Kristin Hersh – Clear Pond Road

Publié par le 8 septembre 2023 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Fire Records, 8 septembre 2023)

Kristin Hersh survole les débats depuis longtemps. Les journalistes ne savent plus quels superlatifs employer pour décrire sa musique, tellement toute réduction de son art à quelques adjectifs bien sentis, paraît trop simple. De plus, l’Américaine s’est toujours méfiée des clichés du rock’n roll et du folklore excessif dont on se sert dès que l’on veut parler d’une rockeuse ou d’une compositrice. Une fois cela admis, évitons la simplification outrageuse et essayons de décrire ce nouveau disque, sans forcément ramener tout à son vécu personnel qui expliquerait trop facilement le résultat final. Alors, bien sûr, Hersh utilise ses fêlures dans son art, elles en sont même la moelle épinière, mais il nous paraît plus intéressant d’en commenter le résultat final que d’établir une liste complète de ses failles et problèmes comme une vulgaire feuille de chou le ferait.

Clear Pond Road succède aux réactivations réussies de Throwing Muses (Sun Racket, 2020) et 50 Foot Wave (Black Pearl, 2022). Hersh ajoute un nouveau chapitre à sa carrière solo, son dernier effort remontant à 2018 (Possible Dust Clouds). Sans l’énergie du groupe, sa musique se fait plus dépouillée, dans une réinterprétation bien à soi de ce que l’on pourrait qualifier de folk rock délicat. Pas de véritables phases d’énervement ici, mais un travail de totale maîtrise tout en retenue, parcouru d’énergie sous-jacente qui se cache sous la surface, prête à surgir au moment opportun, sous une forme apaisée, mais pas moins appropriée.

La grande force d’Hersh, en plus du monde unique qu’elle déploie titre après titre, est sa voix si particulière, à la fois traînante et toujours plus présente. Comme si celle-ci tenait la baraque, seul maître à bord pour guider l’auditeur dans les méandres musicaux de l’album et le mener à bon port. Les arrangements en couches discrètes et judicieuses, les effets sur la voix et les instruments, tout participe à une sobriété, sans cesse attisée, prête à s’éparpiller et pourtant contenue. Les morceaux « Reflections on the Motive Power of Fire » et « Eyeshine », deux des sommets de l’album, sont représentatifs de ce déploiement qui n’explosera finalement pas, mais contentera au mieux notre mélancolie. « Dandelion » est un autre sommet, entêtant, racé, une ballade qui fabrique un pont entre le traditionnel et la modernité, un titre qui semble infini, tellement le cocon musical, presque foetal, qu’il crée, permet la béatitude. D’autres titres comme « Ms Haha », « Constance Street », « Thank You », « Corner Blight » s’inscrivent plus dans ce que Hersh a l’habitude de proposer en groupe, avec toujours cette volonté de surprendre ou du moins d’interpeller. « Bewitched Reruns » et « Palmetto » sont de jolis morceaux folk, pondérés, quand « Tunnels » et surtout « St. Valentines Day Massacre » se font plus aventureux, ce dernier titre atteignant presque une dimension rêveuse, ouatée, ce qui pourrait rendre jaloux certains représentants du trip-hop.

Kristin Hersh a acquis depuis longtemps la faculté d’agréger l’intime et l’universel. Ce nouvel opus permet, si l’on avait encore un doute, de se rendre compte à quel point il est plaisant, voire vital, de se laisser envahir par sa musique pour soigner notre âme, l’adoucir, mettre un pansement sur nos propres fêlures. Quand une musique aussi intérieure et personnelle se révèle être un baume réparateur pour tous, il ne reste plus qu’une chose à faire : y revenir sans cesse.

Julien Savès

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