Interview – Zarboth

Publié par le 27 juillet 2021 dans Interviews, Notre sélection, Toutes les interviews

Grand Barnum All Bloom. Tout un programme. Toujours aussi inclassable et insaisissable, Zarboth sort un quatrième album des plus réjouissants qui pourrait bien nous poursuivre tout l’été. Et quel plaisir d’échanger à ce sujet avec les trois joyeux lurons qui en sont responsables, en face-à-face, en terrasse… dans une atmosphère aussi débridée que leur musique ! Mais avec le sérieux de rigueur lorsqu’il s’agit d’aborder des sujets plus sensibles.

On est un peu des ovnis même au sein de la scène noise rock. « C’est qui ces guignols ? ».
On est trop varièt’ d’un côté et trop barrés de l’autre.

Ce disque sort plus de de cinq ans après There’s No Devils At All, It’s Just The System. Pourquoi tout ce temps ?
Etienne Gaillochet (batterie, chant)
 : Figure-toi que ça aurait pu prendre encore plus de temps.
Phil Reptil (guitare) : Ce n’était pas du tout prévu. C’est arrivé soudainement à l’été 2020.

Le confinement a précipité les choses ?
Phil
: Oui, c’est à ce moment qu’on a eu la possibilité d’aller en studio.
Etienne : Une proposition de Vincent Mahey qui a un studio à Malakoff (NdR : le studio Sextan) et nous a dit « il ne se passe plus rien depuis le confinement, vous ne voulez pas venir enregistrer deux ou trois titres ? »
Phil : Il voulait faire une série qui s’appelle « Pause », un moyen métrage de 30 minutes. On est donc venu pour ça un jour ou deux.
Etienne : Et il nous a ensuite proposé d’enregistrer d’autres titres. Puis carrément un album, dont une soirée d’impro. Certains morceaux étaient déjà écrits, produits, quasi finis. L’autre moitié provient de cette impro.

Vous n’avez jamais arrêté de tourner et des morceaux comme « I Wanna Be Naked » existait déjà depuis longtemps.
Etienne : Oui on avait aussi sorti un deux titres sur Bandcamp en 2019. On a re-enregistré l’un des deux « Underground River », l’autre étant une reprise d’Arno (NdR : « Putain Putain »).
Phil : On continuait donc à produire au studio où on répète et on s’enregistrait avec notre matériel mais aucune sortie n’était prévue. Je connais Vincent Mahey depuis longtemps car il avait produit mon premier projet en 1995, La Théorie du Reptile. Il avait même filé un coup de main sur le deuxième album de Zarboth, Kwakiutls, mais il m’avait alors avoué ne pas trop aimer Zarboth… Faut dire que c’était un peu plus noise et on gueulait. C’est depuis que t’es là Macdara, qu’il nous préfère !

Tu prends effectivement de plus en plus de place par rapport au précédent disque. Ça s’est fait naturellement ?
Macdara Smith (chant, trompette) : J’ai commencé en tant qu’invité et depuis je n’arrête pas de grappiller ! J’ai enregistré avec eux There’s No Devils, puis on a commencé à le défendre sur scène. Et on trouvait qu’on le défendait mieux à trois ! Au début, ils commençaient les concerts à deux, puis j’arrivais en disant « je suis le conducteur du bus, ils m’ont dit que j’avais le droit de lire un poème… ». Et les gens ont fini par comprendre que je faisais partie du groupe… J’espère ! (Rires)
Etienne : Et Macdara avait fait la pochette du premier album !

Cela a-t-il changé quelque chose dans votre processus de composition ? Certains textes ont-ils été mis en chansons par exemple ?
Phil
 : Oui, carrément parce qu’il écrit tous les jours, il a un livre de textes et poèmes. 4 ou 5 titres sont nés grâce à ses textes lors de l’improvisation.
Macdara : Ils n’aiment pas trop ça mais j’écris souvent pendant qu’on joue. Etienne va chanter un peu et ça nous donne des idées, on part dessus. Ce fut le cas avec « Underground River » qu’on avait d’abord appelé « Sperm Bank ».
Etienne : Oui, car le début de la chanson c’était sur la solitude du donneur de sperme dans sa petite cabine.
Macdara : Et ça ne m’inspirait absolument pas. J’ai donc écrit plein de trucs sur le sperme, le foutre, la vie, la fontaine de jouvence… Et finalement ça a donné « Underground River » qu’on a enregistré.
Etienne : Il y a toujours une grosse base d’improvisation, en live aussi. Je me souviens de fins de concert où on se barrait trois quarts d’heure en impro.
Macdara : Parfois des paroles reviennent, ce sont des motifs ou des tics. Une partie de l’écriture vient donc comme ça, Phil va amener des riffs, Etienne des refrains.
Phil : Il apporte un peu d’electro aussi, plus qu’avant.

