Rétro Laser – Rétro Laser Part 1 EP

Publié par le 29 février 2024 dans Chroniques, Notre sélection, Toutes les chroniques

(De La Phase Productions, 2 février 2024)

Au début des années 2000, James Delleck et Le Jouage font partie des MCs français qui ont un peu bousculé un rap français qui commençait déjà à s’enfermer dans des clichés délétères. Avec en figure de proue TTC ou Le Klub des Loosers, cette scène s’est vue coller l’étiquette de « rap alternatif » et a régulièrement été qualifiée de « rap des beaux quartiers ». Comme souvent avec les étiquettes, elles sont caricaturales et un peu éloignées de la vérité. En l’occurrence, Le Jouage et Delleck sont originaires de Vitry (comme le 113) et sont venus au hip-hop par les classiques. Ce qui a fait la différence, c’est justement leur volonté de ne pas être enfermés dans une case et leur goût partagé pour la science-fiction et le surréalisme.

En 2003, ils sortent un album sous le nom Gravité Zéro qui est sans doute le premier concept album de rap français à ne traiter que de l’espace et du futur. Même si l’album n’atteint pas vraiment le grand public, il reste un tour de force qui n’a pas pris une ride. Par la suite, ils rejoignent le Klub des 7, que l’ont pourrait qualifier de « supergroupe du hip-hop alternatif » et continuent de travailler sur leurs projets solos pendant que l’intérêt des médias et du grand public pour ce style de rap se délite.

Annoncé depuis plusieurs années, le retour des deux MCs à un projet dans la continuité de Gravité Zéro mais plus axé sur les références TV des années 70/80 se faisait malheureusement attendre. Et puis, un morceau du même titre que le projet, Rétro Laser, donc, a commencé à circuler sur les réseaux sociaux, et on a su que notre attente touchait à sa fin. Mieux, on a vite su qu’elle avait valu le coup : une rythmique boom bap construite autour d’un sample d’animé, avec un refrain bien catchy qu’on a envie de reprendre en chœur, le flow du Jouage et de Delleck qui n’ont pas pris une ride, et toujours des phases drôles, perchées et percutantes, « le micro à l’endroit, les punchlines à l’envers », bref tout pour se le remettre dans les oreilles immédiatement le titre fini, c’est ce qu’on pouvait espérer de mieux pour un premier extrait.

Quelques semaines après, c’est l’ensemble de l’EP qui sort, avec un Part 1 très prometteur qui laisse sous-entendre qu’on n’aura peut-être pas à attendre aussi longtemps pour une deuxième fournée (spoiler : on en parle en interview avec les intéressés à paraitre d’ici peu). On est déjà jouasse, mais encore faut-il que le reste de ce qui nous est proposé donne envie de repartir pour un EP supplémentaire. Comme vous pouvez le deviner au ton enthousiaste de cet article, en ce qui me concerne, c’est totalement validé !

Certes, le projet fait par essence la part belle à la nostalgie de la « génération San Ku Kaï » mais malgré son concept, Rétro Laser ne se contente pas de nous balancer du fan service pour titiller la fibre des quadras et quinquas bercés au Club Dorothée. Les références servent de base, et même si on pourrait s’amuser à les compter tant elles sont disséminées un peu partout, elles n’empêchent pas les morceaux de pouvoir exister pour eux-mêmes (« Jaccadi » sert de morceau à pogo sans jamais revenir sur le fait qu’il utilise un sample d’X-Or, « Champi Chapo » décrit un trip psychédélique et « Minimâle » est une salve acide contre le virilisme toxique). L’ensemble est toujours servi par l’écriture décalée, parfois surréaliste et souvent drôle des deux MCs, ce qui fait qu’on apprécie autant les titres pour leurs punchlines qui peuvent facilement arracher un sourire que pour leur musicalité.

Concernant la musique à proprement parler, le duo ne tombe pas non plus dans la facilité. Elles est majoritairement électronique, même si elle s’appuie par principe sur des samples issus des références citées, la plupart des morceaux sont boom baps, en effet, mais Le Jouage et Delleck ne sont pas restés enfermés dans une capsule temporelle depuis les années 80, et Rétro Laser part 1 contient aussi des éléments de Drum and Bass, style dont Delleck est un habitué (l’excellent « Sarah Connor »), des rythmiques plus rap moderne, et même une petite dose, toute petite, d’auto-tune. Le flow des MCs est fluide et sait s’adapter avec talent à ces différents styles pour offrir un tour d’horizon qui réussit à être à la fois nostalgique et rafraichissant. On pourrait enchainer comme ça les paradoxes (temporels ?) de l’EP, à la fois un projet conceptuel et d’une simplicité pop, musicalement exigeant sans se prendre au sérieux, pouvant ainsi être autant apprécié par les snobs que par les dilettantes. En bref, Rétro Laser ne serait pas loin d’être un bijou de hip hop rétro post-moderne, « à l’avant-garde du temps, mais en marche arrière ». Finalement, quand les phases sont si bien trouvées, que peut-on dire de plus ?

Blackcondorguy

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