Castle Rat – The Bestiary

Il nous faut situer dans le temps et dans son contexte le sujet de cet article, en excluant la satisfaction de l’instant. Les symboliques médiévales sont communément des raccourcis associés à l’heroic fantasy. On attribue à cet univers une certaine régression, alors qu’il en est tout autre, les vulgarisateurs ont usé d’une rhétorique incohérente et préjudiciable. Bien distincts de tant de projets musicaux offerts aux célébrations de masse, le concept de Castle Rat combine d’étranges mixtures de riffs dévastateurs servant de boucliers, entre le tangible et l’intelligible, dont le glaive sépare les deux dimensions, écartelant ainsi la chair du réel, vers un enracinement sensoriel de grande ampleur. La pochette s’inspire des œuvres de Frank Frazetta et s’inscrit dans le fantastique hors de l’engourdissement et de l’immobilité de ce monde.
Depuis leur précédent album, Into the Realm, acclamé unanimement par les critiques, Castle Rat a sillonné les routes du globe, emportant son public dans un univers peuplé de légendes, de créatures et de royaumes en proie à une disparition imminente, un parallèle avec la lente agonie de notre environnement, thématique récurrente, obsédante chez Riley Pinkerton (The Rat Queen).
Tanguant au bord d’une sorte de vide, avec une aura de grandeur et de hardiesse, The Bestiary combine des inflexions baroques dont les visions instaurent des fééries qui s’entrelacent avec une nature omniprésente, souillée par la main prédatrice de créatures maléfiques. L’introductif « Phoenix I » chemine vers une densité qui n’est qu’une infime partie de l’immense potentiel du groupe, dont les personnages mythiques se joignent pour combattre leur ennemi, la faucheuse, The Rat Reaperess. Cela dit, les singles proposés en guise de hors-d’œuvre (« Wizard » et « Serpent ») étaient déjà de bon augure. Sous la main de Randall Dunn, la dynamique du groupe s’est encore affermie, devenant grandiose, des riffs expansifs, des battements rythmiques dont l’éventail répond aux percussions des troubadours, en beaucoup plus lourd et moins martial. Quelque chose de tribal qui illustre notre angoisse contemporaine. Le titre « Dragon » est sans hésitation la composition la plus fantasque, avec ses breaks subtils, ses montées saisissantes proches de Candlemass, Manowar, Mansion.
Des arpèges écumeux se répandent comme de la vapeur mauve dans le titre « Sun Song », un élixir confectionné afin de conjurer les malédictions, Castle Rat pratique un heavy metal qui s’acoquine avec un doom embrumé. On retrouve ce chant en arrière-fond doublé d’harmonies vocales prodigieuses. L’interlude « Path of Moss » intronise la sublime ballade « Crystal Cave » nimbée de moog, de cordes, de chœurs, véritable sommet de l’album. La marque de fabrique unique du groupe est de condenser les instruments avec les voix dans un assemblage digne d’une pièce d’orfèvrerie.
Ce bestiaire est sans le moindre doute un des meilleurs albums de l’année. On n’éprouve aucun moment de lassitude, on en ressort au contraire revigoré, enchanté, même si la mélancolie aux crocs de brume mord dans la chair de lune. Cet album nous permet de saisir l’espace qui nous enferme avec lui comme une seconde peau, une cicatrice sur la terre. Et d’un commun accord, on ne peut que crier : longue vie à Castle Rat !
Franck Irle