Interview – Superchunk

Publié par le 28 juillet 2022 dans Interviews, Non classé, Toutes les interviews

© Brett Villena

À l’occasion de la sortie de leur album de 2022, Wild Loneliness, nous avons eu la chance d’interviewer Mac MacCaughan, leader de Superchunk. Une belle opportunité de revenir sur la carrière du quatuor et du label Merge, né conjointement à ce groupe indie culte mais injustement sous-estimé, et qui est ou a été la maison de Lou Barlow, Magnetic Fields, Redd Kross, Bob Mould, Mikal Cronin ou Neutral Milk Hotel et de la réédition des trois premiers albums de Dinosaur Jr (oui, je sais qu’il y a un autre groupe très connu sur ce label, mais j’ai décidé de ne citer que des artistes que j’apprécie). Concernant Superchunk, soit vous faites partie de ceux qui considère le groupe culte, soit vous le sous-estimez : dans les deux cas, voici une bonne raison de se (re)plonger dans son parcours, sa musique, et donc de lire cet article.

« Chaque label indépendant avait sa propre identité. C’était palpitant d’avoir un nouveau single de Mudhoney, que tu pouvais chercher chez le disquaire ou te faire livrer par la poste. C’est aussi ça qui nous a inspirés pour monter notre propre label et donner envie aux gens de se renseigner sur nos sorties, et peut-être même d’avoir une identité propre. »

Comment s’est créé Superchunk ?
Mac McCaughan
 : J’allais à l’université à New York City, mais j’avais pris une année sabbatique au milieu de mon parcours et j’étais revenue vivre en Caroline du Nord, d’où je suis originaire. Je vivais avec des amis à Chapel Hill. Je faisais déjà de la musique avec différentes personnes depuis le lycée, et j’ai commencé à jouer avec mon ami Jonathan (NdR : Jonathan Newman), avec qui je jouais déjà dans le groupe Slushpuppies qui a sorti quelques singles à l’époque. On a formé un groupe où je faisais de la batterie et lui de la guitare. On a proposé à Laura Ballance de jouer de la basse avec nous, alors qu’elle n’en avait jamais joué avant. Donc on jouait plus ou moins des instruments dont on ne savait pas vraiment jouer.

