Maudits – In Situ

Posted by on 22 novembre 2025 in Chroniques, Toutes les chroniques

(Klonosphere/Season of Mist, 7 novembre 2025)

Post-Metal, dites-vous ? Le genre, désormais bien installé dans le paysage musical international, n’est pourtant pas évident à définir. Il évoque plus une certaine approche de la musique énervée qu’un genre musical spécifique. Est « post » tout groupe de metal qui ne sonne pas bêtement « hard » ou « heavy », et qui refuse les principaux codes du genre, à commencer par l’attitude viriliste qu’on semble lui associer. Le « posteux » est souvent habillé en noir, avec des baskets blanches. En tout cas, il préfère les Vans aux New Rock. Il a parfois un sweat à capuche qu’il retire rarement pendant son set, quelle que soit la température dans la salle. Si vraiment il finit par le faire, c’est pour s’afficher en t-shirt My Bloody Valentine ou Slowdive, quand ce ne sont pas les Smiths. Hors de question d’être vu avec un t-shirt Iron Maiden ou Judas Priest ! Un « posteux » ne saurait être confondu avec un « hardos ». On a de la tenue, bordel. Et surtout, nous, on ne montre pas notre cul aux journalistes de Quotidien lors des festoches.

Sur le plan plus strictement musical, peuvent être qualifiés de post-quelque-chose tous les groupes qui n’ont pas peur d’afficher des influences autres que purement metal, qui bidouillent du son, se lancent dans de longues plages bruitistes, évitent les soli trop techniques ou les pentas à la Angus Young, travaillent leur son, utilisent pas mal d’effets d’espace, se passent de vocaliste ou utilisent la voix comme un instrument. Avec les années, cependant, le genre post-metal a fini par tomber dans les travers qu’il cherchait à éviter. Son esthétique est devenue cliché : des sons de guitare et de batterie assez standardisés, une dynamique silence-bruit parfois caricaturale, des riffs « casse la nuque » assez génériques. Dans les cas où la musique intègre des voix, on va trouver un chant plus « screamo » que death ou black… Bref, c’est le genre « Cult of NeurIsis », dénoncé par le boss de New Noise sur les réseaux sociaux, avec quatre ou cinq nouveaux groupes par mois s’engouffrant dans la brèche ouverte par leurs nombreux aînés.

Ce qui m’amène au cas Maudits, une des rares formations françaises estampillées « post-metal » à continuer de se battre contre la standardisation du genre. Toujours pas un screamo lambda à l’horizon, pas de palm mutes intempestifs, pas de mélodie « poing sur le cœur » à l’émotion facile, pas vraiment de murs de grattes ni de grosses embardées lyriques. Au « gros » son, Maudits préfère le « beau » son.

Surtout, le groupe continue de mettre à l’honneur une sorte d’exception française, avec ses guitares très claires, ses entrelacs de cordes et ses influences dub. Maudits, c’est un groupe dont l’esthétique va du metal progressif à Erik Satie, en passant par Zenzile, et dont l’éthique musicale semble avoir été façonnée dans les MJC de banlieue plutôt que lors d’un séjour linguistique à Boston. Sur scène et dans sa formation classique, en trio, le groupe peut sérieusement « envoyer », mais réduit à un duo guitare-violoncelle, il peut aussi promener sa musique dans les églises ou les galeries.

Ce troisième véritable album – si l’on fait fi d’un disque d’inédits et de versions alternatives, ainsi que du split EP avec SaaR – se situe dans le prolongement des précédents (en témoigne la présence d’un morceau intitulé « Précipice III », en écho au disque précédent) tout en incluant quelques nouveautés qui viennent rompre avec la routine.

Commençons par celles-ci : on trouve d’abord une reprise quelque peu risquée de « Roads » de Portishead. Risquée, d’une part, parce que l’originale est un classique et une certaine idée de la perfection absolue, mais aussi parce qu’au moins deux autres formations metal s’y sont déjà attaquées : My Dying Bride et Ihsahn. En s’adjoignant les services de la chanteuse Mayline Gautié (aka Lün), Maudits donne une couleur très metal 90s à sa reprise, rappelant des formations comme The Gathering ou Within Temptation. Pas étonnant, lorsque l’on sait qu’Olivier Dubuc (guitare) et Chris Hiegel (batterie) officiaient dans un groupe de cette mouvance, The Last Embrace, durant les années 2000. De ce fait, Maudits n’a pas cherché à reproduire le son brumeux de la formation de Bristol, mais livre une vision plus lumineuse, plus droite, du morceau. On avoue préférer la partie instrumentale — notamment le travail de la batterie et la gestion de l’espace — à la partie vocale.

« Carré d’As » est en revanche un véritable tour de force. Olivier Lacroix (Erlen Meyer, Novembre) y livre un spoken word proche du hip-hop, apportant une touche urbaine et terre-à-terre à la musique plutôt céleste de la formation. Et ce, avec des textes en français. La fusion opère parfaitement et le dénouement, avec son chant hurlé, est habilement amené.

Sur les morceaux instrumentaux, on est, comme à notre habitude, happé par les ambiances cinématiques, la beauté des sons de guitare, l’interaction parfaite entre les divers instruments et la justesse d’une batterie qui sait s’aventurer en dehors des sentiers battus.
Dans sa bio, Maudits cite Opeth, et c’est vrai que l’on pense souvent à ces derniers, notamment sur des disques comme Damnation ou Heritage — c’est-à-dire les moins metal et les plus acoustiques du groupe, avec leur esthétique 70s.

En continuant de tracer son sillon, Maudits produit sur In Situ une musique toujours aussi attachante, exaltante et singulière, et confirme tout le bien qu’on pensait déjà de la formation.

Yann Giraud

Nos articles sur Maudits

Leave a Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *