Maruja – Pain to Power

Posted by on 30 octobre 2025 in Chroniques, Incontournables, Toutes les chroniques

(Music For Nations, 12 septembre 2025)

On a beau avoir écouté des milliers de disques depuis trois décennies, on continue à être régulièrement surpris d’être désarçonné quand surgit un groupe qui bouscule nos petites zones de conforts stylistiques. Maruja, un quatuor mancunien – qui m’a été recommandé, bien mieux qu’un algorithme foireux, par le rédacteur en chef de votre webzine préféré – les a même carrément défoncés sauvagement. Pour en faire du petit bois, un beau feu cathartique, comme les huit titres imparables de ce Pain to Power. Parfaite B.O. (brasier) d’une année 2025… disons… dystopique. Le terme devenant presque galvaudé tant l’Histoire semble s’accélérer ces derniers mois. 

Et c’est bien l’imminence d’un destin funeste qui semble animer les chansons urgentes et incandescentes de ce disque. Qui réussit le tour de force d’être à la fois chaotique, sombre, lucide et furieux tout autant qu’il parvient à devenir, souvent, lumineux et épique. Comme s’il s’accrochait, désespéré, à la lueur salvatrice d’une fin de tunnel. A cet espoir, vital, qui anime ceux qui croient toujours en l’Humanité.

« It’s our differences that makes us beautiful »

C’est d’abord le refrain mantra de « Saoirse » (liberté en irlandais), et ce sublime crescendo post-rock jazzy, qui m’a étourdi. Car oui, il sera question tout le long de cet album d’un saxophone plutôt échappé… du jazz et des musiques improvisées, et que je trouvais trop bavard à la première écoute du disque. Grossière erreur. Après ponçage en règle des huit pistes, force est de constater qu’il est un point cardinal essentiel de la musique du groupe. Aérien et élégant sur l’autre plage plutôt ambient du disque (« Zaytoun » soit olivier en arabe). Et donc un fil d’Ariane bienvenu dans la divagation du début de « Saoirse », auquel s’accroche ensuite des arpèges de guitares. Et c’est bien à son appel que les cordes et les guitares s’emballent et enflent pour former la première houle qui va nous renverser. Et jeter sur la grève. Frissonnant. Episode 1. Comme trois titres flirtent avec les dix minutes – on va y revenir – j’ai d’abord, à la première écoute, passé en revue les cinq titres les plus compacts (entre trois et cinq minutes). Par la face post-rock donc avec « Saoirse » et « Zaytoun » (qui évoquent la Palestine), mais également par la face plus post-punk, noise, complètement chaotique de la triplette « Bloodsport » – « Break the Tension » – « Trenches ». Maruja brouille les pistes et braconne donc sans vergogne sur les traces de toutes les Musiques qui comptent. Pour notre plus grand bonheur. L’opener « Bloodsport » ne cherche pas à s’éterniser. Le roulement de batterie annonce le combat à venir. Et après à peine une dizaine de secondes, la basse te saute à la gorge, le flow d’Harry Wilkinson tranche l’époque avec précision, et le saxophone s’affole. Puis reprend haleine le temps d’une minute suspendue, comme au bord du précipice. La tension n’attendait qu’une autre explosion et le clip sanguinolent ne fait qu’ajouter au malaise. Il ferait d’ailleurs passer celui de « Sick, Sick, Sick » des QOTSA pour un gentil pique-nique. 

« …They don’t like us when we’re shining they remember what they lost
Shame so strong wanna wash away with blood
Blood calls blood will we ever bleed enough?
I could never show you more than the beauty in yourself… »

Un autre single a pour titre « Break the Tension ». Pas mieux. La basse rampe, tel un prédateur à l’affût, n’attendant qu’une inattention de notre part pour attaquer la jugulaire sans pitié. « Trenches » surgit de l’ombre et confirme ce mode opératoire létal, non sans rappeler ici vaguement… la bande à Zack De La Rocha ! Si cette musique parle à la tête (cf des textes plutôt… politisés), elle plante aussi des flèches en plein cœur et/ou remue les tripes. Et c’est le moment de parler de ce monument en deuxième piste, sérieux prétendant au titre de chanson de l’année: « Look Down On Us ». Dix minutes vertigineuses comme propulsées dans un tourbillon de chaos, de colère, d’espoir et de beauté. D’abord frondeur dans son premier tiers, avec un saxophone épileptique et cette basse qui semble poser des mines, Harry Wilkinson s’époumone comme si le sort du Monde en dépendait (ce cri à 1:55 !). Un peu plus loin, le saxophone perce le chaos (et l’obscurantisme ?) et d’un souffle salvateur, annonce le début d’un crescendo magnifique, où une vague post-rock se forme et déferle. Et la magie opère. Au bout d’une tirade d’Harry Wilkinson comme un appel ultime à l’espoir, le Frisson. Episode 2. Poils dressés sur les bras. Poussière dans l’œil. Saxophone, guitares, pluie de cordes, le tsunami dans la tronche. 

« …So why so much division has the joy all left our heads?
Maybe it’s the fear of having no one in in our beds
It’s empowering to think that all the hateful people out there
If they were only shown more love they wouldn’t be so spiteful
Love is my God I don’t care what you say 
All the hate in our hearts it takes us further away
From the truth that we keep but we swallow it down
Like that lump in your throat when you can’t make a sound…
… Turn pain to power put faith in love
Be firm and loyal in yourself put trust
Be twice the ocean be twice the land
Be twice the water for your sons and daughters
And Love… »

Ce dernier passage autour de la sixième minute, bordel, c’est beau. Touché en plein cœur. La charge finale est lancée. La cavalcade nous laissera sans voix au bout d’un outro noisy, conclu par des poings qui se dressent dans le clip, superbe, qui accompagne cette folie. Comme cette première moitié du disque dingue (!) – soit dans l’ordre « Bloodsport », «Look down on us », « Saoirse » puis « Born to Die », dix minutes superbes en territoire post-rock aérien qui finissent… par vriller sans préavis vers un final bruitiste à rendre jaloux la bande à Tom Morello ! Les carcans stylistiques ont été dynamités depuis longtemps.

« Are we all just born to die? »

Je m’en rends compte à présent, la seconde moitié du disque est presque un reflet de miroir, quoique le niveau soit très, très légèrement en-deçà. Et pour rétablir l’équilibre dans cette Force, à l’opener furieux « Bloodsport », « Reconcile » oppose un post-rock lumineux au long de dix minutes, comme une transe (ce lick math-rock obsédant), qui s’achèvent sur ces mots scandés tel un mantra régénérateur, le baume salvateur pour âmes cabossées par le Présent :

« I Have no fear 
Have no fear
Pray for Love »

Grand disque de 2025 que ce Pain to Power. Album de combat autant qu’un salvateur cri d’espoir. Une Musique buissonnière et insurrectionnelle qui navigue, libre de tout carcan stylistique, au gré des improvisations d’un quatuor incendiaire. Et si l’avenir reste incertain, d’un automne mondial où les progressistes sont désignés (presque) partout comme les ennemis intérieurs à abattre, Maruja propose sa version d’une résistance furieuse, vitale et cathartique, Humanité en bandoulière. Les sanglots longs des violons peuvent bien attendre. Les braises couvent un espoir féroce. Et le vent ne demande qu’à se lever.

Sonicdragao

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