Membrane – Deathly Silence

Cela fait un petit moment que Membrane traine dans le coin et on sait ce que vaut ce quatuor mais ceux qui l’ont quelque peu perdu de vue pourraient être surpris lors de leurs retrouvailles. Après avoir déversé initialement un noise rock de sauvageons, Membrane a évolué peu à peu en allongeant ses morceaux et multipliant les subtilités, s’autorisant des phases d’observation, instaurant sa tension progressivement. Avouons que ce n’était pas gagné mais il est parvenu à nous garder aux aguets et suscite toujours un vif intérêt de notre part. Leurs racines noise et leur versatilité aidant, les Vésuliens savent se montrer imprévisibles, évitant les raccourcis trop évidents et ficelles trop usitées du post metal vers lequel ils lorgnent de plus en plus franchement.
Les compositions de Deathly Silence ne suivent pas de trajectoires linéaires, sont capables de surprendre, de bousculer, d’émouvoir. « Too Late » se révèle déchirant, le riff d’intro de « Fire and Fear » cisaille tous azimuts et le morceau ne baissera jamais en intensité alors que les sentences assassines sont assénées avec aplomb par un Nicolas Frère très en verve (parfois même en français – et c’est une nouveauté – « chaque jour qui paaaasse »). Membrane bâtit patiemment, s’élève et, lorsqu’il atteint de prodigieuses hauteurs, détruit avec délectation.
On voyait poindre plus volontiers la lumière sur le très bon Beyond the Beliefs (2022) et cela s’explique probablement en grande partie par le deuil qui a frappé le groupe (le guitariste Mathieu Roszak est parti vers des cieux que l’on espère plus doux) et confère à ce silence mortel un arrière-goût de cendres. Deathly Silence déborde ainsi de colère rentrée, de frustrations accumulées, de coups de gueule qu’il devient urgent de pousser. Et même lorsque c’est le cas (les cordes vocales n’ont pas été ménagées), il reste un poids important qui ne s’évapore pas si facilement. C’est toutefois chose faite lorsque la sublime « The Soft Whispers » bascule dans l’admirable, à son mitan, se délestant de tout fardeau avec l’arrivée d’une basse vrombissante (sur rythmique dub, allons bon) et d’une guitare cajoleuse venue conter la mélancolie. Avant un final où sont anéantis sans pitié les derniers espoirs d’une issue plus clémente. Huit minutes parmi les meilleures entendues cette année. Deathly Silence est un disque sombre, empreint de fatalisme, d’une puissance redoutable, et se révèle captivant pour peu que l’on daigne s’y abandonner. Membrane a vingt ans et il ne les fait pas.
Jonathan Lopez