Vous étiez batteur, pas guitariste ?
Oui. Je ne savais pas tellement jouer de la batterie. Jonathan, lui, était batteur, donc il jouait de la guitare dans ce groupe-là. Laura, quant à elle, jouait de la basse pour la première fois de sa vie. En plus, on était tous amis et on vivait à côté les uns des autres, donc on répétait tout le temps. Peut-être même qu’on a fait un concert ou deux. Ce n’était pas très sérieux, mais c’est à ce moment que Laura s’est mise à la basse.
Vers le printemps ou l’été 1989, elle a commencé à jouer avec Chuck Garrison, un batteur qui avait plusieurs groupes locaux, notamment Zen Frisbee qui existait depuis un moment. Je connaissais Chuck de par ses différents groupes, et je crois que Laura et lui habitaient dans la même maison. Il y avait tout un groupe de gens qui vivaient et partageaient plusieurs maisons. Et je connaissais Jack McCook, un guitariste. On s’est mis à jouer ensemble, avec Laura, Jack et Chuck.
La musique qu’on faisait était assez punk, mais Jack était plutôt un guitariste rock’n roll, dans le style des Replacements. Je me rappelle d’influence des Replacements ou de Driving And Crying, un groupe de Georgie, mais avec aussi des Buzzcocks, de Sonic Youth, de Dinosaur Jr. et d’autres groupes actuels à l’époque.
On a sorti un single et fait quelques concerts, puis je suis retourné à New York pour l’école à la fin de l’été. On ne pouvait donc jouer que quand je revenais pour les vacances. Le mois de janvier suivant, quand je suis revenu pour les vacances de Noël, on a enregistré notre premier album. Puis, je suis retourné à l’école. On ne faisait pas vraiment de concerts jusque-là, mais au printemps nous avons sorti le single « Slack Motherfucker », nous avons trouvé quelques dates çà et là et Jack a décidé qu’il ne voulait pas être dans un groupe qui part en tournée. Je connaissais Jim Wilbur de l’université car il avait grandi avec un de mes amis de fac dans le Connecticut. Jim a déménagé à Chapel Hill et rejoint le groupe pour notre première tournée, avec les groupes Seaweed et Geek. Les trois groupes ont réservé cette tournée alors qu’aucun des trois n’avait d’album à l’époque, nous avions juste sorti des singles. Jenny et Kristen de Geek avaient un label à Washington DC qui s’appelait Simple Machines, et elles se sont beaucoup occupées de l’organisation. Nous avons sorti un single avec une chanson pour chaque groupe. C’est à ce moment-là que le groupe a vraiment commencé à être actif.
Donc, on a fait notre première tournée en 1990, il me semble, puis nous avons sorti notre premier album. C’est le label Matador qui l’a sorti, car quand j’étais à New York, j’ai rencontré Gerard (NdR : Cosloy, manager du label Homestead Records puis de Matador Records) alors qu’il était encore chez Homestead. On voulait donc signer chez eux, mais Gerard m’a dit : « En fait, tu sais quoi ? Je quitte Homestead, je vais commencer un nouveau label. Ne signez pas chez eux, attendez que j’ai mon nouveau label. » Donc on a signé chez Matador et sorti notre premier album. C’était vraiment motivant parce que Gerard avait sorti beaucoup de grands disques quand il était chez Homestead. Être chez Matador était donc carrément génial. Au début, on avait des groupes comme Dustdevils, qui sont excellents, Teenage Fanclub ou H.P. Zinker en tant que compagnons de labels.
Enfin, bref, on s’est mis à faire ce que font les groupes, tourner énormément, faire des boulots alimentaires quand on était de retour, dans des cafés ou des pizzerias, puis on repartait en tournée. Sur une de nos premières tournées nationales, on a enregistré No Pocky For Kitty. Quand on a joué à Chicago, on y est resté trois jours, on a enregistré, et on a repris notre tournée.
Quand on a fini l’album, Steve Albini (NdR : ingé-son sur le disque en question) nous a donné un contact super important. Il nous a présenté Corey Rusk de Touch And Go, ce qui a plus tard permis à Merge de devenir un vrai label. Parce que le premier disque longue durée que nous avons sorti sur Merge, c’était Tossing Seeds, la compilation de singles de Superchunk. Et aussi le premier album de Polvo, que nous avons sorti à peu près au même moment. Avant, nous n’aurions pas pu sortir par nous-mêmes d’albums entiers, mais avec l’aide de Touch and Go pour la fabrication et la distribution des disques, ça a permis à Merge de grandir de façon parallèle. Nous avions d’un côté le groupe qui trouvait son public, et de l’autre le label qui se développait en même temps. Mais le groupe a quand même commencé à être connu avant le label. Comme je disais, on faisait ce que font les groupes ; on tournait tout le temps, on écrivait des chansons et on enregistrait quand on les jouait.

Vous me parliez de groupes locaux du secteur de Chapel Hill. Y avait-il déjà une scène active, ou est-ce que ce sont Superchunk et les groupes de chez Merge qui ont lancé le truc ?
J’ai grandi à Durham, qui est à une quinzaine de kilomètres de Chapel Hill. Raleigh, Durham et Chapel Hill sont situées juste à côté, et il y a une université dans chacune de ces villes. Il y a donc probablement toujours eu une scène musicale dans le coin. Quand j’étais au lycée, de nombreux bons groupes passaient par là, et je crois que quand des groupes en tournée passent par une ville, ça inspire les groupes locaux. En plus, on est situé juste entre Washington D.C. et Atlanta, alors si un groupe fait une tournée à travers les États-Unis, c’est assez logique de s’arrêter ici puisque c’est à mi-chemin de ces deux grandes villes. Je crois que tout ça combiné à la présence des universités, des radio universitaires et des disquaires, ça a façonné une scène qui était déjà présente. En revanche, nous, puis Archers of Loaf, Polvo, Ben Folds Five, Squirrel Nut Zippers et d’autres groupes de ce coin-là, avons commencé à tourner plus que les groupes qui nous ont précédés. Je crois que c’est ce qui a fait grandir la réputation de notre région, car comme je l’ai dit, la scène locale existait déjà.
Il y a de nombreux groupes ici, mais pas forcément des groupes qui ont sorti des disques ou ont fait des tournées dans tout le pays. Pour moi, le meilleur exemple avant ça venait de la scène punk, c’était Corrosion of Conformity, originaires de Raleigh, qui s’était fait une bonne réputation dans les milieux hardcore et metal. Ils avaient sorti plusieurs albums et fait des tournées américaines et internationales. Mais pour ce qui est de musique plus pop comme celle que nous faisions, ou en tout cas moins hardcore, c’est à notre époque que les groupes ont commencé à sortir des disques et à tourner.

