Interview – Troy von Balthazar

Posted by on 22 juillet 2025 in Interviews, Non classé, Toutes les interviews

Quelle stupeur d’apprendre que le nouvel album de Troy von Balthazar, opportunément nommé Aloha Means Goodbye, aurait bien pu être le dernier ! Fort heureusement, l’ancien chanteur de Chokebore, toujours aussi simple et abordable, semble se porter bien mieux aujourd’hui et a toujours beaucoup de choses à dire, que ce soit lors de nos entretiens ou en musique. À défaut d’en écouter…

« [J’écoute de la musique] seulement quand je prends ma douche, de très mauvaises chansons des 80s. (…) Ma mère me rappelait toujours : « Si tu veux devenir écrivain, ne lis pas trop ! » Elle voulait devenir écrivaine mais passait son temps à lire. »

© Regis Feugere

Ce nouvel album sonne très brut, comme s’il était à peine produit et qu’il n’existait aucune barrière entre toi et l’auditeur. J’imagine que c’est ce que tu recherches : un son aussi naturel que possible.
Oui, bien sûr. Je voulais sonner naturel, honnête et vrai. Je n’utilise jamais d’effets bizarres sur ma voix, de pitch pour la corriger. J’ai enregistré l’album sur un enregistreur à cassette, j’étais donc très limité. Je ne peux utiliser qu’un petit nombre de pistes. Je l’ai fait dans le but de ne garder que les sons auxquels je tenais vraiment. Je ne m’autorise pas à avoir des millions d’idées : cinq ou six suffisent. Sinon, on peut passer sa vie sur un seul morceau, à toujours chercher de nouvelles mélodies. Je voulais que cet album soit simple et direct.

As-tu de nouveau utilisé le Tascam ?
Oui, le Tascam 8-pistes. Mais également un Tascam 4-pistes. Je les ai mélangés avec pro-tools. Je tenais vraiment à me limiter, j’étais très fier de mes morceaux en 4-pistes. Je me réjouissais d’obtenir l’essence de la chanson sans avoir à utiliser 35 pistes… Maintenant, on a tellement l’habitude de les accumuler, d’effectuer un nombre incalculable d’essais. J’aime faire preuve de minimalisme.

Dans le communiqué de presse, tu déclares : « Si ma musique reflète le monde extérieur, je la déteste. Si elle reflète mon monde intérieur, je l’adore. » Est-ce pour cette raison que cet album sonne apaisé, presque rassurant ? Est-ce à ça que ressemble ton monde intérieur ?
Oui, je me sens très bien intérieurement aujourd’hui. Je n’ai plus le même âge, je suis un peu plus apaisé. Ce qui se passe dans le monde ne m’alarme plus. Ni dans ma vie. Le temps qu’il me reste est limité, je dois donc faire ce que j’aime. C’est mon état d’esprit. Je dois dire ce que j’ai à dire, jouer la musique que je souhaite jouer, c’est ce que j’ai toujours fait, mais c’est vraiment ma priorité actuellement. J’ai essayé de trouver ce qu’il y avait au fond de moi et de l’extérioriser. J’étais vraiment souffrant durant l’enregistrement de cet album, en très mauvaise santé. Chaque jour, je souffrais terriblement. Je n’avais jamais ressenti quelque chose comme ça. Mais chaque matin, durant une heure ou une heure et demie, je me sentais bien. J’avais les idées claires et j’étais capable de travailler. Je me précipitais alors au studio – j’en ai un petit au garage – pour enregistrer. Je composais un morceau, l’enregistrais et bossais dessus. Je me suis rendu compte qu’en travaillant une heure par jour, je parviendrais à terminer un album assez rapidement.

Tu as dû être particulièrement efficace.
Oui, j’ai essayé. Un auteur – je ne sais plus lequel – expliquait qu’il écrivait ses livres au rythme d’une page par jour. Je poursuivais donc le même genre d’objectif en mettant à profit l’heure où mon état me permettait de travailler. Et c’était merveilleux. Je me suis accroché à la musique comme un bébé s’accroche à la jambe de sa mère, c’est le sentiment que j’avais.

