Bruit Noir – IV/III

Publié par le 14 septembre 2023 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Ici, d’ailleurs, 15 septembre 2023)

Un nouveau Bruit Noir, pour couvrir tous les autres.

Un album ambigu, difficile à appréhender, vers lequel on revient pourtant inlassablement, en dépit de l’agacement qu’il provoque. Pascal Bouaziz nous plonge au cœur de ses tourments et de ses colères, pas toujours très finement, toujours avec mauvaise foi. C’est son projet, avec Bruit Noir, de n’être jamais confortable, ni accueillant, ni même conséquent. Ce quatrième album (ne cherchez pas le troisième, ils ne l’ont pas sorti… il était trop bon), en est l’ultime illustration. Il est, par ailleurs, complètement dans l’air du temps : vicié.

« Marre de lâcher de la confiture à ce pays de cochons » assène Bouaziz en forme de provocation et de profession de foi (mauvaise, donc). Sous couvert de causticité, il crache et bave à tout va, en prenant bien soin de ne pas s’épargner, histoire de se couvrir. Il n’a su éviter les rages d’arrière-gardes (Hollande, sérieux ? Sting ? Moby ?), les utopies éculées, ni la simple vulgarité du mec qui n’a tout simplement plus de mots. Triste de voir une plume aussi fine se complaire dans du trollage bien moins radical qu’il n’y paraît. C’est quand il tangue entre le soupir, un peu niais, après un boulevard Greta Thunberg et ce réflexe, encore une fois, de troll frustré, qu’il nous agace le plus. On le connaît tellement meilleur, tellement plus drôle, tellement plus fin, qu’on a du mal à se contenter d’un « Tourette », ou d’un « Artistes ». Il nous avait déjà fait le coup avec Mendelson et « J’aime pas les gens », il y a plus de quinze ans. Alors oui, ici la musique est formidable, mais la liste ânonnée est rabâchée et le refrain pathétique.

Heureusement, ce troisième album de Bruit Noir a autre chose à offrir que de l’aigreur de fin de réveillon. Minimaliste, industrielle et répétitive, la musique composée par Jean-Michel Pires est passionnante et participe largement au fait que l’on ne peut lâcher le disque malgré les écueils cités précédemment. Elle soutient admirablement Bouaziz dans son entreprise de mitraillage en règle de tout ce qui passe à sa portée. Et quand enfin, il prend le temps de recharger, il nous balance une chanson insoutenable : « Le Visiteur ». A bout de souffle, Pascal Bouaziz nous raconte l’horreur migratoire avec une urgence et une douleur à la hauteur de l’atrocité. Il nous fait sentir son empathie muette face à cette horreur. Sa stupeur honteuse est esquissée de manière presque enfantine, et nous cloue sur place, étouffés par des questions brûlantes. Voilà une chanson de combat ! Voilà une chanson à faire écouter à tous ceux qui donnent leur voix au RN, afin que la honte les étouffe. « Calme ta joie » est un autre exemple de ce que cet album a de meilleur. Les boucles sont captivantes et l’atmosphère installée est douloureusement évocatrice. Nous préférons ce Bouaziz à celui de « Tourette ».

Une œuvre ambiguë donc, qui dérange et interroge. Malgré les reproches qu’on a à lui faire, il faut lui reconnaître un pouvoir de fascination indéniable. Quand il ne se laisse pas aller à la facilité, Bouaziz reste au-dessus du lot et si on peut lui en vouloir de beaucoup de choses sur ce nouveau Bruit Noir, au moins ne nous a-t-il pas fait le coup de la reprise de « L’Internationale »…

Max

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