Vous me parliez de votre label Merge. Pourquoi avez créé un label et un groupe quasiment en même temps ? (NdR : les deux existent depuis 1989)
Je crois qu’on était juste de gros fans de musique, je travaillais chez un disquaire, j’allais à beaucoup de concerts et j’adorais acheter des disques, donc l’idée d’avoir un label était vraiment attrayante. C’était un peu comme un hobby, un projet artistique, ou quelque chose de ce genre. Et puisque posséder un label signifiait qu’on pouvait sortir ses propres disques sans avoir besoin de démarcher en envoyant des démos pour que quelqu’un d’autre le fasse, c’était aussi vraiment confortable. Mais comme je le disais, on faisait juste des cassettes et des singles au départ.
Quand l’heure est arrivée de sortir un album entier, on ne pensait pas vraiment en être capable. C’est pour ça que c’était génial d’être chez Matador, car eux savaient gérer un label, et ils pouvaient nous aider à sortir notre album et à le promouvoir. Mais nous, on était heureux de sortir des singles, pas juste les nôtres, mais surtout ceux d’autres groupes locaux. Une fois qu’on a su comment faire, et qu’on s’est rendu compte que ce n’était pas si compliqué, c’était super de mettre en avant les groupes de nos amis, qui étaient très bons, mais dont personne n’aurait entendu parler autrement. C’est vraiment ça qui était cool.

De nombreux labels indépendants étaient très actifs, ou en train d’émerger à l’époque. Comment vous ont-ils influencés, et qu’avez-vous essayer de reproduire dans leur démarche ?
Il y avait effectivement quelques labels actifs à cette époque. J’ai l’impression qu’il y a eu une période dans la musique indépendante quand nous étions plus jeunes, au collège ou au lycée, pendant laquelle de nombreux disques qui nous ont énormément influencés sont sortis, et que les labels eux-mêmes étaient une source d’inspiration. Des labels comme Creation ou 4AD en Angleterre, ou Dischord ou SST aux États-Unis, sortaient tous ces disques que nous adorions, et chacun avait sa personnalité ou son identité. Si tu voyais qu’un disque était chez Factory, tu te disais « je vais le prendre car tous les disques de ce label sont bons. » 4AD avait des groupes excellents, mais aussi une identité visuelle. Quand tu voyais un disque des Cocteau Twins ou ce genre de groupes, tu les identifiais facilement. Donc, à l’époque où nous avons commencé, il y avait une différence entre les labels anglais et américains. En ce qui concerne la scène indépendante aux États-Unis, il y avait tout une nouvelle vague de labels comme Teen Beat, vers Washington, Sub Pop et K, dans le Pacifique Nord-Ouest ou Amphetamine Reptile, dans le Minnesota. Il y en avait dans tout le pays, mais encore une fois, chacun avait sa propre identité. Pour quelqu’un comme moi qui allait voir beaucoup de concerts, c’était palpitant d’avoir un nouveau single de Mudhoney, par exemple, que tu pouvais chercher chez le disquaire ou te faire livrer par la poste. C’est aussi ça qui nous a inspirés pour monter notre propre label et donner envie aux gens de se renseigner sur nos sorties, et peut-être même d’avoir une identité propre, pour qu’ils puissent se dire « oh cool, il se passe des choses chez Sub Pop, et il se passe des choses chez Merge. » C’est vraiment l’idée de pouvoir être perçus de la même manière qu’eux qui a été une inspiration pour nous.

