Turbonegro – ROCKNROLL MACHINE

Publié par le 11 février 2018 dans Chroniques, Notre sélection, Toutes les chroniques

(Scandinavian Leather Recordings, 2 février 2018)

Recroiser un vieux pote après une longue période d’absence peut être étrange. Surtout quand celui-ci compte beaucoup à vos yeux. Chacun fait sa vie, évolue, et on se demande si l’on sera encore sur la même longueur d’ondes.

Je n’avais plus vu Turbonegro depuis un bon moment. La dernière fois c’était il y a six ans, en 2012, période Sexual Harasment. D’abord troublé, j’avais finalement été emballé par ce qu’il était (re)devenu, bien aidé par sa nouvelle voix, le Grand-Breton Tony Sylvester, qui lui avait redonné une jeunesse après le départ du tout aussi grand (par le talent) que gros (par le tour de taille ), Hank von Helvete.

Mais 2012, c’est loin. J’avais continué à entendre parler de TRBNGR, et principalement de ses derniers concerts. Et ceux-ci m’inquiétaient pas mal, notamment quand il reprenait du Queen ou revisitait ses propres morceaux en les badigeonnant de synthé. Parce que oui, on évolue tous plus ou moins, mais pas toujours de façon parallèle. Turbonegro a en effet depuis 2015 une nouvelle fréquentation, un mec qui s’appelle Haakon-Marius Pettersen. Claviériste de son état. Et ils ont l’air de très bien s’entendre. Attention, je n’ai rien contre le type en lui-même (qui m’a l’air fort sympathique), ni contre le clavier en général. L’apport minimaliste de Pål Pot Pamparius à Turbonegro a été selon moi énorme. Mais Turbonegro semble avoir embrassé ce nouveau membre au point de lui donner une place prépondérante à ses côtés, parfois même au détriment du reste.

Quoi qu’il en soit, ce ROCKNROLL MACHINE signe donc pour moi des retrouvailles marquées par l’attente, l’espoir et l’inquiétude. Est-ce que ce que j’ai entendu est vrai ? As-tu à ce point changé Turbonegro ? Pouvons-nous encore nous entendre ? Parlons-en autour d’une bière.

20 ans jour pour jour après Apocalypse Dudes, Turbonegro tient tout d’abord à me rassurer, il est toujours celui que j’ai aimé. Preuve en est ce “Part II: Well Hello”. 1 minute 53 de pur bonheur qui rappelle les bases : “We are just living for the week-end / We are just dying for the show”. Simple, redoutablement efficace, de l’instant classic dans la grande tradition d’ouverture d’album comme Turbonegro sait si bien le faire.

Mais cette voix robotisée sur l’intro du titre suivant, l’éponyme mais orthographiée différemment “RockNRoll Machine“, me fait comprendre que quelque chose cloche. Ces effets synthétiques, ce bridge de chœurs féminins, ce clavier omniprésent… TRBNGR, my old friend, ne filerais-tu pas de mauvais collants fluo te conduisant tout droit vers les sombres abîmes du hard rock ? Par le passé, tu as flirté avec cette frontière mais tu es toujours parvenu à t’en sortir, même quand je te trouvais en manque d’inspiration, comme sur l’album Retox de 2010.

Mal à l’aise mais voulant faire bonne figure, je recommande une bière. Elle aura un goût amer, pire que de la Stella. Celui du “Jump” de Van Halen, que tu as renommé sur cet album “Skinhead Rock & Roll“. Impossible, aurais-tu changé à ce point ? Je veux faire passer ce sale goût et reprends une pinte, mais m’étrangle, car il y a encore pire. “John Carpenter Powder Ballad“, une véritable 33 Export musicale ! Un rappel des heures les plus sombres de notre histoire musicale : le rock FM gorgé de synthés. Je commence à me sentir trahi. Et ce n’est pas avec ton “Let The Punishment Fit The Behind“ que tu vas me rassurer. Tu sais être tellement meilleur dans le genre grandiloquent (te souviens-tu de quand tu « baisais le monde » ?).

J’en viens à me demander si de digne successeur du Alice Cooper Band, l’un des plus beaux compliments musical que je puisse te faire, tu serais pas juste devenu un ersatz du Alice Cooper tout court, période Poison et consorts.

La tentation est grande d’arrêter là, de garder un souvenir positif, finir notre verre et nous quitter en bons amis qui n’ont plus grand-chose à partager. Mais non, en mémoire de ton glorieux passé, de toutes ces heures passées ensemble, la tendresse l’emporte. Je recommande une pinte et te demande de tout me raconter, une nouvelle fois.

J’ai bien fait. Tu m’as donné envie de reboire un coup, d’excuser tes errements synthwave qui resteront, je l’espère, des exercices de style. Le refrain imparable d’“Hurry Up & Die“, l’hommage à l’AC/DC de la bonne époque avec “Fist City“ ou l’implacable “On The Rag“ sont autant de preuves que nous pouvons encore nous retrouver entre vieux potes. Et même ton “RockNRoll Machine“ et ses « OÏ!» à la “T.N.T.“ ont ce petit goût de reviens-y, apanage des bonnes chansons. Je note par ailleurs que tu n’as rien perdu de ta finesse d’écriture : “I work all day and I last all night / and I’m cheaper than a Mexican / Mexican? / ¡Mexican!“). Mais je crois que ce qui scelle nos retrouvailles sont les deux morceaux que tu avais laissé filtrer (quoique dans des mix différents) durant cette longue attente : “Hot For Nietzche“ et “Special Education“. De l’arena rock sans complexe, que tu parviens à ne pas rendre kitsch, du sing along pailleté et parfait que j’ai tout autant envie de réécouter que de recommander une autre bière.

Alors oui, on ne va pas se mentir, Turbonegro, ce moment passé avec toi a confirmé mon pressentiment : je te trouve changé. Tu ne seras plus jamais Apocalypse Dudes, et encore moins Ass Cobra. Mais il serait idiot de ma part de le reprocher à un presque trentenaire comme toi qui a muté tellement de fois. Certes, ton ROCKNROLL MACHINE a tendance à sous-mixer la merveilleuse guitare d’Euroboy pour trop mettre en avant les claviers du Crown Prince Haakon-Marius. Mais je m’aperçois que ces 38 minutes passées en ta compagnie m’ont quand même bien plu. Il faut juste que je mette de côté nos désaccords profonds (ce son de synthé, mec…). Mine de rien, il serait dommage de me priver de ces petites pépites deathpunk dont tu as le secret et que l’on aime tant. Alors je vais rester plus longtemps et continuer à t’écouter, parce qu’au final, je te l’avoue, tu m’as quand même pas mal manqué. Allez, la prochaine bière est pour moi !

Marlon

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