Tu dis être plus apaisé aujourd’hui. Comment te protèges-tu du monde extérieur ? Tu évites les médias, par exemple ? Ou parviens-tu simplement à ne pas te laisser atteindre facilement ?
Non, je lis les infos. Mais j’essaie de prendre de la distance. Si, mentalement, vous vous éloignez un peu de la Terre puis regardez vers le bas, les choses paraissent moins importantes. Des évènements horribles se produisent sans cesse, mais ça a toujours été le cas. Parfois, c’est pire dans certaines régions que dans d’autres. Ça s’est toujours passé de cette façon et j’imagine que ce sera toujours le cas. Lorsqu’on a l’impression de disposer d’un temps limité, notre perspective change. On ne peut pas se détendre si on se préoccupe de tout ce qui passe dans le monde. Ce n’est pas grave…

Le morceau « Let’s Not Forget to Panic » est donc très ironique…
C’est au sujet de tous ces gens qui paniquent en permanence. Je comprends pourquoi, il se passe beaucoup de choses négatives dans le monde en ce moment. Mais les gens vivent et les gens meurent. Bing, c’est tout. (Il souffle) Donc ça va… car il faut que ça aille ! (Rires) Je ne ressens donc pas ce stress, même si je suis conscient de ce qui se passe.

Qui est « Her American » ? Toi ?
Oui, un peu. Mais ça vient surtout d’une histoire que ma copine m’a racontée à propos de sa grand-mère durant la Seconde Guerre Mondiale. Elle a rencontré un soldat américain à cette époque. Ils ont entretenu une relation amoureuse puis il est reparti après la guerre. C’était l’amour de sa vie, elle ne l’a jamais oublié. Il est rentré aux États-Unis et ils ne se sont jamais revus. Mais comme elle a vécu très âgée, elle continuait de parler de lui et d’Angoulême. Il s’agissait du véritable amour de sa vie. Je les ai simplement imaginés se promener ensemble dans la rue à l’époque. 

C’est une très belle chanson. Tu y cites effectivement Angoulême (« From Angoulême to Bethleem. ») où tu vis depuis quelques années. Te sens-tu désormais un peu français ? T’intéresses-tu à la culture du pays ? Déjà, tu parles français régulièrement, surtout sur ton album précédent, Courage, mon amour !.
Oui, de plus en plus. Vraiment. J’aime beaucoup vivre ici. J’ai suivi des cours pour apprendre la langue. Mec, que c’est dur ! Je ne suis pas si intelligent que ça, j’ai donc du mal à me souvenir de tous les mots. Mais oui, je comprends mieux les Français et votre culture, que je respecte beaucoup.

Certains artistes français, écrivains, peintres ou musiciens par exemple, t’ont-ils inspiré au cours de ta carrière ou en as-tu découvert certains récemment ?
Probablement André Gide. Et Sartre. (Il réfléchit) Je cherche quelqu’un de plus moderne… (Rires) Je n’aime pas la musique, en général ! 

Tu n’en écoutes pas souvent ?
Jamais ! Seulement quand je prends ma douche, de très mauvaises chansons des 80s. Juste pour me détendre et me sentir heureux. Je n’en écoute jamais dans ma voiture ni quand je suis assis tranquillement. (Rires) Je suis la pire personne à qui demander « quelles nouveautés écoutes-tu ? » ! 

Pas même des compositeurs d’il y a des années, dont la musique pouvait ressembler à la tienne ?
Rien ne ressemble vraiment à ma musique… que je n’écoute d’ailleurs jamais non plus ! Mais j’aime certaines chansons, une bonne chanson par ci, une autre par là. J’en apprécie plusieurs de la période 70s d’Al Green. J’en aime également de Stevie Wonder, de cette même période, quand il s’enregistrait lui-même. Ça a été une grande inspiration pour moi. J’aime beaucoup de soul des 70s et la musique des 60s… Mais généralement, quand j’en écoute, je réfléchis surtout à la façon dont elle a été enregistrée. Je me demande quelle guitare ils utilisaient, quel micro ils plaçaient devant, etc., car j’adore enregistrer. Mais rien de moderne. Ma mère me rappelait toujours : « Si tu veux devenir écrivain, ne lis pas trop ! » Elle voulait devenir écrivaine mais passait son temps à lire. On ne discutait jamais ; toute sa vie, elle a lu. Des livres, toujours des livres… La musique me sert juste à m’exprimer. Rien de plus. Je voulais être moi, ne pas ressembler à d’autres artistes. 