Si on peut revenir brièvement sur No Pocky for Kitty. Steve Albini n’est pas mentionné dans les crédits, et je me suis toujours demandé pourquoi.
L’idée venait de lui. Je ne me rappelle plus aujourd’hui s’il nous a demandé explicitement de ne pas mettre son nom ou s’il nous a simplement dit que si on mettait son nom dans les crédits, les gens auraient des a priori sur le disque. Pour lui, c’était mieux que les gens ne se fassent pas une idée préconçue de l’album, même si, en ce qui me concerne, voir son nom sur le disque m’aurait plutôt motivé à l’écouter. Mais bon, il pensait que ce n’était pas une bonne idée pour nous de nous enfermer dans cette case.

Vous avez attiré l’attention des majors avec On the Mouth, mais vous avez décidé de rester sur le label indépendant Matador. Pourquoi ce choix ?
En fait, je crois que l’intérêt des majors a commencé dès No Pocky For Kitty, parce que c’était vraiment l’âge d’or, ce moment juste après Nirvana où les gens se sont dit que tous ces groupes d’indie rock à guitare pourraient devenir aussi gros qu’eux, même si on savait que ce ne serait pas le cas. De toute façon, nous étions engagés avec Matador pour un album de plus, qui s’est avéré être On the Mouth, et ça nous allait très bien comme ça. En même temps, nous avions sorti Tossing Seeds nous-mêmes, et nous avions vu combien ce disque s’était bien vendu chez Merge, avec l’appui de Touch And Go. Le succès de cette compilation, couplé au fait que nous nous sommes rendus compte que nous pouvions vendre des disques sur notre label et être payés pour ça, nous a fait réfléchir à l’après Matador. On a décidé que quand notre contrat toucherait à sa fin, on ferait aussi bien de rester chez Merge. À ce moment-là, on a su que certaines maisons de disques s’intéressaient à nous, mais ça ne nous a jamais vraiment attirés, surtout que nous avions des retours d’autres groupes qui n’étaient pas très encourageants. Quand notre contrat est arrivé à échéance, on est donc restés sur notre propre label.

En fait, vous êtes simplement arrivés au bout de votre contrat ?
Oui. Je crois que notre contrat n’était que pour trois albums, donc nous avons fait les trois premiers avec eux.

« La longue pause [après Here’s When the Strings Come In] a fait de nous un meilleur groupe lorsque nous avons écrit Majesty’s Shredding. Et depuis, nous avons sorti quatre albums, mais nous n’avons pas autant tourné. C’est une manière moins intense de faire partie d’un groupe, mais je pense que ça fonctionne mieux pour tout le monde. »

Foolish est peut-être votre album le plus apprécié. Quand vous travailliez dessus, aviez-vous l’impression de faire un disque spécial, ou différent des autres ?
Je crois qu’on savait que les chansons étaient sans doute plus lentes, et qu’elles avaient un son de guitare plus clair. C’était la première fois pour nous que tout n’était pas complètement saturé et punk. Donc, puisqu’on avait des chansons plus lentes et qui avaient plus de profondeur, on savait qu’on faisait quelque chose de différent mais on ne savait pas si les gens allaient aimer ou pas !
Et c’était super d’enregistrer là où on l’a fait, au studio Pachyderm qui se trouve à Cannon Falls, dans le Minnesota. C’est un studio complètement dingue. On en a entendu parler parce que le groupe Unrest avait enregistré son album Perfect Teeth là-bas. Ce sont eux qui nous en ont parlé. Ensuite, nous l’avons mixé au studio de Steve Albini à Chicago, qui à l’époque était encore dans son grenier. Mais il n’a pas travaillé dessus, nous avons fait le mix chez lui avec Brian Paulson. Même si nous avions enregistré On the Mouth à Los Angeles, c’était autre chose de le faire dans le Minnesota et à Chicago. Il me semble que nous avions plus progressé que sur les trois premiers albums.

