Deftones – private music

Qu’attendre de Deftones en 2025 ? Déjà, dirais-je, un sentiment de permanence. Le monde part en sucette. La guerre et le fascisme sont à nos portes. Le climat se réchauffe. La crise économique s’installe. Les réseaux sociaux nous épient. L’intelligence artificielle remplace l’être humain. On va perdre un ou deux jours fériés. Oui, mais voilà : le spleen que cela va générer sera toujours plus supportable grâce aux riffs de Stephen Carpenter, aux coups de boutoir d’Abe Cunningham et à la voix tantôt rugissante, tantôt caressante, de Chino Moreno.
Depuis désormais 25 ans, et malgré de nombreux déboires, la formation de Sacramento (Californie) a réussi à établir sa domination sur le monde du metal alternatif. Ayant survécu à l’affreux mouvement Nü Metal – genre musical qu’elle aura contribué à rendre moins honteux grâce à ses deux premiers albums – le groupe a très vite progressé, au point d’inventer sa propre mixture : un mélange de metal, d’emo-core, de new wave à la Cure et de shoegaze. Avec White Pony, Deftones a ainsi fait de son nom un genre musical à part entière, devenant la référence incontournable de tous les hargneux mélancoliques. Quand Nothing fait parler haut et fort les guitares, on dit qu’il fait « du Deftones », de la même manière qu’on dirait que toute personne qui crie sa détresse sur des rythmes indus fait désormais « du Nine Inch Nails » – cf. le prochain Jehnny Beth, mais on y reviendra !
Une telle singularité a cependant un prix : une fois ce son stabilisé, Deftones n’a plus réellement évolué. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait rien de bon à se mettre sous la dent dans les dernières offrandes du groupe, mais qu’on n’attend pas pour autant d’évolution notable de leur part. Tel AC/DC ou Mogwai, Deftones se doit coûte que coûte de maintenir un certain niveau de qualité sans toutefois se départir de sa marque de fabrique. Je sais ce que vous allez me dire : « Tu vas encore nous ressortir cette vieille histoire de crus ! » Eh bien, oui. Deftones est désormais un groupe à cru, et c’est donc comme le bon vin qu’on attend le millésime 2025, lequel s’est sacrément fait attendre depuis Ohms, sorti en 2020 pour exorciser la pandémie – ironique quand on sait que Carpenter, anti-vax, n’a pas daigné tourner à l’international pour autant…
Avant d’aller plus loin, un rappel : Deftones n’a jamais sorti un mauvais album. Vous pouvez moins aimer certains disques que d’autres, mais il faudrait être de très mauvaise foi pour déclarer que l’un d’entre eux est absolument indigent. La preuve : si vous consultez les divers sites où des critiques ont proposé des « worst to best » du groupe, vous ne trouverez pratiquement jamais le même disque en dernier. C’est souvent Gore, Saturday Night Wrist ou Koi No Yokan qui sont mis à la touche, mais bien souvent, la même personne qui déclare que l’un des trois est le moins bon place l’un des deux autres parmi ses préférés… Donc, bref, pas de débat : voilà un groupe qui ne sait pas faire du mauvais. Mais, à l’inverse, le groupe peut-il encore égaler White Pony, Around the Fur ou Diamond Eyes, souvent désignés comme les meilleurs disques ? (Pour tout vous dire, mon cœur balance pour le s/t, mais c’est vous qui voyez !).
À l’heure où j’écris ces lignes, l’album a trois jours. N’ayant pas eu l’honneur de le recevoir avant sa sortie, je suis condamné, comme vous, à lire les réactions à chaud sur les réseaux sociaux ainsi que les chroniques censées être plus expertes. Ce qui domine, c’est un discours du type « le meilleur depuis… », et généralement ce que la personne a en tête, c’est « le meilleur depuis mon préféré ». Ça placerait donc ce nouveau cru dans le premier tiers des albums du groupe. Au risque de me fâcher, je dirai que pour moi, c’est le meilleur depuis… Ohms ! Mais n’allez pas croire pour autant que je n’ai pas aimé ce private music ! C’est juste que, pour moi, Ohms se situait juste en-dessous du meilleur du meilleur que le groupe ait produit. Marqué par le retour aux manettes de Terry Date, Ohms avait définitivement une patine. Certes, il était un brin monolithique, mais j’aimais son atmosphère pesante, et je considère le morceau-titre, « Urantia » et « Genesis » comme des bangers absolus.
Par comparaison, peu de choses sur ce nouveau disque me chamboulent autant après quatre écoutes attentives. Tous les ingrédients sont à nouveau réunis. Le disque accroche dès l’introductif « my mind is a mountain », qui tabasse dès les premières secondes, entre riff démoniaque et mélodie lascive. Mais c’est peut-être justement là que le bât blesse : si l’on est happé d’emblée, là où par exemple un morceau comme « Genesis » prenait son temps, on est ici assez peu désarçonné. On a tout, tout de suite. Et la suite sera un peu dans cette veine. Les morceaux, tout comme les mélodies et les riffs, s’enchaînent drôlement bien, mais sans grosse surprise. Ce n’est pas un disque particulièrement hargneux comme le s/t, ni contemplatif comme les parties les plus spleenétiques de White Pony, mais plutôt un disque équilibré comme l’étaient Diamond Eyes ou Koi No Yokan. La production est claire et sans chichis. Elle met particulièrement bien Abe Cunningham en avant, mais il lui manque un petit quelque chose, un grain. Par endroits, il y a même un sentiment de déjà-entendu. Certains riffs ou inflexions vocales semblent calqués sur d’autres déjà produits par le passé. Vers la fin, le rap de « ~metal dream » semble même un brin fatigué.
C’est pourtant en son centre que private music livre ses moments les plus intenses. « cXz » et « Milk of the Madonna » sont les deux titres les plus accrocheurs et énergiques de ce nouvel opus et entre les deux la ballade « i think about you all the time », très belle, les met parfaitement en valeur. Et puis, il y a un final absolument sublime avec « departing the body », sur lequel Chino sonne comme Steve Von Till de Neurosis ! J’ai d’ailleurs d’abord cru à un featuring et il m’a fallu vérifier les crédits ! Avec ce titre, Deftones retrouve toute sa grandeur, nous laissant sur une excellente dernière impression.
Pas un sommet, donc, mais un plateau à partir duquel la vue reste tout de même magnifique.
Yann Giraud
Nos articles sur Deftones (chroniques, interview, disco express…)
Juste pour l’influence de Cure, je ne suis pas d’accord et c’est depeche mode. Stephen et Chino sont des fans absolus du groupe
https://youtu.be/1OIGt-X1JV4?si=f-zT7ZjIWcvCjwJS