« J’ai décidé d’intituler l’album ainsi parce que je ne pensais pas être encore en vie à sa sortie. »

© Regis Feugere

Tu es né à Hawaï et tu y as grandi. Pourquoi avoir choisi ce nom d’album, Aloha Means Goodbye ? Sur le morceau-titre, tu joues d’ailleurs du ukulélé, un instrument dont l’apprentissage ne t’a pas été très naturel…
Oui, car à l’école à Hawaï, on te force à en jouer à partir du CM1. Mes mains étaient trop petites et je n’y arrivais pas. Je détestais donc cet instrument. Mais ma copine est écrivaine et son dernier livre a justement pour sujet Hawaï. J’ai composé des morceaux pour son livre, nous avons échangé à propos du pays. Elle s’est inspirée de moi pour ce bouquin et il m’a inspiré cette chanson. J’ai donc ressorti mon ukulélé. J’ai décidé d’intituler l’album ainsi parce que je ne pensais pas être encore en vie à sa sortie. Je suis vraiment tombé très malade l’année dernière, et je pensais que j’allais mourir. Je me suis donc dit que ça ferait un excellent titre si l’album sortait après mon décès. (Rires) Mais je ne suis pas mort, c’est mieux comme ça !

Tu peux nous rassurer ? Ces soucis de santé sont derrière toi ?
Oui, oui, je vais mieux.

Tu retournes parfois à Hawaï ? Des personnes auxquelles tu tiens y vivent encore ?
J’ai encore des amis là-bas. J’y suis retourné il y a environ six ans. Ça fait longtemps… Mais j’y pense tout le temps, probablement tous les jours. Ça me manque beaucoup. Je suis allé à Hossegor et c’était très sympa, ça m’a un peu rappelé Hawaï ! Hawaï me manque beaucoup, mais c’est si loin. Ça ne vaut pas le coup…

Je t’imagine très connecté à la nature. Tu as habité plusieurs années à Los Angeles quand tu jouais dans Chokebore. Comment as-tu vécu les récents feux immenses qui ont dévasté une partie de cette région ?
C’était vraiment dingue et horrible. J’ai beaucoup d’amis là-bas. Aucun n’a été directement touché, heureusement, mais certains ont perdu leur maison. C’est vraiment effrayant. J’ai peur d’y retourner et de voir les dégâts. Ça doit être étrange là-bas actuellement. J’ai vécu dix ans, voire plus, dans le centre de Los Angeles.

Puisqu’on évoque Chokebore, Black Black a été réédité il y a quelques mois par Vicious Circle. C’est un disque un peu à part dans votre discographie. Je sais que tu n’aimes pas écouter tes anciens albums mais je suppose que tu l’as fait pour celui-là ?
Oui, je l’ai écouté car on l’a remasterisé. J’ai donc travaillé un peu dessus pour qu’il sonne bien.

As-tu été surpris au moment de le redécouvrir ? Quelle est ton opinion sur ce disque avec le recul ?
Oui, j’ai été surpris. Je crois que je ne l’avais pas réécouté depuis qu’on l’a enregistré. Je l’ai trouvé très cool ! J’avais oublié pas mal de choses. Ça m’a rappelé nos concerts. Je n’avais pas besoin de l’écouter à l’époque puisqu’on jouait ces morceaux tous les soirs. Mais en le réécoutant, j’ai compris pourquoi les gens l’appréciaient. Il n’est pas mauvais, je le trouve même plutôt cool.

Commençais-tu à cette époque à en avoir un peu assez de jouer ce type de musique et pensais-tu à l’avenir ?
À ce moment-là, non. J’étais à 100 % concentré sur l’album. J’ai toujours été à 100 % impliqué dans Chokebore. J’adorais jouer de la musique avec ces gars. Nous avons des personnalités très différentes, des goûts différents. Mais si quatre personnes cuisinent ensemble et apportent chacune des ingrédients différents, ça aura très bon goût. Il m’a fallu du temps ensuite pour trouver le courage de jouer ma propre musique, car je ne voulais pas que ce soit « trop moi ». Mais j’ai compris comment contrôler ça d’une certaine manière. Je pense qu’une partie – pas tout – de ma musique solo est bonne. Et j’aime en jouer. 

Continuez-vous à recevoir des propositions de concert de reformation ?
Oui, beaucoup ! Mais… je ne sais pas. Ça ne me semble pas être le bon moment. J’aime ma vie telle qu’elle est, j’écris beaucoup sur ma machine à écrire, je compose mon prochain album. Il me manque seulement deux morceaux pour qu’il soit terminé. Mais je ne veux pas non plus enchainer non-stop. Donc, il se peut qu’au moment de le finaliser, certains morceaux me paraissent datés et inintéressants. Mais j’aime avoir un peu d’avance. C’est cool, j’aime ma vie actuellement, je suis heureux de vivre en France.

Interview réalisée par Jonathan Lopez

Publiée initialement dans new Noise #74 avril-mai, que vous pouvez encore commander en ligne.

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