J’ai lu que vous aviez fait une pause juste après Here’s When the Strings Come In, et pourtant vous avez réussi à tourner et sortir un nouvel album deux ans après. C’était vraiment intense pour vous, à l’époque ? Comment avez-vous fait pour survivre ?
Oui, tout le long des années 90, nous enregistrions, tournions et sortions un disque tous les deux ans environ. Mais la vraie pause est venue après Here’s To Shutting Up, parce que la tournée a été harassante. C’était juste après le 11 septembre, et tout le monde était dans un état mental bizarre. Et le style de tournée avait participé à ça, puisqu’on essayait de recréer tout l’album sur scène. Il y avait des synthés avec nous, et tout ça représentait beaucoup de logistique, et beaucoup de main-d’œuvre. C’était sympa à faire, mais c’était aussi épuisant, et je pense qu’à la fin de cette tournée, on avait tous envie de faire un break. Il me semble que nous avons eu ce genre de conversations où on se demande si on doit continuer le groupe si personne n’y prend du plaisir, ou si on doit s’arrêter pour de bon ou juste jusqu’à ce qu’on ait envie de reprendre. Ainsi, on n’a dû faire qu’un concert ou deux sur ces années-là. Et puis, à cette époque-là, je sortais aussi des albums de Portastatic (NdR : un side-project de MacCaughan avec le guitariste de Superchunk Jim Wilbur).
Puis, en 2009, on nous a demandé d’enregistrer quelques chansons pour une compilation ou une série télé… Ça devait être celle pour Aqua Teen Hunger Force (NdR : « Misfits and Mistakes »). Et on a aussi fêté les 20 ans de Merge cette même année, on a sorti une compilation pour laquelle on a enregistré une chanson ou deux. Dès qu’on s’est retrouvés en studio, on a appris quelques chansons et on les a enregistrées aussi. Et puis, je pense qu’on avait trouvé un moyen d’être en groupe mais avec un rythme moins intense. Au moment où on a travaillé sur Majesty’s Shredding, ça faisait neuf ans qu’on avait sorti notre dernier album, et je m’étais mis à écrire des chansons que je savais faites pour Superchunk et à envoyer les démos à tout le monde. C’est l’inverse de ce qu’on faisait à la fin des années 90, puisqu’on répétait tous ensemble pendant des heures, on composait ce qui nous venait, en fait on jammait jusqu’à obtenir des chansons. C’était donc une manière très différente de procéder, mais elle était très efficace car tout le monde pouvait simplement entendre l’idée générale et écrire sa partie, avant de se retrouver tous ensemble pour enregistrer. Je pense aussi que cette longue pause a fait de nous un meilleur groupe lorsque nous avons écrit Majesty’s Shredding. Et depuis, nous avons sorti quatre albums, si on compte Acoustic Foolish, mais nous n’avons pas autant tourné. Comme je le disais, c’est une manière moins intense de faire partie d’un groupe, mais je pense que ça fonctionne mieux pour tout le monde.

Revenons un peu en arrière. Comment est survenue votre collaboration avec Jim O’Rourke ?
C’était sur Come Pick Me Up. J’écoutais beaucoup ses albums solos, mais aussi les albums qu’il avait produits, comme celui d’Edith Frost, ou d’autres groupes plus rock avec lesquels il avait travaillé. En plus de ceux qu’il a fait avec Smog qui sont super. J’aimais vraiment beaucoup sa manière d’utiliser l’espace, les cordes et les vents, je savais qu’il était très bon pour ce genre de choses. Nous avions également entendu parler du nouveau studio d’Albini, Electrical à Chicago. Nous étions partis pour faire un disque un peu différent, et nous pensions que Jim serait la bonne personne pour nous aider à le faire.