Tu t’inspires aussi de l’actu dans tes textes. Je pense à « In The Name Of… », lettre ouverte pour condamner les assassins de George Floyd, tu évoques le confinement… « Poly Mono » vise de façon plus générale les dérives du capitalisme et de la surconsommation.
Macdara
 : Oui, j’y cite le « Capitalocène ». Certains parlent de l’anthropocène, un terme de l’écrivain Donna Haraway (NdR : par ailleurs biologiste, philosophe et historienne des sciences). Elle explique qu’on vit sur terre et qu’on doit prendre soin de tous les êtres vivants, pas uniquement de l’espèce humaine. Bon, là, on enfonce un peu une porte ouverte… Pendant le confinement, j’ai vu la vidéo de la mort de George Floyd et j’ai écrit en ligne, via Shawn King, une lettre au procureur général des Etats-Unis. J’avais donc ce texte sous la main et ils ont commencé à jouer en studio et je trouvais que ça collait bien. Les gens sont plus conscients maintenant du racisme systémique dans le monde et de nos positions de privilégiés. Au moment où la sentence à l’encontre de Chauvin (NdR : le policier responsable de sa mort) est tombée, une fille de 16 ans (NdR : Ma’Khia Bryant) a été tuée par des policiers… Rien n’est gagné. On aurait aussi pu très bien parler d’Assa Traoré et de son frère. Ça ne se passe pas qu’aux Etats-Unis.  

J’en reviens à votre son. Vous disiez qu’il est moins noise rock, je le trouve moins metal aussi. C’est un disque très entrainant, dansant, presque funk.
Etienne
 : Macdara disait souvent « j’aimerais que vous fassiez un truc tout sec, tout droit ». Et j’avoue qu’il est assez agréable d’avoir un truc moins tumultueux, plus monolithique. Certains grooves restent.
Phil : L’arrivée de Macdara nous offre de nouvelles ouvertures. On avait plutôt tendance à brailler avec des textes d’Etienne assez surréalistes. Ça se prêtait plus au metal mais on aime plein de trucs depuis toujours et ils sont encore là.
Etienne : C’est parti notamment d’ « Underground River » où on avait un truc un peu afrobeat qui nous plaisait à mort et on a fait un morceau avec.

On n’est finalement pas si éloigné de la démarche de Kwakiutls, votre deuxième album sorti en 2011 et divisé en deux parties : la première avec des chansons, la seconde instrumentale et expérimentale. Là, en tout cas, la première partie est vraiment très pêchue, quand la seconde se veut plus contemplative.
Etienne : On s’est posé beaucoup de questions pour l’ordre des morceaux. On se demandait s’il ne fallait pas démarrer doucement ou faire un truc en escalier. Finalement, c’est Vincent Mahey qui nous a recommandé d’attaquer dur et finir plus cool.
Macdara : En concert, j’adore voir les gens danser. Il y a quelque temps à une fête, je faisais le DJ et j’ai mis « Underground River » à fond et les gens adoraient. Ils étaient tous bourrés mais ce morceau pulse !
Phil : Moi, ça me donne aussi la possibilité de jouer différemment. Comme Etienne a bossé sur des patterns, je peux me relâcher et je suis content de faire un peu de funk rythmique.
Etienne : Quand les synthés font les basses, Phil est plus dans les aigus et c’est cool aussi.
Phil : J’ai même fait un solo !
Etienne : Normalement c’était interdit mais on a téléphoné à new Noise, ils nous ont dit qu’on avait le droit ! (Rires)
Phil : Même Metallica s’est posé la question des solos.
Etienne : Et chez Slayer, ils chronomètrent. Si un mec fait un solo de deux secondes de plus que l’autre, ça casse le contrat.

Vous sortez le disque chez PeeWee, un label plutôt jazz.
Phil
: Oui mais il n’y a pas de calcul, ce n’est pas comme si on avait cherché un label. C’est vrai que ça peut paraitre étonnant parce que c’est plus spécialisé jazz.
Macdara : On est un peu des ovnis sur la label mais c’est ce que Vincent recherche, il veut justement casser cette image de label jazz.
Etienne : De toute façon, on est un peu des ovnis même au sein de la scène noise rock. « C’est qui ces guignols ? ».
Phil : On est trop varièt’ d’un côté et trop barrés de l’autre.
Macdara : Généralement, c’est sur scène qu’on nous comprend le mieux. C’est difficile de traduire sur disque ce qu’on fait en live. Et les gens non avertis trouvent peut-être notre son trop monolithique sur disque.

Justement vous avez donné un concert en livestream. Ça devait être particulier vu que vous avez toujours beaucoup d’échanges avec le public avec un côté presque happening. Là, vous avez joué pour des gens devant leur ordi.
Phil
: C’était un peu étrange. On est habitué à représenter nos disques sur scène. Là on l’a fait avant la sortie. Un morceau comme « Clitoman » est un peu dur à défendre dans ce contexte parce que normalement il y a un happening, des blagues…
Etienne : Le second degré ne parait pas forcément sur disque alors que sur scène, tu le saisis tout de suite.

(A propos des violences sexuelles dénoncées par Mediapart) “Ça rejoint la catharsis des musiciens qui se soignent avec la musique, pensent que tout est permis parce qu’ils sont représentés sur une scène, que des gens sont là pour eux en backstage… C’est complètement pathétique ! Et je ne suis pas sûr qu’un mouvement ou un style soit épargné.”


