David Eugene Edwards – Hyacinth

Publié par le 27 septembre 2023 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Sargent House, 29 Septembre 2023)

L’ennui, c’est le temps qui ne passe pas, on pourrait alors admettre une sorte de résignation, celle d’être constamment cloué au sol. Le nuage noir métaphysique plane au-dessus des âmes perdues, lacérées de douleurs incessantes. Survivre n’a qu’une raison d’être, car la mort n’a pas de destination. David Eugene Edwards connaît le passage étroit, celui qui sépare le bien du mal et la vie de la mort. Depuis Sackcloth ‘N’ Ashes, avec 16 Horsepower, le parcours de ce baladin hors du commun, prêchant à qui veut l’entendre et sans outrance, en est presque épistolaire. Ses instruments (banjo, guitare, bandonéon) lui transmettent des visions, des textes aux multiples significations. David Eugene Edwards est d’une authenticité rare et d’une lucidité confondante, il est du côté de l’espérance, même si a priori sa musique est d’une mélancolie tenace. Après tout, la tristesse se pare des oripeaux de la nuit, d’où cette beauté fascinante qui vient nous atteindre et nous remuer. Les sept albums de Wovenhand ressemblent à s’y méprendre à notre vécu. Récemment, David s’est même éloigné de l’americana pour se rapprocher d’une musique noise, avec Alexander Hacke, l’album Risha paru en 2018 conjuguait toutes les facettes hantées qui caractérisent la voix du coyote de Denver dans une trame électro similaire à une transe.

Pour toute musique il y a une part de mystère.
La conscience altérée du temps qui passe, l’apport synesthésique, des cinq sens, et le mélange du sensoriel et de l’émotionnel se retrouvent dans Hyacinth. S’ouvre à nos oreilles le fantomatique « Seraph » dont les voix semblent émaner d’un cimetière, celle de David déclame des visions prophétiques. C’est avec « Howling Flower » que l’on retrouve les ingrédients folks de David, cette voix solennelle et hantée au possible. Le voyage ne fait que commencer, on progresse alors dans des éléments tangibles, filaments, matière chaude, froide, éclats de pierres, où chaque note et chaque phrase écorche l’esprit pour lui rappeler sa vanité dans ce bas-monde. « Celeste » quitte la glaise, une échappée vers un autel où ont été déposées avec soin des offrandes. Le côté tribal, plutôt que les aspects gothiques qu’on attribue à l’album, sont magnifiés par une poésie que « Lionisis » avait initié lors de sa parution en août. « There is no place, save here in the Western set », la puissance du verbe est lâchée, constat sans appel criblé de flèches adressées à la face d’un monde entériné dans une lente agonie.

L’intonation de David fait penser à celle de Nick Cave et pléthores de voix, mais comparaison n’est pas raison, il est inutile de faire un rapprochement de terme à terme, David Eugene Edwards est un explorateur, non pas un shaman, mais un poète lucide armé d’une foi indéboulonnable, le cheminement d’un aventurier des sens, presque irréel et ce premier album solo est une boussole pour l’âme, un guide pour tout être qui souhaite entrevoir dans l’obscurité, ne serait-ce qu’une étincelle d’espoir. Un diamant noir.

Franck Irle

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