Quand vous avez fait votre pause, après Here’s Shutting Up, vous avez continué à sortir des disques (majoritairement des lives) sous le titre de Clambake series. Était-ce une manière de maintenir actif une sorte d’alter ego à Superchunk ?
J’imagine que c’était un moyen de maintenir une présence, même si je sortais déjà des albums de Portastatic. Je pense que quand nous étions en plein dans le cycle où nous sortions tout le temps de nouveaux albums, nous n’avions pas le temps de nous arrêter, de constater que nous avions cinq enregistrements ou autres dont nous pouvions faire quelque chose. Et puis, c’est plus facile pour nous de faire des CD que des vinyles. Mais c’était aussi un bon moyen de sortir des choses comme la BO de A Page Of Madness que nous avions enregistrée. A Page of Madness est un film muet et nous avions bossé très dur pour en écrire toute la musique, que nous avons jouée au festival du film de San Francisco. Mais quand on s’arrache pour composer environ une heure de musique inédite, qu’on ne la joue qu’une seule fois et c’est tout, on se dit « mon dieu, c’était tellement de boulot ! » Heureusement, quelqu’un a enregistré la performance, et les Clambakes étaient une solution parfaite pour sortir ce genre de choses, qui sont assez étranges. Ça ne ressemble pas à du Superchunk normal, mais on a quand même travaillé dur dessus, et on voulait en garder une trace. L’objectif est donc un peu différent.

Votre nouvel album, Wild Loneliness, est-il un album de confinement ? Pensez-vous que la pandémie a eu un impact sur votre créativité ?
Oui. J’ai commence à écrire des chansons quand nous travaillions sur la version acoustique de Foolish, que nous avons réenregistré pour les 30 ans du groupe et de Merge. C’était en quelque sorte une version extrême d’un Clambake. J’avais envie de faire quelque chose de bizarre. Donc, au lieu d’enregistrer des versions acoustiques de plusieurs de nos chansons, ou autre, je me suis dit qu’on allait faire la version acoustique d’un album entier. Comme l’anniversaire tombait au même moment, les 30 ans du label et les 25 ans de Foolish, on a réappris toutes les chansons de celui-ci, on est allés en studio et on a tout enregistré en une prise live, Jim et moi avec des guitares acoustiques. Laura jouait toujours de la basse et Jon de la batterie, mais avec beaucoup de balais, même si c’était une batterie complète. C’était vraiment cool de faire un disque comme ça. En plus, on sortait de What a Time to be Alive, pour lequel on avait fait une tournée, qui était un disque très punk et noisy.
On a donc fait Acoustic Foolish, qu’on a joué quelques fois aux États-Unis et une fois au Japon, ce qui m’a fait me dire qu’on devrait faire un nouvel album comme ça, acoustique mais live en studio, pour que ça sonne comme un album complet, pas comme une démo, mais avec un son différent. J’avais peut-être quatre chansons écrites avec cette idée en tête quand la pandémie est survenue.
À ce moment-là, je me suis rendu compte que je n’arrivais plus à écrire de nouvelles chansons. Quand on s’est retrouvés confinés, j’avais mon studio chez moi, mes guitares et tout mon matériel, mais je n’arrivais pas à écrire de chansons. Je pense que beaucoup de gens ont fait cette expérience, quand ton cerveau est simplement ailleurs à cause de toutes les choses dingues qui se passent autour. Alors qu’on avait du temps de studio qu’on aurait pu mettre à profit !
Après environ six mois, je me suis remis à écrire, et entre temps j’avais fait une BO pour le film Moxie, qui est sorti sur Netflix. Quand je bossais sur cette BO, j’ai plus ou moins réorganisé mon studio pour le rendre plus efficace pour l’enregistrement. Dès que je me suis remis à écrire des chansons, on était en plein dans la pandémie, sans vaccin, sans perspective en vue. Je me suis donc dit qu’on allait enregistrer ce nouvel album chez moi.
Jon venait s’asseoir là pour enregistrer ses parties de batterie, moi j’étais trois mètres plus loin et on portait tous les deux des masques, tu vois le genre ? Il enregistrait la batterie et il partait. Puis Jim arrivait pour enregistrer ses guitares avant de rentrer chez lui. Enfin, Laura ajoutait ses parties de basse de chez elle. On avançait en travaillant de cette manière, et à un moment, c’est devenu évident : une fois qu’on avait investi tant de travail dedans, c’est comme ça qu’on devait faire l’album. Mais on ne voulait pas non plus que ça sonne lo-fi, ou comme des démos. On voulait que ça sonne vrai. On a donc fait de super collaborations avec Owen Pallett, qui a fait les cordes sur quelques chansons, Owen Pallett, qui s’est occupé des vents, et plein de musiciens géniaux ont ajouté leur truc, chacun à distance, et c’était vraiment chouette de pouvoir travailler avec d’autres personnes, même si on ne pouvait pas les voir en vrai. Faire cela nous a permis d’apporter une autre épaisseur, un autre niveau à l’album.
Quand le moment est venu de mixer, comme je le disais, on ne voulait pas que ça donne l’impression d’un album fait à la maison, donc on a envoyé les bandes à Wally Gagel (NdR : qui avait déjà travaillé sur Here’s Where The Strings Come In), à la fois un excellent ingé-son, et un excellent mixeur. Et je crois qu’il a, encore une fois, élevé l’album à un autre niveau. On n’a pas du tout l’impression que ça a été enregistré entièrement dans cette pièce.

