Unspkble – Reconstruction

Publié par le 21 octobre 2023 dans Chroniques, Toutes les chroniques

(Rejuvenation / Kerviniou / Araki, 22 septembre 2023)

Commençons cette chronique par un long aparté.
J’ai beaucoup apprécié le punk par le passé, mais ce n’est plus le cas. Loin de moi l’envie de dénigrer le genre, j’ai été rapidement confronté au dilemme de ces groupes capables de scander des « no future » chaque soir tout en voyant leur popularité augmenter et leur merchandising croitre. Ce que j’estime être un « décalage » est certes compréhensif, toute personne saine d’esprit ne s’attendrait pas, après le visionnage d’American History X, à voir Edward Norton aller mettre des menus « pieds/têtes/trottoirs » dans sa vie de tous les jours.

Néanmoins, je crois qu’à une époque où j’avais trop de temps libre, j’avais besoin d’un peu plus de sérieux dans les disques que j’ écoutais.
Outre cet aspect, c’est le soin apporté aux visuels, à l’imagerie qui m’a fait tomber in love du post punk. Au début, musicalement parlant, si le jeu était aussi approximatif que chez certains groupes de punk, l’image et les visuels étaient déjà impactants.
Que ce soit dans la manière d’être, de se présenter sur scène, dans le soin apporté aux affiches ou plus simplement dans la démarche créative globale, tout était déjà là chez Factory Records (et autres labels de l’époque).

Le post punk n’a longtemps que peu évolué. Si l’on prend ces 45/50 dernières années, on se rend compte que certains groupes actuels ne font que reprendre les codes de ceux de l’époque. Cela peut probablement s’expliquer parce que la démarche initiale des Siouxsie and the Banshees, The Stranglers, Wire ou Warsaw était totale et sincère (contrairement à nos héros Vivelle-Dop(és) du mouvement Tektonik) mais aussi parce qu’elle était synonyme d’une certaine urgence propre à l’époque (et qui reste certainement la connexion la plus directe avec le mouvement punk).

Néanmoins, le post punk n’avait qu’un moyen d’arriver jusqu’à nous aujourd’hui, il devait bien entendu continuer à fédérer et à alerter mais surtout à accepter une certaine évolution et une acceptation du fait que les lendemains existent.

Cette évolution aura été flagrante au début des années 2000, avec l’émergence des Interpol, Editors, Bloc Party & cie. L’ADN du post punk était toujours là. Basse et batterie avaient toujours leurs mots à dire (même s’ils flirtaient beaucoup avec la cold wave) et l’esthétisme, qu’il soit minimaliste ou brutaliste était toujours présent.
Qu’est ce qui les différenciaient des pionniers du genre ? L’accessibilité.
En effet cette nouvelle vague allait majoritairement générer des groupes plus pop (NdRC : et plus nuls).
Le succès fut rapide, les groupes remplissaient les festivals d’été ainsi que des salles conséquentes. Assez rapidement les titres se retrouvaient dans les séries et films du moment.
Mais si la démocratisation du genre aura permis à certains groupes (parfois très bons) de s’exprimer, cela a aussi été l’occasion d’un retour au tout premier plan des pionniers (parfois jusqu’à l’overdose, notamment concernant Joy Division et Peter Saville qui allait finir en égérie de t-shirts H&M).

Seuls quelques élus survécurent, et il faudra attendre les années 2010/15 (et une légère baisse de la hype) pour enfin voir débarquer un vrai souffle nouveau dans le genre.
Des groupes comme Idles, FACS ou Protomartyr ne sont pas (que) des groupes post punk.
Ils ont su intégrer à différents niveaux cette musique et comme tout bon chef cuistot, ils nous ont ensuite proposé des albums teintés de belles et diverses inspirations.
Si l’identification à ce genre n’est plus aussi binaire que durant les années 2000, c’est surtout dû au fait que la créativité s’impose chez ces nouveaux groupes. Les barrières du genre n’existent plus, le crossover touche aussi le post punk et cette intégration d’éléments tantôt arty, tantôt garage, tantôt noise… va souffler un vent nouveau dans la scène indé mondiale et notamment française.

En effet, cette fois la France ne loupe pas le coche. Certains labels spécialisés arrivent très rapidement dans le game, le Relax (2008) de Frustration est une vraie claque pour certains et de nombreux groupes vont fleurir. Le post punk copule désormais aussi bien avec la noise, le shoegaze ou l’électro à synthés vintage. Le nombre de groupes va crescendo, de belles découvertes apparaissent, Rendez Vous provient de Paris, Lyon a Rank et Montpellier a désormais Unspkle.

