Bees Made Honey in the Vein Tree – Aion

Publié par le 22 septembre 2023 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Magnetic Eye Records, 18 août 2023)

Doom progressif, ça existe ? Décidément, cette rentrée musicale 2023 réserve quelques belles surprises, notamment depuis l’Italie (l’Ars Nova dark Folk de Bosco Sacro) ou l’Allemagne (Dool, Valborg). Justement le quatuor allemand dont il est question ici s’autorise un grand écart musical avec ce troisième album, dont l’atmosphère déploie un arsenal d’influences convoquant les aînés originels du post-rock. Le nom du groupe fait référence à The Bees Made Honey in the Lion’s Skull de Earth. Sauf qu’ici on navigue dans une brume épaisse, qui se dissipe pour laisser entrevoir à la surface de l’eau des silhouettes, cherchant à retrouver leurs esprits après un baptême du feu.

Ce qui marque d’emblée, c’est cette singularité de clair-obscur qui s’équilibre, cette capacité à poser des atmosphères très marquées, ce frisson glacial qui parcourt l’échine, et ces guitares comme des essaims d’abeilles squattant vos tympans (« Divergence »). Des paysages sonores dépassent la rationalité humaine, déformant la perception, caractérisés par des riffs de plomb. Chant et musique sont comprimés en un globe de matière noire. Inévitablement, on plonge de plus en plus profondément dans une obscurité attendant d’être éclairée par la lueur du jour. S’amoncellent alors une nuée de nuages noirs menaçants (« Threatening »). Une cavalcade effrénée qui débute avec « Aion », tandis que les guitares délivrent une ténébreuse décharge, en assénant des riffs d’une violence inouïe, une avalanche sonique qui vient pilonner le cortex comme une séance d’électrochocs. OK, les morceaux s’étirent parfois au delà des 12 minutes, mais peut-être sonnent-ils le glas d’un monde définitivement dévoyé ? Les trois premiers titres assènent des uppercuts avant de se mettre momentanément sur pause, privilégiant toutes sortes de bruits, d’illustrations sonores.

Et puis, la machine redémarre, elle usine minutieusement frustrations et colère souterraines. « Aion » s’apparente à une soudaine lucidité dans le prisme d’une compulsivité presque maladive, il y a quelque chose d’indescriptible, de sinistre, d’où la beauté s’extirpe douloureusement. « Scouring the Land » aiguise ses riffs, jusqu’à en devenir obsédant, le chant est à ce point hypnotique qu’il en devient réminiscent. Ceux qui cherchent une étiquette de stoner rock se fourvoient lamentablement. BMHITVT ne s’apitoie jamais sur son propre sort, mais prolonge un état de conscience aigüe, sans aucune complaisance avec le défaitisme ambiant.

On pense à Grails, Rezn et bien d’autres références tout au long de ce double album, d’ores et déjà un des disques de l’année 2023.

Franck Irle

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