Y a-t-il un album de Superchunk ou que vous avez sorti sur Merge dont vous êtes particulièrement fier ?
Personnellement, je suis fier de tout ce qu’on a sorti chez Merge, surtout les artistes avec qui j’ai réussi à sortir des disques ces deux dernières années. Surtout que certains ont étonnamment réussi à faire des concerts, comme les groupe Torres ou Mountain Goats. Ils se sont tous débrouillés pour organiser des tournées malgré la pandémie, et je crois que les gens étaient vraiment très enthousiastes à l’idée de pouvoir revoir de la musique live, tout ça en sortant de superbes albums au passage.
En ce qui concerne Superchunk, je suis fier qu’on ait fini cet album. Quand c’est devenu évident qu’il ne serait pas prêt pour sortir en 2020, j’ai commencé un album solo en Janvier, The Sound of Yourself, qui est sorti en septembre. Et je pense que cet album et celui de Superchunk sont presque deux faces d’une même pièce. Je suis super content que les gens puissent entendre le côté Superchunk de cette œuvre, car je pense que les chansons sont bonnes, et je serai très fier de nous si on apprend à les jouer en live, car on ne l’a pas encore fait. Ce sera notre prochaine mission.

En fait, même 30 ans après, vous faites des choses qui vous rendent fier. C’est rassurant, quelque part !
Oui. Je pense que la clé pour nous en tant que groupe, c’est de réussir à trouver continuellement des choses qu’on n’a peut-être pas encore faites et qui nous motivent.

Interview réalisée par Blackcondorguy, publiée initialement dans notre fanzine #2 (toujours commandable par mail et disponible dans quelques disquaires/librairires)
Merci à Sébastien Kervella

Dicographie express express :
Superchunk (1990) : premier album, surtout connu pour le single « Slack Motherfucker »
No Pocky for Kitty (1991) : avancée notable en songwriting
Tossing Seeds (1992) : compilation de singles accrocheurs
On the Mouth (1993) : dans la veine de No Pocky, peut-être le meilleur de cette première période
Foolish (1994) : virage indie plus prononcé, sans doute leur album le plus connu
Here’s Where the Strings Come In (1995) : un bon mélange entre indie pop et le punk rock des débuts
Indoor Living (1997) : retour à un disque plus indie, avec quelques super morceaux
Come Pick Me Up (1999) : mariage heureux avec Jim O’Rourke, plein de pépites
Here’s to Shutting Up (2001) : Encore plus indie pop, un disque assez doux mais toujours réussi
Majesty Shredding (2010) : retour en force
I Hate Music (2013) : la formule est bien rôdée, mais on ne s’en lasse pas
What a Time to Be Alive (2018) : on ne s’en lasse toujours pas
Wild Loneliness (2022) : un album moins punk, mais toujours très bon

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