et son prisme de chercheuse en civilisation nord-américaine (Riot Grrrls, Chronique d’une révolution punk féministe, paru en 2016) donne à la colère politique de cette formidable guitariste une vision à 360 degrés. À noter aussi un featuring de Frédo Roman, dit Nonstop, quatrième Toulousain du projet, sur « H&M (Hachoirs et Machettes) ».

De Diabologum, inégalé en France et groupe culte de Michel Cloup des années 90, on retrouve ici la poésie hargneuse, l’aspiration inassouvie, l’échec qui s’annonce par tous les pores et qu’on contourne maladroitement.

En 2022, son disque précédent, Backflip au-dessus du chaos, annonçait la couleur : l’espoir viscéral né en 2019 des soubresauts sociaux s’est tari, il n’est plus temps de Danser danser danser sous les ruines.

C’est en cela que Catharsis en pièces détachées est un curieux sursaut du phénix : si la cinquantaine de son principal protagoniste est passée par là, la répression des mouvements sociaux, le monde qui va mal comme il va, il y a une chose qu’on ne nous enlèvera pas, c’est la noise pour dire le monde. Yin et yang de l’époque, « Le poison / l’antidote » est ainsi désespérant de justesse.

Il y a des années, dans un Café de la Danse semi-déserté, on avait retrouvé Michel Cloup avec la rage et l’espoir au cœur, tandis qu’un type faisait du light painting en fond de scène et qu’on buvait trop de bières pour oublier l’amertume tiède de l’époque qui nous brise. L’atmosphère est aujourd’hui ô combien plus combative. Nul doute que ce projet foutraque et bruyant, en forme de vraie catharsis donc, va nous accompagner au moins jusqu’aux prochaines présidentielles. « David, Goliath et Godzilla », analyse politique pour les Nuls, sonne un peu Stupeflip, comme « R.I.P. » (et c’est un vrai compliment).

Bruyant comme il se doit, tantôt abscons, parfois plus profond, c’est un disque qu’il faut apprendre à apprécier. Ça sonne un peu dystopie, alarmes agaçantes, répétitions ; l’atroce « Bruit de fond » qui rend un peu fou si on l’écoute au casque, « Stihl loving you », officiellement meilleur calembour sur les tronçonneuses, les aboiements de « Catharsis » qui effraient les félins de votre entourage.

Mais c’est aussi un album qui comprend des lignes si délicieuses (« Tu vois des HPI partout / Tes enfants hyperactifs finiront émeutiers tout autour ») que de la grande histoire on ne sortira pas indemne et qu’il nous faudra nous interroger sur nous-mêmes : son joli « 2027 » rappelle la bluette « Ce siècle avait deux ans » de Frédéric Bobin (« Quelle place pour toi et moi dans tout ça ? » pour Michel Cloup, « C’était le temps de nous deux » pour Bobin).

Tout le monde en prend pour son grade, avec une subtilité brutale qui nous touche là où ça pique (ah, les selfies au Centre Pompidou de « Pour qui ? Pour quoi ? » : Michel se perd à Pompidou. Il n’aime pas les selfies. Les artistes sont vénères. Diatribe contre les sourires inutiles).

Tout le monde en prend pour son grade donc, d’Elon Musk à Poutine en passant par nos tristes mythologies à la Roland Barthes. Le tropisme toulousain n’est jamais loin, mais finalement la « Place du Ravelin » n’est-elle pas celle de toutes les nuits sans fin : « 3h du matin, on refait le monde une canette à la main. Je n’attends rien, tu n’attends rien, il n’attend rien ».

De cet amalgame un peu désabusé résulte un disque post-punk, post-quelque chose ; cacophonie de l’air du temps, il raconte quelques-unes de nos incohérences jusqu’au prodigieux cri de « SISRAHTAC », 14 minutes 25 qu’on a tant envie d’entendre en live. L’époque ne va pas très bien, nous non plus, mais qu’il est doux et rassurant de l’entendre de Michel Cloup, dont la radicale honnêteté nous accompagne depuis tant d’années. Michel is back, long live Michel! 

Marie Garambois

La release party du disque se déroulera à Petit Bain (Paris) le 12 décembre. 

Leave a Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *