Messa – The Spin

Parmi tous les sous-genres affiliés aux musiques dites « extrêmes », le doom est une chapelle souvent raillée pour son caractère monolithique voire conservateur. A l’instar du stoner, beaucoup de groupes essayent, sans forcément y parvenir d’ailleurs, à s’émanciper de l’ombre pesante des pères fondateurs. Tout en proposant une identité sonore singulière. Pour les deux genres pré-cités, le nom de Black Sabbath peut être ainsi cité avec une régularité (suspecte) au moindre power chord désaccordé. Avec un quatrième album en neuf ans, Messa survole majestueusement cette mêlée heavy rock.
Découvert pour ma part il y a trois ans, avec l’immense Close (grosse claque), le quatuor italien est de retour avec The Spin, un disque que j’attendais avec le genre d’impatience, rare, que l’on réserve à nos groupes favoris. Le combo voix féminine – doom hanté aux influences variées (orientale, blues, jazz…) a durablement marqué les esprits. Et le groupe transalpin s’est depuis forgé une réputation scénique solide via quelques grandes scènes européennes siglées metal (Hellfest, Roadburn…). Avec ce quatrième disque, on sent poindre une évolution… dès le tracklisting. Sept titres pour une quarantaine de minutes, ce qui en fait leur album le plus court. A la première écoute, une légère déception semblait poindre. La faute à des compositions plus compactes, efficaces oserais-je dire. Moins nimbées de mystères, où chaque pas ne risque plus de nous faire croiser les âmes perdues hantant les recoins sombres de Close ou Feast of Water (les deux précédents disques du quatuor). Dont certains titres pouvaient facilement étirer leurs ténèbres sur huit à dix minutes. Mais force est de constater que plusieurs écoutes ont suffi ensuite à rendre à nouveau effectif le sortilège. Et de se passer en haute rotation « The Dress » dont les envolées vocales de Sara Bianchin colonisent durablement l’esprit. Une trompette en sourdine instille à mi-parcours une ambiance crépusculaire jazzy assez sublime. Et de se lancer dans un dialogue avec la guitare. Avant un nouveau crescendo vers un des sommets du disque. Dans une interview trouvée sur les réseaux, le guitariste évoquait un mode opératoire renouvelé pour l’enregistrement de ce disque. Les soli, assez nombreux et plutôt inspirés, ont ainsi cette fois-ci été enregistrés à part, les parties de guitares enregistrées sur une… Telecaster. Et les différents titres dans plusieurs studios et localités. La volonté du groupe de se challenger. Le résultat reste pourtant homogène avec une vibe eighties, plutôt inattendue, et des guitares gavées… de chorus (je suis un poil intolérant à cet effet, d’où une petite moue aux premières écoutes). Et une esthétique plus gothique, tu meurs. Sara Bianchin cite par exemple les disques de The Sound comme une inspiration. Le groupe fait ainsi évoluer considérablement son empreinte sonore. Des titres compacts comme « Fire on the roof » ou l’inaugural « Void Meridian », avec leurs courtes intros de synthés (!) à la John Carpenter, dévoilent aussi une urgence nouvelle dans les compositions du quatuor, avec des tempi moins magmatiques. Comme le fantastique « Dark Horse » cavalant déjà, à travers la brume de Close, le disque précédent. Les Italiens nous avaient pourtant prévenus de leur nouvelles intentions avec le premier single « At Races » qui optait même pour la moto (cf le clip à l’esthétique soignée).
« Kicking like a horse
At races
Every stare
Weighs on my severed head
Cause I’m cursed
And I run »
Et si on pourrait déplorer la disparition des vibes orientales de Close, Messa ménage suffisamment de surprises dans sa boite de Pandore doomesque, dégainant une intro au bottleneck sur un « Reveal » bluffant. Sorte de blues diaboliquement addictif, rectiligne et frondeur. A mille lieux de « Immolation », situé pile en milieu de disque, qui démarre en piano-song, avec la voix claire de Sara Bianchin (à se pâmer), pour mieux exploser à mi-chemin avec un nouveau solo splendide d’Alberto Piccolo. Quel titre !
« The fever of recovering
Is a demon that sleeps
Inside of me
Inside of me
It is like a beautiful weight on my heart
Please run away, please »
Et s’il restait des récalcitrants toujours pas convaincus, Messa administre une dernière masterclass de son style singulier, avec le monumental « Thicker Blood ». Neuf minutes qui résume parfaitement le talent du groupe. Lent, spacieux, hanté, massif, majestueux. La voix de Sara Bianchin s’envole une fois encore, les guitares se font plus épiques, ça part en solo, ça riffe à tout va. La batterie double-pédale, et sur l’outro magistral, on part dans un growl furieux et jouissif. La mandale !
Avec The Spin, Messa continue d’étendre son empire ténébreux au royaume du heavy rock. En livrant son disque le plus accessible ? En tout cas, en réussissant le coup de force de faire évoluer son artisanat sonore sans perdre de son identité singulière. Allez, c’est pleine lune, je retourne headbanger avec les corbeaux.
Sonicdragao