HAYWARDxDÄLEK – HAYWARDxDÄLEK

On est évidemment en droit de s’attendre à toutes sortes de collaborations de la part d’un musicien d’un groupe expérimental majeur. Mais peut-on en dire autant d’un rappeur ? Tout dépend du profil. Rien de bien surprenant au fond quand il s’agit d’un rappeur influencé autant par Public Enemy que par Sonic Youth ou My Bloody Valentine. Un rappeur qui a tourné avec Techno Animal, collaboré avec les Young Gods, Faust, le groupe de free jazz Fire! Orchestra ou invité Adam Jones de Tool sur son dernier album… Bref, que ce drôle de rappeur nommé Dälek ait choisi de croiser le fer avec Charles Hayward, talentueux batteur des essentiels This Heat, et trempe allègrement dans l’expérimental, ne relève pas tout à fait de l’hérésie.
Et le contenu de l’album ne déroutera pas franchement les amateurs de l’un ou de l’autre mais il s’offrira difficilement au premier venu. Pas de compromis pour une recherche d’accessibilité, ce n’est pas le genre de ces maisons-là. Ce projet situé à la parfaite équidistance « Between the Word and the Drum », comme le suggère l’un des titres, bref entre leurs deux univers, nous démontre que les points de rencontre possibles sont nombreux. On n’en doutait guère. Et on ne sait plus vraiment qui du batteur ou du rappeur/producteur a induit tel ou tel passage du disque, étonnamment homogène, tant l’alchimie coule de source. Cela se vérifie dès l’intro instrumentale « Increments » très ambient mais où plane également une présence fantomatique sur laquelle on imaginerait aisément Will Brooks aka Dälek poser sa voix (on entendra seulement des voix lointaines aux allures de chants traditionnels… d’une vieille tribu disparue ?). Ce disque sans titre d’un magnétisme sans nom a d’abord été enregistré live avant que Dälek ne l’emporte dans son studio afin d’y ajouter quelques nappes et voix pour parachever l’œuvre. La batterie de Hayward y est omniprésente, en plus d’être très inventive, sans jamais tourner à la démonstration (même si les apprentis dégusteront notamment la très déstructurée « Antiphony » et la rythmique quasi drum’n’bass de « Re-Evolution »). Les subtilités ne manquent pas, à commencer par le minutieux et précieux travail sur les samples, et viennent renforcer des atmosphères soignées, qu’elles soient éthérées (« Assymetric »), suffocantes (« Salvage », « As Children Chant ») ou tranchantes et recouvertes de rouille (« Breathe Slow » et ses chuchotements issus de tes cauchemars les plus fous).
Sur le mystique « Salvage », morceau d’une étrangeté insondable d’où semblent provenir des lamentations lointaines et lancinantes, la batterie tribale de Charles Hayward dessine un territoire tout à fait hostile, presque lovecraftien. Un terrain pourtant parfaitement hospitalier pour un Will Brooks coutumier du fait, qui choisit ici de s’effacer pour laisser toute la place à l’instrumental. Très investi dans la composition et production, ce dernier se tient régulièrement éloigné du micro (cinq titres instrumentaux), ce qui ne l’empêche pas d’être particulièrement en verve lorsqu’il s’en empare. Mais avec ou sans voix, scandée ou clamée posément (« As Children Chant » et son « I hear the children chant free Palestine »), c’est la cohérence de l’ensemble qui l’emporte. Le télescopage initial qui conduit à la fusion. Si vous partez en quête du single qui tue, autant rebrousser chemin tout de suite. Encore que… Moins torturé que l’humeur globale du disque, « Assymetric » se révèle redoutable. Il est immédiatement contrebalancé par le captivant « Sojourn » qui s’ouvre sur un mélodica souffreteux semblant chercher à s’extirper péniblement du caveau avant que l’instrumental ne se déploie pour une fascinante dérive, longue de près de onze minutes.
Bien plus qu’une curiosité pour initiés, voilà un disque qui ne manque ni de personnalité ni d’idées et fait preuve d’une certaine exigence sans se révéler trop hermétique. Gageons que l’appétit du duo est venu en mangeant et qu’il nous confectionnera d’autres gourmandises au goût étrange à l’avenir. Mais connaissant la volonté de toujours aller de l’avant de ces deux artistes jamais rassasiés, on n’y mettra pas notre main à couper.
Jonathan Lopez