Unspkble vient donc avec Reconstruction de sortir un premier album, trois ans après son premier EP, Friction.

Quand on s’appelle Unspkble, ma longue introduction sur un seul mouvement musical peut sembler être de la provoc mais il n’en est rien. En effet, Unspkble est l’exemple même du groupe qui s’est inspiré du post punk « première vague » mais qui a surtout réussi l’exercice de l’appropriation.
Attention ! Nous ne sommes pas pour autant sur un projet arty à la Black Country, New Road. Clairement le terrain est connu, mais pour autant on ne s’ennuiera jamais à l’écoute de ces 41 minutes.

L’album pose les termes d’entrée de jeu, comme diraient les jeunes.
« All Stories Told » est direct. Ce qui titille l’oreille (j’avais écouté l’EP juste avant cette chronique) est clairement le gap en termes de prod et de mixage. Le son a gagné en ampleur et clairement ce premier titre est le terrain de jeu parfait pour chacun des membres du groupe.
La ligne de gratte mélodique est parfaitement incisive, la section rythmique se répond du tac-au-tac et le chant… quel chant !

Je vais commencer par ce dernier. En effet, il m’arrive parfois de décrocher avec nos chanteurs frenchies lorsqu’ils s’adonnent à la langue de Shane MacGowan.
Ici le monsieur qui tient le micro s’appelle Dion Lax (parfois secondé par Greg Reju, bassiste, et Gom Pilote, guitariste). Il est Britannique et outre cette histoire d’accent, son chant est tout sauf linéaire (mais j’y reviendrai plus tard) et cela apporte un je-ne-sais-quoi (in French in the text) qui ravit les cages à miel.

Quand « Global Emergency » démarre, l’urgence est déjà là. Il se finit en apothéose et nous laisse déjà sur les rotules. Sept minutes et deux titres auront déjà éprouvé nos mollets d’athlètes.
On s’engouffre dans « Sacrifice » qui nous épargne un peu et nous laisse souffler.
Ce titre qui a été choisi en premier single n’est pas forcément le plus direct, mais ce choix va confirmer mon ressenti après avoir réécouté il y a peu le premier EP : Unspkble aime Killing Joke et je parie ma pinte que Dion aime Jaz !
Encore une fois, lorsque c’est pour le meilleur, une affiliation de ce type ne doit être pris que pour ce qu’elle est, à savoir un compliment.
Si vous aussi vous aimez Killing Joke, je vous conseillerai également d’écouter « Into the Depths », clairement mon titre chouchou de l’album (ça marche aussi très bien si vous aimez The Sound, d’ailleurs).
L’album possède sa propre identité et, je le répète, c’est excellemment bien foutu.
Le mastering (après plusieurs écoutes sur enceinte, je m’en fais une au casque) est parfait. Pour les plus curieux, le mix est à mettre au crédit de Gom alors que le mastering a été réalisé par Alan Douches (Converge, Bad Brains, Human League, The Twilight Sad…). Ouais. Rien que ça.

Autre morceau percutant, « Struggle », est plus abrasif, quelques effets assassins nous mettent bien la pression. Clairement un morceau parfaitement taillé pour le live.
Dans le clip, on voit le chanteur déambuler dans ce qui ressemble à Montpellier pendant que chaque musicien se retrouve confiné pour jouer sa partie. C’est certainement à voir comme un clin d’œil au fait que l’album a été en partie composé pendant cette période où nous avions tous comme consigne de rester chez nous.

35 minutes viennent de passer, et c’est déjà le moment de se dire « Hello » .
En 10 titres, Unspkble boucle son premier album. Il n’y a rien de plus casse-gueule qu’un premier album (jusqu’au deuxième). Clairement le quatuor peut être fier du résultat.
Ce disque alterne les rythmes et parvient aussi bien à nous emballer qu’à nous apaiser (et le choix de « Hello » aux accents new wave en conclusion illustre parfaitement cela).
A noter que si je n’ai pas parlé en détail des « brutes » à la basse et batterie, ces deux-là apportent une vraie identité mélodique et rythmique qui vont bien au-delà des efficaces mais trop entendus poum-tchak propres au genre.

Fred

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