Laurie Anderson – Amelia
« I see something shining… »
Plus de vingt ans après avoir présenté une première ébauche sur scène, Laurie Anderson publie aujourd’hui son hommage à l’aviatrice Amelia Earhart sous la forme d’un spoken word étrangement envoûtant, bien plus remarquable que suspecté de prime abord.
Alors que l’on aurait pu craindre une musique expérimentale exagérément opaque, Amelia fait, au contraire, la part belle aux cordes raffinées et aux arrangements soyeux. Accompagnée du chef d’orchestre Dennis Russel Davis et de l’orchestre Philharmonique de Brno (République Tchèque), la voix d’Anderson est sublime de profondeur et de nuances. Elle nous conte les différentes étapes du dernier voyage d’Earhart avec une grâce confondante, il en ressort un charme tout à fait étonnant. Le canevas se dévoile par petites vignettes assez courtes, le disque compte vingt-deux titres et ne dure que trente-cinq minutes. Le temps passant vite, on y revient d’autant plus souvent. Rapidement, on devine où Laurie Anderson a puisé cette énergie si particulière qui donne à Amelia sa force et sa tenue. On devine la petite fille qui rêve d’aventures autour du globe dans le sillage d’Amelia Earhart. On imagine la femme, au soir de sa vie, penser à cette petite fille, un stylo à la main.
Selon ses propres mots, elle ne raconte rien d’autre sur ce disque qu’une histoire de vitesse et de technologie. Une histoire du temps, donc. Comment le dompter, comment le prendre de court. Que ce soit par ses talents de pilote ou sa pratique de l’ingénierie aéronautique, Amelia Earhart voulait devancer un monde trop lent à lui faire une place, quitte à sauter les étapes, inconsidérément, forcément. La fin est connue et Laurie Anderson n’use d’aucun effet de manche pour créer un suspense qui n’a pas lieu d’être ou une dramaturgie qui se suffit déjà amplement à elle-même. Elle garde une juste distance tout en embrassant complètement son objet.
Au delà de la présence essentielle de Dennis Russel Davis, Laurie Anderson s’est également entourée de Marc Ribot à la guitare, du Trimbach trio aux cordes (en plus de l’orchestre), et surtout du fantastique Anohni, dont la présence, en contrepoint de la narration d’Anderson, apporte beauté et grâce avec une élégance surnaturelle. Impossible alors de ne pas ressentir l’esprit de l’époux décédé de Laurie Anderson : Lou Reed. Consciemment ou non, Amelia pioche dans la mythologie Lou Reedienne ses espérances orange, ses tendresses, et aussi une certaine goguenardise que lui et Anderson devaient partager en immense quantité. Ici, au détour d’une inflexion de voix, de trois notes de contrebasse, on s’attend presque à l’entendre murmurer la plus belle phrase jamais murmurée.
Si Amelia Earhart prévoyait de faire le tour du monde en partant de la Californie pour revenir à la Californie, on a davantage l’impression de voyager de New York à New York et de retrouver, par le prisme du rêve d’enfance d’Anderson, une partie du notre. Ce qui ne devait être qu’une curiosité discographique s’avère au final bien davantage. Par la beauté de l’orchestration, la profondeur de son interprétation et par l’honnêteté enfantine qui porte de bout en bout Amelia. Laurie Anderson nous invite dans son rêve avec une générosité anachronique dont nous lui sommes reconnaissants.
« I see something shining… North, northwest. »
Max