Etienne, pour décrire la musique de We Insist!, les gens citent régulièrement des influences de groupes que vous n’aimez pas, comme System Of A Down ou King Crimson. On vous fait aussi le coup avec Zarboth ? Ou tout le monde a définitivement abandonné l’idée de vous coller une étiquette ?
Etienne : Beaucoup ont lâché l’affaire mais les gens repêchent régulièrement des influences 90s et fusion.
Phil : Je crois que quand une musique est un peu « éclatée », tout le monde a envie de dire « ça me fait penser à NoMeansNo », par exemple.
Etienne : Pour le coup, ils ne peuvent pas faire plus plaisir qu’avec NoMeansNo ! Car c’est aussi un état d’esprit sur scène. Et il y a une fraternité.
Macdara : On nous parle souvent de Frank Zappa aussi, à cause de la moustache d’Etienne.
Phil : Oui mais c’est aussi parce que la musique barrée, c’était sa marque de fabrique. Lui ou Beefheart. L’autre fois, on nous a dit qu’on avait des riffs à la Pantera, j’étais ravi ! Et on me sort souvent Meshuggah parce que je joue sur une 8-cordes.
Etienne : Et on écoute souvent dans le camion !
Phil : Pour pouvoir gueuler !

Etienne, des nouvelles de We Insist! ?
Etienne : Rien de neuf pour le moment. On est tous très occupés avec nos autres projets.

Tu travailles aussi sur un projet solo. Tu peux nous en dire plus ?
Etienne : Oui, ça s’appelle mule-jenny. J’ai enregistré les morceaux seul. Ça devrait sortir à l’automne sur un bon label et le groupe pour le live réserve quelques surprises.

Comment réagissez-vous à l’enquête de Mediapart qui révèle de nombreuses violences sexuelles dans la scène punk et metal ?
Etienne
 : Plus on peut casser les pattes au mythe sexe, drogue et rock’n roll, mieux ce sera.
Phil : Et si on pouvait limiter ce genre de conneries… On a beaucoup parlé de débordements dans le cinéma, mais en musique il doit y avoir des trucs plus que limites.
Etienne : C’est vraiment une mythologie. Tous les musiciens se sont retrouvés dans des camions avec des gens qui racontent en boucle des histoires des années 70 avec tel ou tel mec et les divers excès. On ne parle que de ça et ça devient une mythologie, c’est complètement débile !
Phil : J’ai l’impression que pas mal de gens sont en carence de rock. Ils se disent « c’est facile, on peut gagner des thunes… » Ça rejoint la catharsis des musiciens qui se soignent avec la musique, pensent que tout est permis parce qu’ils sont représentés sur une scène, que des gens sont là pour eux en backstage… C’est complètement pathétique ! Et je ne suis pas sûr qu’un mouvement ou un style soit épargné.

Ça fait un peu plus d’un an que la pandémie a démarré, on commence peut-être à voir le bout du tunnel. Pensez-vous que des leçons vont être retenues et qu’on va en tirer quelque chose de positif, notamment en ce qui concerne notre consommation et l’environnement ?
Phil : Je suis assez pessimiste voire nihiliste mais je pense que oui. Ça remet un peu les pendules à l’heure. Tout ne va pas changer mais on peut espérer du mieux. Tout le monde était à la même enseigne, personne n’a pu faire de concert. Mais même de façon générale, on entend des oiseaux, ils gueulent plus fort que les voitures.
Etienne : Moi, je suis hyper pessimiste. J’ai l’impression que ça repart déjà comme avant. Je n’ai qu’une solution : appliquons nos principes à nous-mêmes et arrêtons de juger les autres. Si je n’ai pas envie que les gens consomment, je ne consomme pas et c’est marre.
Phil : De toute façon, pour la planète c’est foutu. On est en débit. Mais pour la musique, la création, c’est pas mal, ça remet à plat. Je vais sortir une phrase à la Gojira : « notre planète nous remet les pieds sur terre ».
Etienne : Je recommande la lecture du géographe Élisée Reclus, anarchiste, qui a écrit en 1870 des textes sur l’industrialisation qui mènera la planète à sa perte…
Macdara : D’une certaine manière, ce qui était perçu comme des utopies a été remis au cœur de l’actualité. Certains ont eu une prise de conscience mais je pense que plein de gens sont accrocs à la consommation et vont vouloir revenir comme avant. Pourtant, les gens ont lu les mêmes trucs…
Phil : …mais pas assez de science-fiction visiblement ! Parce que moi j’ai lu trois ou quatre nouvelles qui décrivaient ce qui s’est passé. J’étais donc préparé, j’avais du gel ! (Rires)

Interview réalisée par Jonathan Lopez

A retrouver également dans new Noise #58 été 2021 actuellement en kiosque.

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1 commentaire

  1. Bravo pour cette interview à la découverte de Zarboth et de ses trois personnalités que sont Etienne, Phil et Macdara.
    Pour commander leur disque c’est sur notre site internet :
    https://peeweelabel.com/fr/albums/1

    Bon été à tous à l’écoute de Zarboth et d’autres

    PeeWee!

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