Whispering Sons + Delacave @ Petit Bain (Paris), 24/03/2022

Publié par le 31 mars 2022 dans Live reports, Notre sélection

© Nicolas Hue

Il est impossible de faire un compte-rendu d’un concert sans se souvenir en premier lieu des deux dernières années qui se sont écoulées et de toutes les frustrations qu’elles ont engendrées ainsi que des nombreux changements qui se sont opérés depuis.

En sortant du concert des Whispering Sons, je me demandais si je serais dorénavant condamné à n’assister à un concert uniquement sous le prisme du « monde d’avant », ou si je pourrais, bientôt, prendre la chose comme elle vient – comme avant.

Ce sentiment était d’autant plus vif, ce soir-là, que le concert des Whispering Sons m’a totalement transporté, comme je ne l’avais été depuis longtemps. Le groupe m’a offert ce que j’étais venu chercher, un moment hors du temps, hors du monde. Avant eux, le duo de l’est Delacave avait parfaitement préparé le terrain, et même davantage. Leur « synth-noise » au groove étrange a fait vibrer une corde sensible qui m’a rapidement plongé dans un bain poisseux, chargé d’électricité. J’étais presque honteux d’être passé à côté d’eux, après toutes ces années à louvoyer autour. Aujourd’hui encore, revient souvent dans mon esprit leur interprétation pleine d’emphase de leur « tube » « Way of Nothing » en clôture de leur set. Il est presque dommage de parler de mise en bouche, ou de première partie, tant Delacave a montré qu’il méritait de voir son nom figurer sur l’affiche, tout à côté de celui des Whispering Sons.

Leur arrivée sur la scène de Petit Bain ne s’est pas fait attendre. Fenne Kuppens et ses sbires attaquent le concert avec le titre « Dead End » qui ouvraient leur dernier album Several Others. Dès les premières mesures, alors que les premières convulsions saisissent la chanteuse, nous comprenons que quelque chose est en train de se passer. Le groupe semble lutter pour contenir sa propre fougue et la tension créé se diffuse insidieusement à travers l’audience. Il sera beaucoup question de Fenne Kuppens dans ces lignes mais elle ne pourrait être elle sans le groupe qui a démontré, ce soir-là, toute sa puissance et toute sa maitrise, en dépit d’un son de guitare qui a mis du temps à trouver son équilibre. La basse, quant à elle, servira de boussole tout au long de la soirée et sera le contrepoint par delà le miroir de toute la folie de Kuppens et servira de fil conducteur avec celle de Lily Pourrie de Delacave, dans un autre registre.

© Nicolas Hue

Je ne suis pas trop sûr de savoir par quel bout prendre la performance de la chanteuse. J’ai parfois eu le sentiment de voir naitre devant moi un nouveau Nick Cave, dont la puissance et la magie ne se traduiraient plus par un charisme de corbillard et des gesticulations de prêcheur bipolaire, mais par une toute autre chose, encore trop brut, pour être réellement définissable, et qui nous tient sous son charme avec une grande fermeté et un grand pouvoir de fascination. Il serait trop facile de réduire ma comparaison à celle du masculin et du féminin, même si j’ai beaucoup pensé à Camille Claudel en m’interrogeant sur cette jeune fille, convulsant devant moi le micro à la main, et semblant au-dessus de toutes mes considérations. Il y a définitivement quelque chose qui a trait à la folie, au dérèglement des sens. Sur scène, Fenne Kuppens donne l’impression paradoxale d’être là tout en étant complétement ailleurs, et, par contagions ou mimétisme, c’est comme si nous nous retrouvions, nous-mêmes, dans deux endroits à la fois. Ici, et quelque part où les deux dernières années n’ont pas eu lieu, où la Russie n’a pas attaqué l’Ukraine, où la maladie n’existe pas. C’est un lieu commun de souligner qu’une des principales vertus de se plonger dans une musique aussi sombre que celle des Whispering Sons est le cheminement cathartique qui nous est imposé, et qui nous « purge », en quelque sorte, de nos idées noires. En faire l’expérience en concert est une sentiment très puissant, qui nous émeut, et que nous n’avions pas ressenti depuis longtemps.

Ce concert étant le premier de leur nouvelle tournée, le groupe s’est appliqué, avant tout, à jouer des titres du dernier album, Several Others, avec seulement quelques rares détours par leurs morceaux plus anciens. L’occasion de constater que les Belges ont, malgré leur jeune âge, une discographie déjà passionnante. Ils maîtrisent l’art du climax et de la déflagration avec grâce, et un titre comme « Hollow », tiré de leur précédent disque Image, cohabite en toute tragédie avec le terrible « Flood », point culminant de Several Others et peut-être celui du concert à Petit Bain, n’était la fausse balade « Aftermath », et son piano empoisonné, qui sonne comme une page arrachée du journal noir de Kuppens et qui a de quoi glacer tous les cœurs avant la prochaine cavalcade.

Une heure de concert, ça peut paraître court, mais quand tout est dit, il ne sert plus à rien de…

Les Whispering Sons ont porté fièrement l’étendard du rock belge en offrant une performance en tous points saisissante. Je suis sorti de la salle, ballant, les yeux grands ouverts, avec ce vertige désagréable que j’ai évoqué en introduction. Il ne saurait être question d’en faire le reproche au groupe, bien au contraire, mais la question m’irrite et je m’en veux de ne pas pouvoir me contenter simplement d’un concert à la résonance supérieure sans avoir à me triturer les méninges sur le temps qui passe et sur l’état du monde. J’aurais peut-être dû boire davantage.

Max

Setlist : Dead End – Heat – Got A Light – White Noise – (I Leave You) Wounded – Alone – Screens – Flood – Surface – Hollow – Aftermath – Satantango – Surgery.
Rappel : Tilt – Waste.

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